L'ancienne circonscription de Maurice Duplessis est un baromètre: le vote des Trifluviens reflète toujours celui de l'ensemble de la province. Pour l'instant, la candidate du Parti québécois, Djemila Benhabib, séduit les électeurs, mais ils pourraient encore changer d'avis.

Djemila Benhabib? À Trois-Rivières, le nom de la candidate péquiste peut susciter une méfiance xénophobe, exprimée sans embarras.

«J'aime pas qu'une Algérienne vienne nous dire quoi faire chez nous», glisse ainsi une petite femme aux cheveux blancs, croisée au centre-ville.

Plus loin, Marc, 41 ans, est catégorique: il ne votera pas Djemila Benhabib. «Son nom ne me dit rien.»

Son nom, Djemila Benhabib le dit et l'explique pourtant dans ses apparitions publiques. Djemila, dit-elle, veut dire «jolie». Benhabib, «la fille de l'aimé».

En personne, le charme de cette chroniqueuse et fonctionnaire fédérale ne laisse pas indifférent. Attablés autour de cafés dans un centre commercial, six retraités l'accueillent avec de larges sourires. «Elle est jolie», s'émerveille l'un d'eux. Son voisin, sympathisant péquiste, abonde dans le même sens: «Ça serait une bonne députée!»

En dépit de ce que certains propos xénophobes peuvent laisser croire, Trois-Rivières, première ville de l'Empire britannique à avoir voté pour un Juif, au XIXe siècle, n'est pas hostile à Mme Benhabib. Au contraire: un sondage du Nouvelliste la place en tête des intentions de vote.

***

C'est l'effet Djemila... ou l'effet PQ. «Habituellement, les Trifluviens votent pour le parti qui va former le gouvernement», souligne Lucia Ferretti, professeure de l'Université du Québec à Trois-Rivières, spécialiste d'histoire culturelle.

C'est avec un grand sourire que Danielle St-Amand nous accueille dans son local, boulevard des Forges.

La candidate libérale défend avec conviction le bilan de son premier mandat: marquée par l'exode des jeunes et le déclin de l'industrie du papier, Trois-Rivières est en pleine reconversion.

Cette ancienne éducatrice spécialisée, qui a aussi été à la tête du Festival de Saint-Tite et de la Fondation du centre hospitalier de Trois-Rivières, a étroitement collaboré avec les organismes communautaires. Dans la région, son engagement est connu. «Les gens sont reconnaissants, et je crois qu'ils vont continuer à me soutenir», assure-t-elle.

Ses yeux, pourtant, contredisent son sourire. Les sondages l'inquiètent-ils? «On travaille pour gagner des élections, pas les sondages», répond-elle en souriant.

«Moi, contrairement à mon adversaire péquiste, je n'ai pas de cause ni d'intentions cachées. Mon objectif est le même depuis 30 ans: servir les gens de Trois-Rivières. Ils veulent qu'on leur parle de beurre, de pain, de santé, d'éducation. Et c'est ce que je fais depuis 30 ans.»

***

Les livres de Djemila Benhabib contre l'islam* l'ont rendue célèbre. Sans surprise, c'est la promesse d'une Charte de la laïcité qui a marqué son entrée dans la campagne. Certes, son laïcisme a froissé au Saguenay comme au Conseil musulman. Mais il lui vaut aussi les applaudissements de l'homme derrière le code de vie d'Hérouxville, André Drouin.

Toutefois, bien des Québécois issus de l'immigration déplorent la façon dont le PQ aborde la question de l'identité. «La charte ne clarifie pas l'intégration», regrette Kamal Maghri, fonctionnaire fédéral et candidat de l'Union citoyenne dans Hull. Un malentendu que n'apaise pas la candidature de Mme Benhabib. «Les gens de la communauté sont anti-Djemila Benhabib: elle ne représente ni les gens comme moi, athées, ni les musulmans», dit-il.

À Trois-Rivières, Djemila Benhabib n'échappe pas à la polémique. Devant le cégep où elle distribue des tracts, en cette rentrée des classes, un adolescent aborde cavalièrement la candidate, née de père algérien et de mère chypriote: «Mme Benhabib, je suis algérien, et vous êtes une honte pour tous les Algériens», lui lance-t-il.

Plus tard, quand nous évoquons l'incident, Djemila Benhabib soupire: «Je suis une femme, journaliste engagée, et je suis condamnée à mort pour mes écrits. Ce genre de choses n'est pas surprenant.»

Notoriété nationale ou pas, elle assure que ses ambitions sont d'abord ici, à Trois-Rivières.

***

Les murs et le plancher du vaste local électoral de la CAQ sont nus. Seules trônent quelques tables, dépourvues de téléphones et d'ordinateurs. Ce n'est pas que les militants ou l'intérêt des citoyens manquent, assure Andrew D'Amours, candidat de la CAQ. Mais tous travaillent chez eux, armés de cellulaires, de portables et de clés 3G.

Poigne d'homme et regard enfantin, Andrew D'Amours s'est joint à la CAQ alors qu'elle n'était qu'une organisation à but non lucratif. Le jeune homme, consultant en gestion, est crédité de 18% des intentions de vote, selon Le Nouvelliste.

Il compte rafler la mise grâce aux indécis: la moitié des électeurs peuvent encore changer d'avis.

«Les gens veulent du changement, ils veulent passer à un autre gouvernement. C'est sûr qu'on fait beaucoup de travail pour se faire connaître. C'est un travail de longue haleine, mais il y a moyen d'aller chercher des votes», croit-il.

***

Il est bientôt 14h, mais Daniel, entrepreneur à la retraite, et trois de ses amis finissent tranquillement leur repas. À table, la conversation tourne autour des élections.

«La madame du PQ ici, elle est intéressante. Elle est dans un autre pays, elle prend les coutumes. Même qu'elle dit dans son livre que les Arabes doivent respecter nos coutumes», dit l'un des convives. Tous approuvent d'un hochement de tête.

Et la CAQ? «Ils ont mis un jeune», réagit, dépité, un autre convive.

Quant au PLQ, les avis divergent. Certes, Jean Charest traîne des allégations de corruption comme un boulet, mais il s'est tenu debout devant les étudiants. Ça donne envie de voter pour lui.

«Ce serait bon, du sang nouveau», estime toutefois Daniel.

Mais qui? Les choix ne sont pas faits.

Pour le 4 septembre, le coeur des Trifluviens balance encore.

* Ma vie à contre-Coran (2010) et Les soldats d'Allah à l'assaut de l'Occident (2011).

***

TROIS-RIVIÈRES



52 250 habitants, dont 43 252 électeurs

Superficie : 62,4 km2

9% de taux de chômage en 2006 contre 7% dans le reste du Québec

2,6% de la population sont issus des minorités contre 8,8% dans le reste de la province

260 personnes d'origine maghrébine y vivaient en 2006

Revenu moyen: 27 752$, soit près de 4500$ de moins que le revenu moyen au Québec

Source : Données du DGE