À bord de la fourgonnette qui l'amène rencontrer une cinquantaine de grévistes à Laval, Françoise David, co-porte-parole de Québec solidaire (QS), abandonne une seconde le flegme, la gentillesse et l'étiquette outremontaise caractéristiques de celle qui habite la Petite-Patrie depuis 40 ans. «Le PQ veut nous culpabiliser, il lance son appel: tous au bercail! Mais ça ne marche pas, la culpabilité, cela n'a aucune emprise sur moi!», lance-t-elle, intense.

Le Parti québécois (PQ) n'a que lui à blâmer s'il se retrouve minoritaire, au lendemain des élections. À QS, il n'est pas question de culpabiliser. «On n'a pas à s'excuser d'exister. Le PQ n'a qu'à faire sa job et convaincre les électeurs. Cela s'appelle la démocratie!», dit Françoise David avec assurance.

«Une campagne de peur»

Un gouvernement minoritaire, «ce n'est pas la catastrophe, contrairement à ce que les gens pensent». «Cela va forcer le PQ à nous écouter, à respecter ses engagements.» Encore faut-il que le parti fasse élire plusieurs députés - si la tendance se maintient, c'est bien plus avec la Coalition avenir Québec (CAQ) que devra composer Pauline Marois. Un éventuel gouvernement péquiste risque la paralysie et d'autres élections sont à prévoir dans quelques mois. «Le PQ mène une campagne de peur, de culpabilisation, mais il n'avait qu'à modifier le mode de scrutin, il a eu 30 ans pour le faire», martèle Mme David. Elle travaille fort à augmenter le nombre de votes pour son parti. «Je n'ai pas l'impression de voler qui que ce soit. Il y a des gens au Québec qui ne veulent plus voter PQ! Ont-ils le droit d'exprimer ça?»

À Québec solidaire, on compose déjà avec un gouvernement minoritaire. Au quartier général rue Saint-Zotique, le responsable de l'affichage, Pierre Auger, a prévenu hier une poignée de bénévoles que le 5 septembre, les pancartes devront être décrochées avec soin et entreposées, car «elles pourraient resservir dans un an».

Politicienne hors normes, Françoise David est d'une affabilité sans faille. Elle tient à présenter chacun de ses bénévoles, elle s'enquiert même du nom du photographe, alors que les autres politiciens notent à peine leur présence.

«Plus inspirante» que Marois

Un petit péché d'orgueil pour cette guerrière polie dont la performance au débat télévisé a fait l'unanimité. «C'est sûr que, quand je me fais dire après le débat des chefs que je suis plus inspirante que Mme Marois quand je parle de la souveraineté, quand on parvient à faire des rassemblements de 1500 personnes, il y a des gens qui se posent des questions.»

«Dans ma famille, le respect des gens était très important», expliquera-t-elle plus tard. Le partage aussi. «Ma mère disait qu'il fallait rendre à la société ce qu'on avait reçu», explique-t-elle. Issue d'un milieu très aisé - son père était un cardiologue réputé, nommé au Sénat -, elle a travaillé pour payer ses études. Rien d'ostentatoire, jamais; elle garait toujours très loin la rutilante Oldsmobile que lui avait donnée son père, malade, avant de se rendre à ses réunions de la Fédération des femmes.

C'était l'époque «du pain et des roses». Elle n'a jamais digéré le peu d'empressement du gouvernement Bouchard à répondre aux attentes des femmes. Plus tard, quand on lui a demandé de se porter candidate, sa réponse a été rapide et nette: «Je ne voulais pas me présenter pour le PQ.»

Tentatives de rapprochement

Dans beaucoup de circonscriptions, les votes qu'obtient le candidat de gauche risquent d'être suffisants pour condamner le candidat péquiste à la défaite. Les sondages montrent que QS récolte désormais 15% d'intentions de vote dans l'île de Montréal. Depuis le débat télévisé, bien des candidats péquistes sentent l'adversaire de QS leur souffler dans le cou... Dans Gouin, 678 personnes ont mis une affiche de QS sur leur balcon. «Deux fois plus qu'en 2008! C'est l'effet débat», confie Mme David, encore euphorique.

Des tentatives ont eu lieu pour que les deux partis «progressistes» se rapprochent. Membre d'un comité de stratégie au PQ qui se réunissait tous les trois mois, explique Mme David, Jean-François Lisée avait organisé des rencontres pour discuter d'un éventuel pacte électoral entre les deux partis. «On avait demandé une proposition concrète, à soumettre à nos membres.» Ce fut silence radio. Dans son blogue, le journaliste absoudra plus tard Mme David de garder le cap sur Gouin, une menace sérieuse pour le péquiste Nicolas Girard. «Il a écrit: "Devait-elle attendre un appel qui n'est jamais venu?», récite la co-porte-parole.

Arrivée à Laval, elle participe à une table ronde devant une cinquantaine d'employés de Mapei, usine de ciment à céramique, en grève depuis décembre. Mme David y va d'un plaidoyer bien senti. «C'est l'essence même du capitalisme, une compagnie ne fonctionne pas sur le coeur, mais sur le signe de piastre.» Selon QS, il faut cesser de s'appuyer sur les multinationales. «Après la crise financière de 2008, les entreprises qui ont le mieux résisté sont les coopératives mises sur pied dans les régions», explique-t-elle.

Enfin, quand on lui souligne que son programme prévoit que les hausses d'impôts destinées aux hauts revenus feraient passer le Québec au premier rang en matière de taux d'imposition parmi les 35 pays industrialisés, elle répond sans hésiter: «Cela ne me dérange pas du tout!»