La perspective d'un gouvernement péquiste majoritaire inquiète à ce point les Mohawks que certains d'entre eux s'apprêtent à poser un geste inhabituel: voter aux élections provinciales.

Kahnawake n'a pas l'habitude de faire entendre sa voix quand les Québécois sont appelés aux urnes. Mais les choses pourraient changer le 7 avril.

« Je voterai pour la première fois de ma vie, explique Timmy Norton, 56 ans. D'habitude, je m'abstiens. Mais cette année, Pauline Marois est allée trop loin. Je n'aime ni son attitude ni sa façon de mener sa campagne. »

Nationaliste mohawk convaincu, M. Norton est allé à Châteauguay cette semaine pour s'informer du processus électoral. Il a aussi affiché ses intentions sur Facebook, quitte à se faire critiquer par d'autres membres de la communauté. Il sait qu'il rompt avec la tradition, mais il estime qu'il n'a pas le choix.

« Je sens cette fois que c'est important de faire quelque chose. Si on allait tous voter, qui sait, ça pourrait peut-être changer les choses. » - Timmy Norton

Croisée dans un cigarette shop à l'entrée de la réserve, Lori tient à peu près le même langage. Comme d'autres de ses amis, la jeune femme envisage sérieusement d'exercer son droit de vote le jour du scrutin. Pour elle aussi, ce serait une grande première.

« Pauline Marois est trop extrême, dit-elle. Elle retire les droits de tout le monde. C'est fâchant. Voter serait une bonne façon de faire valoir notre point de vue. De lui rappeler qu'on est ici, nous aussi. Elle veut la souveraineté ? Nous aussi ! »

La charte et le référendum

Ce soudain intérêt s'explique en grande partie par le spectre d'un troisième référendum et l'adoption possible de la Charte des valeurs québécoises, deux questions qui touchent à des cordes sensibles chez les Mohawks, qui se considèrent à la fois comme un peuple souverain et comme une minorité culturelle.

Selon Steven Bonspiel, rédacteur en chef du journal The Eastern Door, « Mme Marois a tellement bien remué les braises [sur ces questions] qu'elle a suscité beaucoup de peur et de colère et que les gens d'ici la détestent ».

Signe d'un mouvement, le Conseil de bande de Kahnawake, qui n'a pas l'habitude de se mêler de politique québécoise, a lui-même publié un communiqué pour exprimer ses craintes dans l'éventualité d'une victoire majoritaire du PQ.

« Nous sommes grandement troublés par la possibilité que le Parti québécois aille de l'avant avec son projet de souveraineté. Notre relation avec le Canada est déjà assez compliquée et difficile sans la menace d'un gouvernement du Parti québécois, qui mènerait la région sur la voie de l'intolérance institutionnalisée », y affirme notamment le chef du conseil de bande Michael Delisle, rencontré par La Presse dans ses bureaux.

Selon ce dernier, l'idée d'un référendum est d'autant plus inconcevable que des négociations territoriales (touchant la Seigneurie de Sault Saint-Louis) sont toujours en cours entre les Mohawks et le gouvernement fédéral.

Conjoncturel

« Je n'ai jamais senti la communauté aussi impliquée, ajoute Steven Bonspiel, en évoquant cette improbable mobilisation. Ils ne voteront peut-être pas, mais ils parlent de le faire. Et ça, c'est nouveau. »

Selon M. Bonspiel, il est toutefois évident qu'il s'agit d'un phénomène conjoncturel. Une fois la menace écartée, il est à prévoir que les Mohawks retourneront à leur vieille politique de non-ingérence, en vigueur depuis le traité consigné dans le wampum à deux rangs de 1613. « Après tout, ce n'est pas notre gouvernement », rappelle-t-il.

La circonscription de Châteauguay, où est située Kahnawake, est un château fort libéral depuis 29 ans. Son député sortant, Pierre Moreau, a remporté la bataille en 2012 avec plus de 2000 voix de majorité. Il se représente cette année contre le jeune péquiste Laurent Pilon.

Si l'on en croit le Châteauguay Express cette semaine, ni l'un ni l'autre n'a l'intention de faire campagne sur la réserve.

Indépendance à Québec, indépendance à Akwesasne?

Pendant que Kahnawake songe à jouer le jeu des élections, Akwesasne, près de Cornwall, menace de se séparer.

Dans un communiqué publié la semaine dernière, le conseil

de bande de la plus grosse réserve mohawk du pays (12 000 habitants) a promis qu'il tiendrait son propre référendum si le PQ allait de l'avant avec le sien.

« Si le Québec choisit ultimement de se séparer, j'aviserai notre conseil de tenir notre propre référendum afin de déterminer si nous demeurons à l'intérieur des frontières québécoises ou si nous nous séparons nous aussi », a affirmé le grand chef du conseil Mike Mitchell.

Cette réaction relance évidemment la question du statut

des communautés autochtones dans un Québec souverain. « Les membres des Premières Nations ne sont pas Québécois et sont en mesure de décider de leur avenir, a déclaré

Ghislain Picard, le chef de l'Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador, par voie de communiqué. Il en va aussi de l'État avec lequel nous voulons entretenir des liens. Ce sera notre décision. » 

Les 11 nations autochtones du Québec comptent environ 100 000 personnes, soit un peu plus de 1 % de la population de la province.