Selon Philippe Couillard, la Charte péquiste de la laïcité serait une «vaste machination» pour «mettre les Québécois dans l'entonnoir du référendum», avec pour effet secondaire de «susciter» la xénophobie chez certains Québécois.

Dans une interview lundi matin à Radio X, le chef libéral a attaqué avec virulence le projet de charte et les intentions qui se cacheraient derrière. Il se référait à un article de La Presse. «Selon une source qui a assisté à des discussions à de très hauts niveaux au sein du gouvernement Marois, la suite du virage identitaire était déjà décidée: une fois majoritaire, le PQ adopte la Charte telle que présentée, sans clause dérogatoire. Elle sera contestée et battue par une cour fédérale, ce qui fournirait un puissant levier pour la souveraineté», écrivait notre collègue Vincent Marissal.

«C'est une vaste machination depuis le début, même pour littéralement flouer les gens qui ont été sympathiques à l'idée que le Parti québécois a mise sur la table. On voit que tout cela fait partie de la stratégie référendaire. C'est clair comme de l'eau de roche. Je trouve que c'est un parti politique sans scrupule, qui ne recule devant rien», a-t-il ajouté.

Le Parti québécois se servirait selon lui «de l'inquiétude des gens par rapport à la coexistence des communautés pour littéralement nous mettre dans l'entonnoir du référendum». 

Il a convoqué une conférence de presse à la dernière minute lundi matin pour répéter ce message.

Des intellectuels et juristes respectés, comme le sociologue Guy Rocher et l'ex-juge en chef de la Cour suprême Claire L'Heureux-Dubé, appuient la Charte avec des arguments qu'ils jugent rationnels. Cela n'ébranle pas M. Couillard «Ce n'est pas le débat sur la Charte, c'est le fait d'utiliser cette question-là dans une machination programmée pour amener les Québécois vers un référendum, a-t-il réagi. Écoutez, ce n'est pas ordinaire. On nous apprend que la Charte a été programmée pour échouer devant les tribunaux et créer une crise qui servirait par la suite de combustible pour le référendum. J'ai 56 ans et je ne me souviens pas d'avoir vu quelque chose d'aussi cynique.»

Si le PQ utilisait la clause dérogatoire après un jugement défavorable de la Cour suprême pour maintenir sa Charte et éviter une crise avec Ottawa, cela signifierait-il qu'il n'existe pas de «machination référendaire»?

«Plusieurs ministres du Parti québécois ont dit que ce ne serait pas nécessaire, parce que selon eux, ça passerait le test (constitutionnel). Ça veut dire qu'on reconnaît qu'on porte atteinte aux libertés de façon massive», a-t-il répondu.

Clause dérogatoire : légitime ?

Lundi midi, Pauline Marois a changé de position en indiquant qu'elle serait désormais prête à recourir à la clause dérogatoire. «L'article est sorti, la vérité sort et elle est obligée de rajuster le tir», a réagi M. Couillard.

Mais cela ne le satisfait pas. Recourir à la clause dérogatoire ne serait pas légitime selon lui, car il n'y a pas «pas de crise, pas d'enjeu urgent et réel» qui justifie de limiter la liberté de religion.

La Presse a déjà révélé que selon un avis juridique du ministère de la Justice, le projet de charte péquiste serait inconstitutionnel. Et selon Le Soleil, le ministre de la Justice voudrait utiliser si nécessaire la clause dérogatoire.

En commission parlementaire, le Barreau du Québec et la Commission des droits de la personne ont aussi affirmé que le projet de loi péquiste serait inconstitutionnel. Le groupe des Juristes pour la laïcité a soutenu le contraire, tout en insistant que le débat ne devrait pas être réduit à son volet juridique.

Susciter la xénophobie sans l'affirmer

Le chef libéral a aussi dénoncé les propos de Janette Bertrand. Dimanche, lors du brunch péquiste de la laïcité, elle parlait d'un cas hypothétique où de riches étudiants de McGill musulmans exigeraient des heures de baignade séparées dans une tour résidentielle, puis en quelques mois, finiraient par empêcher en tout temps les femmes de se baigner.

