Près d'un Québécois sur quatre n'a pas de médecin de famille. Et s'il trouvait plutôt une «infirmière de famille»? La campagne électorale a ramené les infirmières praticiennes spécialisées au coeur des débats. Supervisées par des médecins, celles qu'on appelle des «super infirmières» - même si elles n'aiment pas le terme qu'elles trouvent réducteur pour les autres infirmières - peuvent suivre des patients, prescrire certains médicaments et examens diagnostiques et améliorer l'accès aux soins. Encore faut-il les former et leur faire une place dans le réseau, ce qui au Québec demeure un défi.

Infirmière praticienne spécialisée depuis 2011, Manon Couture a été recrutée par des médecins de famille pour travailler dans une clinique de la Rive-Sud. Elle a 500 patients à sa charge. Nous l'avons accompagnée dans sa journée de travail.

8h30

Avant l'arrivée des premiers patients, Manon Couture révise ses dossiers pour préparer sa journée. Posée sur son bureau, sa tablette numérique est à portée de main, contenant plusieurs documents sur les médicaments, les lignes directrices, les interactions. Elle s'y réfère souvent.

9h

Sa première patiente arrive avec sa mère. C'est une fillette de 2 ans qui vient pour son suivi périodique. «Boit-elle du lait? Combien de mots connaît-elle? Est-elle capable d'attraper un ballon», demande Mme Couture. Elle prodigue quelques conseils de prévention à l'aube de la belle saison. «Attention aux piscines.» À l'examen physique, Mme Couture constate que le pied de l'enfant tourne légèrement à l'intérieur. Elle met le dossier de côté pour faire voir l'enfant par un médecin de la clinique qui décidera ensuite s'il faut la diriger ou non vers un spécialiste.

9h45

Un nouveau patient se présente, c'est un jeune père de famille de 30 ans. Mme Couture prend le temps de bien lui expliquer son rôle, qui a certaines limites, mais qui lui permet de le prendre en charge. «C'est parfait pour moi, je n'ai pas de médecin.» Il traîne de petits malaises depuis quelques années, dont des brûlements d'estomac récurrents. Mme Couture fait un examen général, puis prescrit un médicament pour les brûlements. «Essayez-le pendant deux semaines et je veux qu'on se revoie pour voir si ça fonctionne.» Pour son mal de genou, elle lui montre certains exercices et lui suggère de voir un physiothérapeute.

10h30

C'est au tour d'une petite fille de 3 ans qui n'a plus de médecin de famille. Mme Couture la voit pour la première fois. «Ce serait une bonne idée de faire transférer son dossier médical», dit-elle. La mère est visiblement soulagée d'avoir trouvé quelqu'un pour s'occuper de ses enfants. «Je suis inscrite au CLSC depuis septembre [sur la liste d'attente du GACO - le guichet d'accès pour les clientèles orphelines], mais ils ne m'ont même pas encore appelée pour faire l'évaluation et le tri!»

11h45

Une jeune femme consulte pour des rougeurs au cou. Mme Couture lui prescrit une crème contenant de la cortisone. Au passage, elle s'informe de l'état général de sa patiente. Sa pression est élevée. «Je suis stressée ces temps-ci, je termine mon cours. Après, je retourne au gym», promet la jeune femme tandis que Mme Couture l'encourage à faire de l'activité physique.

12h15

Pause dîner. Quand ça déborde, Mme Couture prolonge un peu l'horaire pour voir plus de patients, mais ce ne sera pas nécessaire aujourd'hui.

13h30

L'après-midi est généralement consacré à la clinique sans rendez-vous. Comme les médecins de la clinique, Mme Couture voit alors ses patients qui ont besoin d'une consultation d'urgence. Si elle a du temps, elle dépanne aussi ses collègues.

