Le public observe la scène comme un bon match de boxe, mais les protagonistes jouent leur vie, ou presque: contrairement à la boxe, il n'y a pas de combat-revanche pour le politicien qui se fait mettre K.-O. dans un débat télévisé. Habituellement, il n'y a qu'un débat par campagne. Cette fois, il y en aura quatre, et Jean Charest montera trois fois dans le ring d'ici à jeudi.

Ceux qui suivent de près la politique peuvent presque réciter de mémoire les tirades importantes: Brian Mulroney qui, en 1984, avait lancé au visage du libéral John Turner, qui avait cautionné une longue liste de nominations partisanes: «Vous aviez le choix, vous auriez pu dire non aux vieilles pratiques du Parti libéral!» Au Québec aussi, ces combats singuliers ont parfois été des moments d'intensité télévisuelle. Fine mouche, Robert Bourassa avait voulu déconcentrer Jacques Parizeau, au débat sur Charlottetown, en 1992. Trente minutes avant le débat, il était allé visiter le chef péquiste dans sa loge pour échanger longuement sur la pluie et le beau temps.

En 2003, Jean Charest avait ébranlé Bernard Landry en sortant de sa manche une déclaration controversée de Jacques Parizeau - en fait, une bien vague manchette glanée quelques heures plus tôt sur le web. Le premier ministre reçut la monnaie de sa pièce au débat suivant, en 2007: cette fois, Mario Dumont avait brandi une note embarrassante des ingénieurs de Transports Québec. «Vous tirez un lapin de votre chapeau!», avait accusé Charest, secoué. En 2003, après le débat, les intentions de vote pour le PQ s'étaient rétrécies comme peau de chagrin. En 2007, Jean Charest n'a obtenu qu'un mandat minoritaire - le jeune Dumont allait ramener avec lui 40 députés à l'Assemblée nationale.

Depuis samedi, Jean Charest, Pauline Marois, François Legault et Françoise David préparent fébrilement ce passage déterminant de la campagne électorale. Coup d'oeil sur les méthodes de préparation des chefs.

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Parti libéral du Québec

À cause de sa fonction, Jean Charest maîtrise déjà passablement les dossiers. Comme premier ministre, il est susceptible d'avoir à répondre quotidiennement à des questions imprévues. L'équipe libérale est dirigée par Mario Lavoie, un fidèle emmené d'Ottawa dès 1998, toujours resté au cabinet de M. Charest. Michel Bissonnette, responsable de la campagne, et Dan Gagnier, le chef de cabinet, seront aussi du groupe.

Jean Charest s'attend bien à être la cible de tous ses adversaires, explique Hugo d'Amours, attaché de presse de M. Charest. «C'est rare qu'un chef de gouvernement, quel qu'il soit, sorte gagnant d'un débat. On cherche avant tout une bonne performance et sortir avec un match nul, explique-t-il. Il n'y a pas de K.-O. Si les gens sont là comme chefs, c'est qu'ils ont de l'expérience et des capacités.» On comprend que les attentes seront naturellement élevées pour Jean Charest, alors que personne ne s'attend à ce que, néophyte, François Legault écrase ses adversaires.

Les libéraux sont, plus que les autres, discrets sur la préparation de leur champion. «Ne vous attendez pas à ce qu'on fasse À hauteur d'homme!», dit-on en référence au documentaire de Jean-Claude Labrecque sur les coulisses de la campagne Landry de 2003, qui avait montré le chef se préparant au débat.

Pas de «simulation» du côté du PLQ, pas question non plus de visionner les précédents débats. Parmi les chefs de parti, c'est celui qui s'est prévu le moins de temps pour préparer l'affrontement: il a encore fait campagne samedi. Il a réuni sa demi-douzaine de conseillers en après-midi, une rencontre qui se poursuit ce dimanche matin. Pour le débat de dimanche soir, le hasard a voulu qu'il ne parle pas d'économie avec Pauline Marois. Sur la gouvernance, il affrontera Mme Marois, mais pas François Legault. Sa préparation doit en tenir compte. «Il faut prévoir les coups, savoir par exemple combien de personnes il y a sur les listes d'attentes en santé», observe Michel Bissonnette. Pour les débats de TVA, tous les thèmes seront abordés avec les deux adversaires, des duels de 10 minutes, une fois soustrait le temps de présentation... et de publicité.

Photo: PC

Jean Charest, chef du Parti libéral du Québec

Parti québécois

Depuis vendredi après-midi, Mme Marois potasse les dossiers préparés par la petite équipe formée bien avant le déclenchement des élections, autour de Stéphane Gobeil, l'habituel rédacteur de discours. Un cahier et des fiches sont déjà préparés depuis plusieurs jours, qu'elle repassera avec une demi-douzaine de conseillers.

