Au jour 1 de la campagne électorale, le premier ministre Jean Charest voulait faire des élections un référendum sur le conflit étudiant. Le constat, une trentaine de jours plus tard, est que les enjeux en éducation ont été pratiquement absents des débats.

Le fait que la majorité des étudiants et cégépiens en grève a voté pour un retour en classe au cours des dernières semaines, ou à tout le moins une trêve électorale, n'est pas étranger à la situation, croit le politologue Jean-Herman Guay, professeur à l'École de politique appliquée de l'Université de Sherbrooke.

«M. Charest a perdu son principal levier qui était d'opposer la loi et l'ordre au chaos et à la rue. Cette thématique lui a échappé parce qu'elle n'a pas fait la manchette», explique-t-il.

Quant au financement des universités, à la source de la hausse des droits de scolarité et du mécontentement qui a jeté des milliers d'étudiants dans la rue le printemps dernier, le sujet a été complètement occulté.

Dès les premiers jours de la campagne électorale, la Conférence des recteurs et des principaux des universités du Québec (CREPUQ) a pourtant fait parvenir aux chefs des partis un document qui rappelait que le sous-financement des universités est un enjeu majeur de leur développement.

«Ce document n'a eu aucun impact. C'est un coup d'épée dans l'eau», analyse M. Guay en soulignant qu'il s'agit d'un dossier très technique. Le débat a eu lieu [au printemps dernier] et on n'a pas trouvé de solutions.»

Pour le directeur général de la CREPUQ, Daniel Zizian, c'est une déception. «On aurait souhaité qu'on parle de façon plus importante des défis qu'on a à relever et de l'importance d'assurer une formation de qualité pour la relève.»

En 2007-2008, les universités québécoises ont bénéficié de 620 millions de moins que les autres universités canadiennes, rappelle la CREPUQ.

Ce sous-financement chronique a été reconnu par l'ensemble des acteurs du milieu. «Même les associations étudiantes le reconnaissaient», affirme M. Zizian. Depuis le début de la crise, le discours s'est modifié. Les étudiants parlent plutôt de «mal financement».

L'avenir des universités a été occulté par les manifestations du printemps et la position des étudiants. «C'est malheureux, laisse tomber M. Zizian. Le coût le plus important pour un étudiant aux études, ce n'est pas les droits de scolarité, mais le manque à gagner de ne pas être sur le marché du travail», dit-il en rappelant l'importance d'une formation de qualité.

Peu d'intérêt pour les autres enjeux

Les autres enjeux majeurs en éducation ont, pour leur part, été les grands oubliés de cette campagne. La plateforme électorale de chacun des partis contient pourtant des engagements précis en éducation. De façon générale, ils visent à enrayer le décrochage scolaire.

C'est un problème important. À peine 73,8% des jeunes de 20 ans ont obtenu un diplôme d'études secondaires ou une qualification.

Si quelques candidats ont parlé d'éducation lors de débats locaux, les chefs des partis n'ont pas abordé le sujet en détail sur la place publique.

C'est dommage, estime Égide Royer, professeur à la faculté des sciences de l'éducation de l'Université Laval et spécialiste de la question du décrochage.

Avant de parler de droits de scolarité et d'accessibilité à l'université, il faut s'assurer que les jeunes ont la possibilité de poursuivre leurs études jusqu'à ce niveau, note-t-il.

Actuellement, «un garçon sur trois et une fille sur cinq n'ont pas de diplôme à 20 ans», martèle M. Royer.

«L'éducation est le deuxième budget en importance après la santé. [...] On aurait dû nous présenter un plan d'ensemble qui nous dit clairement ce que les chefs vont faire pour intervenir de façon très précoce», ajoute M. Royer.

À titre d'exemple, il rappelle que les difficultés en lecture d'un enfant de 9 ans ont souvent un impact pour toute sa vie.

Il ne s'agit pas seulement de promettre la maternelle aux enfants de 4 ans (Parti québécois) ou d'augmenter le nombre d'heures passées à l'école (Coalition avenir Québec), souligne-t-il. «Il faut savoir ce qu'on y fait.»

«Le problème des campagnes électorales est que tout ce qui est complexe ne peut pas être abordé. On y va avec des mots-clés, pour que ça passe», déplore Catherine Côté, professeure agrégée à l'École de science politique de l'Université de Sherbrooke.

Pas étonnant que les chefs aient plutôt parlé de places en garderie ou de médecins de famille. «Dans l'esprit des gens, ne pas avoir de garderie, ne pas avoir de médecin, c'est concret. Pas besoin de faire un dessin, chaque personne a vécu une situation du genre. Mais quand on parle de réforme, de décrochage scolaire, ce n'est pas très concret», souligne Mme Côté.

Pourtant, certaines idées contenues dans les plates-formes électorales risquent de «changer la nature même de l'école», indique pour sa part Jean-Herman Guay. La Coalition avenir Québec propose notamment d'abolir les commissions scolaires et d'évaluer les enseignants.

Mais pour avoir un débat, «il faut la volonté de plus d'un joueur d'en débattre», lance-t-il.