On l'a dit et répété, la culture est la grande négligée de la campagne. Et pour cause! Indispensable à notre vie quotidienne et à notre survie collective, elle ne rapporte malheureusement pas beaucoup de votes, s'inscrit mal dans une logique de promesses électorales et peut difficilement rivaliser avec une place en garderie ou un chèque pour les fournitures scolaires.

> Voyez les choix des chefs

Cela ne veut pas dire que les chefs en campagne sont de parfaits incultes allergiques à la chose culturelle. Tout le contraire, en fait, comme en témoigne leurs réponses à notre questionnaire. De manière générale, les habitudes culturelles des six chefs de parti sont à l'image de leurs couleurs politiques et de leurs visées électoralistes.

Personne ne sera surpris d'apprendre que la pièce choisie par Pauline Marois est la comédie musicale Belles-Soeurs, que Jean Charest a lu Robert Bourassa de Georges-Hébert Germain, que Fred Pellerin est l'artiste qui inspire Françoise David ou que le tableau préféré d'Amir Khadir est La liberté guidant le peuple d'Eugène Delacroix. On parle ici évidemment de l'original et non de sa parodie qui, au grand dam de certains, orne un mur de sa maison du Plateau.

Mais les réponses à ce questionnaire nous réservent quand même quelques surprises. On y découvre notamment la cinéphilie de Jean Charest qui, malgré son horaire chargé, a trouvé le temps d'aller voir le dernier Woody Allen et Carnage de Roman Polanski. On aurait pu penser que le chef du Parti libéral serait un amateur de films de superhéros américains, on constate que c'est plutôt le lot de Jean-Martin Aussant, qui craque pour Spider-Man, Iron-Man et les tous autres Capitaine America de la collection Marvel.

Les choix du chef d'Option nationale sont d'ailleurs les plus surprenants, surtout pour un pur et dur qui estime être à la tête du seul vrai parti souverainiste. Souverainiste peut-être mais plus friand de culture anglo-saxonne que québécoise. Le dernier livre qu'il a lu est la biographie de Bill Hicks, un stand-up comic américain. Son dernier spectacle est celui de Seal, le prince de la soul-pop américaine et sa plus récente soirée cinéma, Aussant l'a passée avec The Avengers plutôt qu'avec Laurence Anyways de Xavier Dolan.

Quant à François Legault, ou bien il a d'excellents assistants qui lui ont soufflé à l'oreille ce qu'il fallait avoir vu cette année ou bien il est doté d'un réel flair pour ce qui fait un tabac. Dans sa sélection éclectique, le dernier tube d'Adele côtoie Monsieur Lazhar de Philippe Falardeau, Les Mémoires d'Hadrien de Marguerite Yourcenar rencontre Le cycle des femmes de Wajdi Mouawad, le piano d'Alain Lefèvre résonne dans la Maison symphonique tout comme la voix de Marc Hervieux. Ne manque à François Legault qu'Arcade Fire (le choix d'Amir Khadir) pour être tout à fait dans le coup.

Parmi les artistes québécois admirés par les chefs, un nom triomphe: celui du metteur en scène Robert Lepage, choisi trois fois sur six comme l'artiste le plus inspirant. Grâce à lui, Pauline Marois, Jean Charest et Jean-Martin Aussant se retrouvent pour une rare fois sur la même longueur d'onde, ce qui est tout à l'honneur de Lepage même si certains diront qu'un artiste qui fait à ce point l'unanimité est mûr pour le musée.

Comme ils manquent de temps et que leur métier, c'est de faire de la politique et non du dépistage de jeunes talents, les chefs de parti ne sont pas très aventureux culturellement. Aucun d'entre eux n'a choisi la SAT (Société des arts technologiques), où bouillonne la culture numérique de demain. Même silence radio pour le centre pluriforme PHI où pour les jeunes créateurs émergents de la Fonderie Darling ou de Moment Factory, comme si ce monde foisonnant et créatif était un univers à part et sans lien avec la culture. Espérons qu'à ce sujet, les chefs verront un jour la lumière.

Notre questionnaire n'aurait pas été complet sans au moins une question sur les priorités des chefs pour la culture. À ce chapitre, nous avons constaté une improbable alliance entre Jean Charest et Pauline Marois, qui plaident tous les deux pour un meilleur rayonnement des artistes, chez nous comme à l'étranger. L'autre alliance improbable réunit Françoise David, François Legault et Jean-Martin Aussant qui prêchent tous les trois pour l'augmentation des sorties et des activités culturelles au primaire et au secondaire. Seul Amir Khadir s'intéresse au sort des artistes et réclame en leur nom de meilleures conditions de vie.

Ce n'est pas la première fois que les goûts culturels des chefs sont sondés. Je me souviens encore des réponses un brin douteuses de Mario Dumont qui s'était vanté d'adorer le théâtre. La preuve, il venait d'aller voir Dracula. Jean Charest pour sa part avait sans doute sidéré tous les écrivains québécois en répondant que le livre qu'il aurait voulu écrire était... un bon livre de recettes. C'était il y a cinq ans. Depuis, force est de constater que les chefs ont évolué. Culturellement du moins.