Péquiste depuis près de quatre décennies, Gouin peut-elle devenir la deuxième circonscription québécoise à élire un député de Québec solidaire? Depuis sa performance au débat des chefs, Françoise David, co-porte-parole du parti, croit qu'elle a de très bonnes chances d'être élue devant Nicolas Girard, l'un des hommes forts du Parti québécois.

«J-7 avant la victoire du PQ!»

La porte d'entrée du local électoral de Nicolas Girard, député de Gouin, affiche un optimisme bon teint. Une semaine avant le scrutin, le Parti libéral (PLQ) a disparu des pronostics électoraux. Un vent caquiste souffle sur le Québec, certes, mais le Parti québécois (PQ) mène encore la danse dans les sondages.

Voilà pour le national.

Localement, pourtant, Nicolas Girard, élu depuis 2004 avec de larges avances, connaît des difficultés.

Le pointage ne semble pas fameux, ce jour-là.

«Vous voulez changer de gouvernement, mais vous congédiez Nicolas Girard. C'est dommage», dit, en vain, une bénévole au téléphone auprès d'un étudiant prêt à voter Québec solidaire.

Quelques minutes plus tard, un homme fait le point. «J'ai des absents et des Françoise David», se désole-t-il.

Homme fort du caucus péquiste, Nicolas Girard a entamé sa campagne en pensant affronter une Françoise David bien ancrée dans sa circonscription, certes, mais peu connue du grand public. Or, il la termine plutôt avec une Françoise David révélation cathodique, qui a séduit les Québécois.

Ainsi, pour la première fois depuis 1976, Gouin pourrait échapper au PQ.

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Rue Saint-Hubert, près de la voie ferrée. Dépliants à la main, Nicolas Girard avale d'un pas rapide les marches d'escalier. Son rythme est dur à suivre, mais il a de l'entraînement: c'est sa quatrième campagne dans cette circonscription tout en duplex et en triplex.

«Le porte-à-porte, j'adore ça», assure-t-il.

Quand les sonnettes retentissent dans le vide, Nicolas Girard laisse un dépliant sur les poignées de porte des absents. «Bonjour, je suis passé vous voir, Nicolas», s'applique-t-il à écrire sur chacun.

Enfin, la porte vitrée d'un immeuble défraîchi s'ouvre. Au bout du couloir, un homme entre deux âges attend, adossé contre la porte entrouverte.

«Bonjour, je suis votre député Nicolas Girard. Que faites-vous dans la vie?

Rien.»

Le député ne se laisse pas démonter. Il parle des logements abordables, une de ses priorités dans le quartier.

Plus loin, ce sera de taxe santé et de soins à domicile qu'il sera question.

«Il faut rencontrer toute la réalité du quartier», dit-il en s'engouffrant dans une nouvelle cage d'escalier, où règnent une chaleur étouffante et une odeur de mégot. «Malgré les nouveaux condos, il y a des secteurs où les gens ont besoin de popote roulante.»

Plus loin, un résidant l'accueille avec un grand sourire. «Vous savez, vous êtes le seul à être venu ici!», se réjouit-il.

Nicolas Girard est proche de son monde. C'est d'ailleurs son intérêt pour les CPE qui l'a amené à mettre au jour le scandale des garderies, qui a coûté à Tony Tomassi son poste de ministre.

Un fait d'armes marquant pour le PQ, et que le PLQ digère mal: Michelle Courchesne s'est prononcée contre la réélection de Nicolas Girard.

«C'est vous dire à quel point les libéraux me veulent comme trophée de chasse.»

Nicolas Girard s'est aussi investi dans le dossier Aveos, inspirant même à Jean Poirier, leader syndical du sous-traitant d'Air Canada, son passage vers le PQ. Par un drôle de hasard, Jean Poirier affronte maintenant Amir Khadir de l'autre côté de la voie ferrée.

Lui, Françoise David.

«Les gens sont déçus que nous soyons l'un contre l'autre, parce que nous sommes deux candidats de valeur. Ils veulent déloger les libéraux. Mais ça, ce n'est possible qu'avec un gouvernement majoritaire.»

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Deux semaines après le débat des chefs, Françoise David l'admet, elle a toujours le vent dans les voiles. Elle est rayonnante.

«Avant le débat, ça allait bien. Mais là, c'est hallucinant.»

À la sortie du métro Rosemont, où elle distribue des tracts, des sourires larges comme des parapluies se déclenchent à sa vue.

Parce qu'elle a touché leur coeur, les passants lui font part de leurs états d'âme.

«J'ai passé la journée à me dire: mais qu'est-ce que je fais?», l'aborde ainsi Jean-René Deguise, 31 ans.

Comme un homme marié qui se surprend à tomber amoureux d'une autre, il a eu le coup de foudre pour Françoise David au débat. Ses convictions sont ébranlées.

Il poursuit.

«Je n'aime pas ça, le régime de peur, mais je vis un peu ça. Je sais bien que Québec solidaire ne va pas chercher des voix à la Coalition avenir Québec (CAQ)...»

Pour ne pas compromettre le PQ, il compte les circonscriptions, veut choisir prudemment, réfléchir à la meilleure stratégie.

«Vous en faites des calculs, vous là! s'amuse Françoise David. Votez avec votre coeur, vous ne vous tromperez pas!»

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En plus de ses dépliants en français, Françoise David a aussi imprimé quelques encarts traduits en arabe, en espagnol et en anglais.

«C'est un encart, dans un dépliant en français mur à mur», précise-t-elle.

Lors d'une récente fête rue Saint-Hubert, ils ont fait fureur.

«[Les immigrants] savent très bien qu'on est souverainistes, et cela ne leur fait pas peur», dit-elle.

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Le 5 septembre, Françoise David espère prendre le chemin de l'Assemblée nationale avec son co-porte-parole, Amir Khadir.

«Ce serait une force plus grande pour les idées de gauche», croit-elle.

Si le PQ forme un gouvernement minoritaire, une petite délégation de Québec solidaire pourrait appuyer ses positions progressistes.

«Mais s'il a des hésitations sur d'autres dossiers, on va pousser de notre côté», dit-elle.

Les appels au vote stratégique et à l'union des souverainistes n'entament pas son optimisme.

«À droite, il y a la CAQ et le PLQ. Personne ne dit que ce n'est pas correct. Mais à gauche, ce serait diviser le vote! Avoir plusieurs partis est un enrichissement. Il faut arrêter de fonctionner avec les vieux paramètres hérités de l'Empire britannique», croit-elle.

«On va se parler de Gouin. Quelle que soit l'issue, ce sera un député souverainiste. Alors c'est quoi, le problème?»

Face au métro, une publicité pour les dons de sang s'affiche, en lettres rouges et bleues: «David a besoin de vous.»

Cette drôle de coïncidence fait sourire Françoise David.

Dans Gouin, le message semble avoir été reçu.

Population totale: 60 420, dont 42 646 électeurs

5,8 km2

76,2% de locataires (contre 39,8% pour la moyenne québécoise)

76,3% de la population de Gouin est francophone (contre 80,1% pour le reste du Québec), 19,8% allophone

19,9% des habitants sont immigrés (11,5% pour le reste du Québec)

le revenu moyen est de 27 265$, c'est moins que le revenu moyen pour l'ensemble de la province: 32 074$