Jean Charest abat son ultime carte. Avec l'espoir de rallier tous les fédéralistes, il reconnaît désormais possible l'élection d'un gouvernement péquiste, le 4 septembre. Le gouvernement sera libéral ou péquiste, mais François Legault n'a aucune chance de devenir premier ministre, selon lui.

À quatre jours du vote, Jean Charest a jonglé pour la première fois avec le scénario d'une victoire péquiste - que prédisent unanimement les sondages - dans une entrevue à la table éditoriale de La Presse. Selon un sondage CROP publié aujourd'hui, pas moins de 82% des partisans de la Coalition avenir Québec (CAQ) voteraient non au référendum. Ainsi, François Legault gruge clairement dans les appuis fédéralistes monopolisés par le PLQ jusqu'ici. Avec sa sortie, Jean Charest les prévient sans détour: il est le seul fédéraliste qui ait une chance de remporter l'élection.

«Dans ce que je vois, le 4 septembre, il y a deux possibilités: un gouvernement libéral ou un gouvernement péquiste. Ce ne sera pas caquiste. Faites le tour du Québec, la CAQ n'est pas dans l'île de Montréal, elle n'est pas dans l'Outaouais, ni dans l'Estrie, ni dans l'est du Québec, ni dans le Saguenay, ni en Abitibi. Ils ne sont pas présents, ils sont concentrés à certains endroits.

«Dans la réalité, sur le terrain, voter pour la CAQ, c'est aider le PQ à se faire élire», martèle-t-il. S'il retient désormais un scénario où le PQ l'emporterait, il se dit «confiant» de voir élire un gouvernement libéral et refuse catégoriquement de spéculer sur son avenir dans l'éventualité d'une défaite. Il se «concentre sur une chose», son élection à la tête d'un gouvernement. Et il ajoute, sans insister: «J'y crois beaucoup... je suis même très confiant.

«Après neuf ans de gouvernement, les gens s'interrogent, se demandent s'il est temps de faire un changement. C'est légitime, normal comme question, cela ne me choque pas», convient Jean Charest. Mais une fois ce constat fait, les électeurs devraient, selon lui, miser sur le parti qui assure le plus de stabilité, les meilleures chances de croissance économique.

Économie et référendum

Il avoue être un peu médusé de la faible place qu'occupe l'économie dans la campagne électorale, un sujet qui domine celle des Américains. «Ici, nos adversaires n'en ont pas beaucoup parlé parce que notre performance est bonne!», tranche le candidat libéral, qui brandit des données du ministère des Finances.

Il tire à boulets rouges sur la «neutralité» de François Legault dans une éventuelle campagne référendaire. Les Québécois peuvent hésiter, «s'interroger» sur la question nationale, «mais pas les chefs de parti; ils ne peuvent rester neutres sur l'avenir de leur pays». Le premier ministre du Québec «ne peut s'asseoir sur la clôture».

Mais après neuf ans, ce défenseur acharné du fédéralisme ne peut s'engager, s'il est réélu, à faire en sorte que le Québec adhère à la Constitution de 1982. «Ce n'est pas dans nos cartons de rouvrir le dossier constitutionnel», tranche-t-il. Mais depuis 2003, son gouvernement a prouvé que le Canada fonctionne, des transferts en santé jusqu'à la représentation du Québec sur la scène internationale, autant de gains obtenus par Québec, rappelle-t-il.

Crise étudiante

Sur la crise étudiante, il insiste: la loi 12 - le projet de loi 78 - était un passage obligé. Aussi n'est-il pas question de l'abroger plus tôt que prévu [juillet 2013] pour détendre l'atmosphère dans les rapports avec les associations étudiantes. Ironiquement, pour appuyer les manifestants québécois, les organisateurs d'un rassemblement parisien devaient fournir beaucoup plus de détails que les étudiants québécois. «C'était bien davantage qu'un délai de huit heures pour un rassemblement de 50 personnes!», a souligné le chef libéral.

Beaucoup de gens ont trouvé le printemps dernier très dur, «et ils vont aller voter le 4 septembre». En dehors de Montréal, la population a une lecture «totalement différente» des événements du printemps, selon lui.

Interrogé sur son ex-ministre Nathalie Normandeau, qui a accepté des billets de spectacle d'un entrepreneur, Jean Charest se refuse encore à critiquer son ex-collègue, dont l'intégrité et la bonne foi ne font pas de doute, selon lui. Il a appris la chose après coup, dit-il. «Si j'avais été consulté avant, oui, peut être que cela aurait été différent», a-t-il affirmé, refusant de dire si, à son avis, sa ministre avait manqué de jugement.

Il n'est pas responsable du cynisme actuel de la population envers les politiciens, soutient-il. «Toute la classe politique est affectée: on flatte les préjugés et l'épisode de M. Duchesneau parle de lui-même.» Lancer des mises en demeure pour faire taire l'ancien policier? «Il faudrait que je passe la campagne électorale au palais de justice et j'ai d'autres chats à fouetter. Il se dépêtrera avec ses propos», dit-il avec ironie.



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Plaidoyer
pour Montréal

Le problème de la solvabilité des régimes de retraite n'est pas propre à Montréal. L'ensemble du Québec, le secteur public et le secteur privé se retrouvent devant ce précipice. Il faudra trouver une solution d'ensemble, estime le premier ministre Jean Charest, sans toutefois que le gouvernement s'engage à combler ce déficit.

Dans son entrevue accordée à La Presse, Jean Charest indique clairement qu'il n'a pas l'intention de «jouer dans les structures». «On a joué dans ce film-là; l'obsession des structures au Québec peut être assez maladive. Il faut du leadership et faire avancer les projets. On a donné dans les structures», souligne-t-il. Pour lui, il n'est pas nécessaire de réduire le nombre d'élus à Montréal - qui sont 103 -, comme l'envisage François Legault.

Le gouvernement libéral «a beaucoup appuyé Montréal et je ne suis pas de ceux qui disent que quand on fait quelque chose pour Québec, cela est déduit du compte de Montréal» affirme-t-il. Le Quartier des spectacles, la salle de l'OSM, le financement des transports en commun sont des exemples tangibles. De plus, l'injection de fonds publics dans les infrastructures de transport doit être mise dans la balance. «Ce n'est pas seulement pour Montréal, mais c'est beaucoup pour Montréal... la réfection de Turcot, cela ne peut se reporter», rappelle-t-il. Et pas question d'ajouter à la taxe sur l'essence, comme le réclament les maires. Québec a déjà ajouté 1 cent le litre au budget de 2011 et a permis une hausse des coûts d'immatriculation pour les résidants de l'île, rappelle-t-il.

L'administration montréalaise a un gigantesque problème avec la solvabilité du régime de retraite des employés municipaux. C'est aussi le cas de bien des entreprises, observe-t-il. Québec a mis en place un groupe de travail avec l'Union des municipalités du Québec et le ministère des Affaires municipales, qui travaillera de concert avec le comité dirigé par Alban D'Amours. «Mais il n'y a pas de réponse facile», dit M. Charest, qui ne s'engage pas à ce que Québec sorte son chéquier pour éponger le déficit du régime. «Contrairement à M. Legault, je ne vois pas de réponse simpliste à ce problème», conclut M. Charest.