M. Couillard rappelle qu'une tour résidentielle ne relève pas du public, et n'est donc pas assujettie à la Charte. Et que s'il s'agissait d'une institution publique, ce cas relèverait des accommodements raisonnables. Or, tous les partis sont d'accord pour les balises. Le désaccord porte sur les signes religieux ostentatoires dans la fonction publique.

Les propos de Mme Bertrand constituent-ils de la xénophobie, a demandé l'animateur de Radio X au chef libéral?

«Je ne condamne pas les gens de cette façon-là», a-t-il d'abord répondu. Les gens qui au Parti québécois qui ont décidé d'utiliser ces sentiments-là et littéralement leur donner un permis de s'exprimer, ont agi de façon foncièrement négative et notre société québécoise, et également de façon machiavélique.»

Relancé par l'animateur, M. Couillard a lancé: «On suscite (la xénophobie) sans l'affirmer soi-même. C'est encore pire. (...) Malheureusement, ces propos-là sont condamnables. Et ce qui est encore plus condamnable, c'est de les voir utilisés par le Parti québécois de façon totalement machiavélique.»

En conférence de presse plus tard, il a insisté que la Charte de la laïcité et sa «discrimination à l'emploi» n'a «rien à voir avec l'identité québécoise».

Campagne de peur?

Depuis le début de la campagne électorale, M. Couillard répète que le Parti québécois veut enfermer la population dans «la cage à homard» du référendum. Même si Pauline Marois constate que les Québécois ne veulent pas présentement de référendum et répète qu'elle «ne les bousculera pas», le chef libéral répète qu'il est «certain» qu'un gouvernement péquiste déclencherait un référendum.

Mène-t-il lui aussi une campagne de peur? «Ce n'est pas la peur. Je dis exactement ce que le PQ dit», s'est-il défendu, en citant des récents propos de candidats.

À Deux hommes en or, Alexis Deschênes promettait notamment de ne pas «bousculer les Québécois». «Ce qu'il va falloir faire, c'est une campagne de terrain, une campagne électorale permanente finalement, pour aller voir les citoyens du Québec et leur parler, leur expliquer que non seulement on n'a pas avoir peur, mais qu'on n'a pas le droit d'avoir peur quand on regarde le parcours de nos ancêtres de 400 ans.»

Cette stratégie pourrait être payante. Un récent sondage Léger demandait aux électeurs s'ils prévoient - et non souhaitent - qu'un gouvernement péquiste majoritaire déclenche un référendum. Les libéraux en sont convaincus (77 %). Seulement 17 % des électeurs y croient. Les caquistes sont plus partagés. Une majorité d'entre eux (56 %) jugent qu'il y aurait un référendum, contre 34 % qui pensent le contraire.

Marois exige des excuses

Pour Pauline Marois, Philippe Couillard «a carrément dépassé les bornes». «Il a sombré dans les théories du complot» en évoquant une «vaste machination». Elle de défend d'avoir l'intention d'utiliser la charte des valeurs pour faire mousser l'option souverainiste. 

Surtout, elle demande au chef libéral de s'excuser pour les propos qu'il a tenus à l'égard de Janette Bertrand. Selon la chef péquiste, l'auteure et féministe de 89 ans n'est pas allée trop loin lors de son allocution dimanche.

«Mme Bertrand n'a pas prononcé de propos xénophobes. Elle a parlé avec son coeur, elle a parlé de son engagement dans une cause lui qui tient à coeur depuis 70 ans, sur laquelle elle a travaillé de façon remarquable, et c'est l'égalité entre les hommes et les femmes. Elle ne mérite pas les propos que M. Couillard tient à son endroit. C'est pour ça que je lui demande de s'excuser», a-t-elle soutenu. Elle reproche à son adversaire libéral de «détester» et d'«insulter tous ceux qui sont en désaccord avec lui».

- Avec Tommy Chouinard