14h

C'est le tour d'un bébé de 7 mois, couvert de boutons. Pied-main-bouche ou varicelle? «J'ai regardé sur internet, mais les boutons se ressemblent», dit la mère. Il s'agit d'une varicelle, tranche Mme Couture. Les problèmes de peau étant complexes, elle demande l'avis d'une collègue médecin qui corrobore le diagnostic. Un bain avant le dodo calmera les démangeaisons. «Mon aîné est le premier bébé qu'elle a suivi. Depuis, elle suit toute la famille. C'est la première fois que j'ai un médecin de famille... euh, je veux dire une infirmière de famille. Pour moi, c'est la même chose, elle répond à nos besoins», confie la mère, Marie-Andrée Joncas, en quittant la clinique.

14h30

Période plus calme. Mme Couture en profite pour appeler des patients pour qui elle a reçu les résultats d'examens et qu'elle veut revoir. Elle profite de quelques instants libres pour discuter de certains cas avec les médecins qui la supervisent.

15h30

Une adolescente est incommodée par une forte toux depuis plusieurs jours. Après l'avoir auscultée, Mme Couture lui prescrit un sirop avec de la codéine. Il faut calmer la toux qui irrite ses bronches et qui la fatigue. «Tu le prends quelques jours. Si ça ne va pas mieux, tu reviens me voir. Peut-être qu'avec le sirop, on pourra éviter des antibiotiques.»

15h45

Une patiente de dernière minute se présente avec un mal d'oreille intense. Le tympan est correct, mais il y a beaucoup de congestion, conclut Mme Couture. La jeune fille est sujette aux rhinites. «Tu dois recommencer à prendre le Nasonex. Je vais t'en prescrire de nouveau.»

16h

Le dernier patient parti, Mme Couture finalise ses dossiers et révise ses notes pour clore la journée.

Ailleurs au Canada

Lorsqu'il est question de super infirmières, le Québec accuse du retard comparativement au reste du Canada.

En Ontario, des cliniques de soins sont maintenant dirigées par ces professionnelles de la santé. Les patients s'y présentent pour des problèmes mineurs, comme dans toute autre clinique. Il existe des ententes pour avoir accès à des médecins en cas de besoin.

De façon générale, l'éventail de médicaments et d'examens qu'elles peuvent prescrire est beaucoup plus grand qu'ici.

«Dans leur cas, on pourrait parler de listes d'exceptions [de ce qu'elles ne peuvent pas faire], tandis que nous, nous avons plutôt des listes d'exclusions. Les infirmières praticiennes spécialisées sont plus limitées au Québec», explique la présidente de l'Association des infirmières praticiennes spécialisées, Chantal Fortin.

Les super infirmières sont plus nombreuses et plus présentes dans les autres provinces. En Ontario, elles sont 10 fois plus nombreuses qu'au Québec.

Leur formation n'est toutefois pas la même. «La formation de base des infirmières en Ontario, c'est le baccalauréat», explique Mme Fortin. Le Québec compte moins d'infirmières détenant un diplôme universitaire puisque la porte d'entrée principale est le diplôme collégial.

«Le bassin est moins grand pour celles qui veulent poursuivre comme infirmière praticienne spécialisée», note Mme Fortin. La super infirmière doit en effet détenir un baccalauréat, puis obtenir une maîtrise et un diplôme d'études spécialisées en sciences médicales.

Ailleurs, tout n'est pourtant pas rose. Si des provinces comme la Colombie-Britannique et l'Ontario font une grande place aux super infirmières, d'autres sont confrontées à des problèmes similaires à ceux du Québec.

Au Nouveau-Brunswick, des reportages faisaient état récemment des difficultés d'infirmières praticiennes qui ne trouvent pas de poste et qui, par conséquent, risquent de perdre leur accréditation parce qu'elles ne pratiquent pas.

Plus d'une dizaine d'années après l'apparition des super infirmières au Nouveau-Brunswick, la province n'en compte qu'une centaine.

Au Québec

>235 super infirmières au Québec, dont 174 en première ligne

>197 autres en formation

En Ontario

>2477 super infirmières