Analyse - C'est peu dire que Pauline Marois ne s'attendait pas à l'ampleur de la défaite subie par son parti lundi soir. La chef péquiste savait qu'elle ne survivrait pas à une victoire libérale, même minoritaire, mais elle était convaincue de pouvoir continuer un bon moment comme chef de l'opposition. Jusqu'à la fin de l'après-midi, la chef péquiste croyait encore qu'elle avait une chance, même infime, de former le gouvernement.

Mais tout s'est bousculé lundi soir, à mesure que les résultats de sa circonscription de Charlevoix étaient relayés par le bureau du directeur général des élections. Son allocution a été décalée de plusieurs minutes, parce que celle qui avait tout misé sur cette campagne était trop secouée pour monter à la tribune, mais aussi un peu parce qu'on attendait fébrilement l'issue du dépouillement dans Charlevoix. Dans la suite du Westin où elle se trouvait avec sa famille et quelques proches collaborateurs - Nicole Stafford, Dominique Lebel et Marie Barrette -, Mme Marois contemplait, un peu incrédule, l'ampleur du désaveu de la population envers son gouvernement.

C'est une fois qu'elle a été déclarée battue dans sa circonscription que Mme Marois a donné le signal à son rédacteur de discours de préparer une ultime version où elle annonçait, finalement, qu'elle tirerait rapidement sa révérence. «Vous comprendrez que dans les circonstances, je vais quitter mes fonctions», s'est-elle contentée de dire. On est loin du percutant «ma route s'arrête ici» de Bernard Landry, en juin 2005.

Sans sa défaite dans Charlevoix, le message aurait été bien différent. Elle n'aurait pas annoncé son départ, mais promis d'organiser une transition, «ordonnée». Elle a utilisé ce terme hier, mais on prévoit désormais un départ bien plus rapide. Quelques jours avant le scrutin, elle avait souligné à des proches que tous ses prédécesseurs - de Jacques Parizeau à André Boisclair en passant par Lucien Bouchard et Bernard Landry - avaient quitté leurs fonctions sans donner au parti le temps de se ressaisir.

C'est à cause de ces délais que les organisateurs de la soirée, le metteur en scène Yves Desgagné en tête, ont demandé aux quatre députés présents de monter sur la scène pour chauffer la salle et rendre hommage à une chef qu'on savait sur son départ. L'opération totalement improvisée a tourné au navrant concours oratoire que l'on sait. Personne n'avait de discours préparé; les trois prétendants à la succession ont été sans ménagement pour la chef polytraumatisée juste à côté d'eux. Péladeau d'abord, puis Lisée et Drainville: chacun d'eux a senti le besoin de monter le ton par rapport au précédent.

Inquiétudes au PQ

«On sera la voix de l'inquiétude des Québécois», a promis Jean-François Lisée dans son discours, lundi soir. Sur son blogue, il résumera en une phrase le résultat d'une campagne qui a beaucoup porté sur l'option souverainiste: comme un «troisième non» référendaire.

Qui sera la voix de l'inquiétude des péquistes? Un rapide survol des réactions des ténors du PQ au séisme de lundi montre que plusieurs auront vite évacué la question, lancinante, du sens du vote.

Dans une entrevue passablement difficile avec Paul Arcand, Stéphane Bédard a lancé: «Je sais qu'on a fait une mauvaise campagne.» Il a attribué la déconfiture des siens aux médias, davantage attirés par les échanges aigres-doux entre politiciens que par le contenu. Bernard Landry a aussi évoqué des éléments «conjoncturels» liés à la campagne pour expliquer que son parti venait d'obtenir son plus mauvais score depuis sa première campagne, en 1970.

Lundi soir, aux abois, Réjean Hébert, qui venait de perdre dans Saint-François, en était presque rendu à dire que la population s'était trompée en écartant le meilleur gouvernement de l'histoire en santé et en éducation.

Il n'en demeure pas moins que depuis désormais cinq élections, le PQ n'a pas dépassé les 33% d'appuis. Pire encore, lundi, il a battu le record d'André Boisclair, qui avait récolté 28% des suffrages en 2007 (Mme Marois a obtenu un peu plus de 25%).

Un sondage récent de Léger montrait que le PQ était désormais en perte de vitesse chez les jeunes: il était clairement devancé par les libéraux chez les électeurs de 18 à 44 ans. La tendance s'inverse uniquement pour les 55-64 ans: le PQ y est en avance.

Dans les rangs péquistes, le questionnement est bien plus profond. En misant autant sur la Charte des valeurs, les stratèges ont joué aux apprentis sorciers, ont tenté d'utiliser une question on ne peut plus explosive pour forcer une polarisation dans laquelle ils se croyaient clairement majoritaires. Ce qui n'a jamais été le cas.

Même inquiétude sur la souveraineté: l'option ne mobilise guère les jeunes, les familles avec enfants. Or, les trois ténors de lundi soir, clairement, ne voyaient pas d'autre avenue pour leur parti. «Une idée ne meurt pas», mais sa capacité de mobilisation peut passablement varier, a résumé Philippe Couillard.

Le PQ est coincé: s'il conserve l'option souverainiste, il fait fuir beaucoup d'électeurs potentiels; s'il l'abandonne, il peinera à se tailler une place dans le courant de centre gauche sur le spectre politique. En effet, Québec solidaire, le PLQ et même la Coalition avenir Québec couvrent passablement de terrain sur cet axe.