«Pour Mme Marois, le défi sera de rester centrée sur les vrais enjeux. On ne veut pas que le débat devienne un concours, une surenchère de punch lines», souligne Shirley Bishop, responsable des communications dans la campagne péquiste. Mme Marois, qui est en avance dans les sondages, risque d'être la cible des attaques de ses adversaires. Elle connaît les attitudes de Jean Charest, à qui elle fait face depuis trois ans à l'Assemblée nationale: c'est un vrai Houdini quand on lui pose une question embarrassante. Elle connaît aussi François Legault, dont elle était collègue au gouvernement péquiste. On se prépare à ressortir ses volte-face, à le pousser dans le coin pour qu'il dise où il prendra l'argent pour ses 94 engagements.

Mme Marois n'a pas à «apprendre» ses dossiers; il s'agit surtout de peaufiner ses répliques. Des simulations de débats ont déjà été faites, elle a même visionné des débats passés. Elle avait eu une performance sans faux pas en 2008. Elle n'oubliera pas sa marche de santé, une détente à l'approche d'un moment toujours très stressant. «Il y a toujours une part de trac, mais c'est comme pour les comédiens, il faut une part de trac pour bien performer», dit Mme Bishop.

Son mantra en entrant dans le studio? Des réponses plus courtes, des déclarations plus fermes qui ne se terminent pas de façon évasive. L'objectif de Pauline Marois au terme de l'affrontement est «de démontrer qu'elle est le mieux à même de remplacer Jean Charest comme premier ministre».

Photo: Reuters

Pauline Marois, chef du Parti québécois

Coalition avenir Québec

Pendant un moment, le député de la CAQ Éric Caire sera premier ministre! C'est lui qui jouera le rôle de Jean Charest dans les simulations organisées pour préparer François Legault. Le chef de la CAQ a aussi visionné des débats antérieurs pour se sensibiliser à la rapidité des échanges. Singularité importante, il est le seul à ne jamais avoir fait de débat, rappelle son conseiller Martin Koskinen. Samedi, comme les autres chefs, il s'est rendu aux studios de télé, histoire de se familiariser avec les lieux.

C'est Mario Bertrand, qui avait le plus d'expérience - il était aux côtés de Robert Bourassa - qui s'est chargé de la petite équipe du débat. C'est aussi lui qui a négocié avec les réseaux: Legault n'a pas réfléchi longtemps avant d'accepter trois débats. Loin derrière ses adversaires en début de campagne, il avait tout à gagner. Nathalie Verge, responsable du contenu, a produit des fiches que le chef assimile déjà «depuis quelques semaines», explique Koskinen. «Notre objectif est qu'il soit le plus à l'aise possible dans le débat. Comme il n'en a jamais fait, il faut le familiariser avec le plateau, l'éclairage, pour qu'il ne soit pas agacé par quelque chose au moment des échanges.»

Le mantra que se répétera François Legault en entrant dans le studio: «Raccourcir les réponses, ramasser le message, passer ton idée rapidement parce que tu risques de te faire interrompre.» Cette semaine, M. Legault ne cachait pas qu'il sentait beaucoup de pression: «Ce sera mon premier débat, c'est un moment-clé pour la suite des choses.» Il aura passé les journées de vendredi et de samedi en «briefing», mais on veut lui laisser le plus de temps de repos possible avant l'affrontement de dimanche.

On ne veut surtout pas essayer de changer Legault, qui peut hausser le ton rapidement. Pour changer profondément les réflexes de quelqu'un, il faudrait des mois d'entraînement. Or, il faut d'abord qu'il reste le plus naturel possible: «Si cela avait l'air phony, cela ne passerait pas la rampe.» Et Jean Charest est un adversaire redoutable, qui peut amener l'adversaire sur un terrain où il ne veut pas aller. Avec Mme Marois, seule femme, «il faut être ferme, convaincant mais toujours respectueux.»

Photo: PC

François Legault, chef de la Coalition avenir Québec

Québec solidaire

Une petite équipe entoure Françoise David et lui prépare des fiches sur les différents enjeux. Il y a plus d'un an, quand les rumeurs d'élections ont apparu, Amir Khadir avait déjà annoncé que c'est sa collègue qui irait au débat. Décision surprenante puisqu'il est le plus aguerri, avec trois ans d'échanges à l'Assemblée nationale. Mais Mme David, qui cherche pour la troisième fois à se faire élire dans Gouin, a plus à gagner que lui de cette tribune «extraordinaire» pour le jeune parti politique.

Elle n'a pas de gourou de l'image, mais on lui a préparé des répliques. Pas question d'assommer l'adversaire: Mme David veut que le débat serve avant tout à «marquer la différence de Québec solidaire» en présentant son projet de société. Elle travaille au débat depuis vendredi et poursuivra jusqu'à dimanche matin. Ses proches savent qu'elle voudra probablement faire une randonnée en nature pour évacuer le stress dans les heures précédant le duel.

Photo: Marco Campanozzi, La Presse

Françoise David, porte-parole de Québec solidaire