Au plus fort de la grève étudiante, les jeunes Québécois ont été plus nombreux dans la rue qu'ils l'ont été dans les bureaux de vote aux dernières élections provinciales. Et il y a eu les manifestations nationales, les marches nocturnes et les rendez-vous de casseroles, qui ont réuni encore plus de gens. À moins d'un mois des prochaines élections, les partis politiques de gauche tentent maintenant de canaliser cette mobilisation historique vers les bureaux de scrutin. Le défi reste entier. Si les 18-24 ans sont plus politisés que jamais, ils sont aussi nombreux, désabusés ou simplement indifférents, à ne pas vouloir voter.

Mercredi, 8h30. Manon Massé, candidate de Québec solidaire dans Sainte-Marie-Saint-Jacques, fief des traditionnelles manifestations nocturnes, distribue des brochures aux passants devant la station de métro Papineau. À ses côtés: quatre militants, dont trois portent le carré rouge. Il y a Rachel Vanier, étudiante en communications à l'UQAM, Patrice Gagnon, candidat dans Bourget, et Philippe Ethier, étudiant en sociologie et ancien élu de la Coalition large de l'Association pour une solidarité syndicale étudiante (CLASSE). C'est la première fois qu'il s'engage ainsi. «Le temps était venu», explique-t-il simplement.

En tout, ce sont 130 bénévoles qui travaillent pour la campagne de Manon Massé. «Je n'ai jamais vu ça», reconnaît-elle. Du lot, 40% sont de nouveaux visages et 80% sont de jeunes électeurs. «C'est eux qui sont venus vers nous», précise la candidate.

Même chose au Parti québécois, qui bataille pour rallier le vote des étudiants. L'aile jeunesse dit avoir récolté 500 nouveaux militants au cours du dernier mois grâce à une campagne sur Twitter. «Habituellement, on a une nouvelle inscription par mois», note le président du comité national des jeunes du Parti québécois, Alexandre Banville. La candidature de Léo Bureau-Blouin, ex-président de la Fédération étudiante collégiale du Québec (Fecq), a peut-être quelque chose à voir dans cet engouement soudain. «Ça donne un message très positif. Même avec sa position très ferme sur le gel des droits de scolarité, il a choisi l'action politique», dit M. Banville. M. Bureau-Blouin, qui se présente dans Laval-des-Rapides, compte sur une escouade de quelque 150 bénévoles, dont beaucoup sont étudiants.

C'est indéniable, la jeunesse québécoise s'est éveillée à la politique au cours du fameux printemps érable. «Beaucoup de gens ont assisté cette année à leur première assemblée générale. Certains ont aimé l'expérience et d'autres, non, mais tous ont ainsi contribué à un mouvement social, explique le directeur général de l'Institut du Nouveau Monde, Michel Venne, qui se penche sur la participation citoyenne. D'autres personnes ont manifesté pour la première fois, ou ont regardé avec désaccord les manifestations à la télévision. D'une manière où d'une autre, ils ont eu un contact avec la vie politique.»

Il reste à les mobiliser pour qu'ils transportent leurs convictions jusqu'aux urnes. Et ils n'en ont pas l'habitude. En 2008, seuls 36% des 18-24 ans ont exercé leur droit de vote, l'équivalent d'environ 208 000 voix. Ils étaient plus de 316 000 au plus fort du conflit étudiant. Sans compter les casseroles dans tous les coins de la province. Pour les pousser à faire entendre leur voix, associations et organismes de toutes sortes multiplient les campagnes de sensibilisation.

Les fédérations étudiantes ont lancé au début de la semaine le site web votons.net, où leurs membres sont invités à s'engager formellement à voter le 4 septembre. L'Institut du Nouveau Monde mise également sur une nouvelle campagne web qui met en scène des personnalités connues, dont Joannie Rochette ou André Sauvé, et qui s'adresse sur un ton humoristique directement à la jeunesse. L'organisme planifie aussi des débats entre candidats dans plusieurs lieux d'enseignement. «On va voir les jeunes là où ils sont, en classe et sur les réseaux sociaux, et les politiciens devraient faire de même», recommande Michel Venne. Dans les partis aussi, on cible l'électorat dans la vingtaine. Certains distribuent des feuillets pour leur rappeler de faire leur changement d'adresse ou prévoient tenir des stands dans les écoles.

Mais ce n'est pas tout de convaincre les jeunes électeurs de se prononcer. Encore faut-il qu'ils sachent pour qui. «Les jeunes qui sont sortis dans les rues ne se sentent pas écoutés par les partis politiques, note le professeur François Gélineau, titulaire de la chaire de recherche sur la démocratie et les institutions parlementaires. Les politiciens doivent les écouter sérieusement s'ils veulent aller chercher leurs votes.»

Chez les 18-24 ans, même parmi les plus mobilisés, le désabusement et la méfiance sont palpables. «Certains me disent que la politique n'est pas à la hauteur et qu'ils ne voteront pas par conviction, s'inquiète Manon Massé, qui a pourtant manifesté avec plusieurs d'entre eux. Ils me remercient d'être dans la rue, je leur réponds qu'ils doivent m'élire s'ils veulent que je puisse changer les choses.»

Même Gabriel Nadeau-Dubois refuse de dire s'il votera le 4 septembre. «On ne donne aucune consigne à nos membres sur le vote, alors je préfère ne pas me prononcer, même si j'ai pris ma décision, explique l'ex-porte-parole de la CLASSE. Le vote est un choix individuel. C'est une manière de se faire entendre, mais il en existe d'autres qui conviennent plus à certaines personnes.»

«Ne pas voter par conviction, c'est se tirer dans le pied. C'est un véritable suicide générationnel», répond Michel Venne, qui assure que seule une minorité d'électeurs adopte une telle stratégie. «La plupart ne votent pas simplement par désintérêt.» Il croit toutefois que cette indifférence sera moindre chez les jeunes aux prochaines élections. «La mobilisation devrait créer un certain effet de contamination qui risque d'avoir un effet positif sur le taux de participation.» Bémol: «On ne peut pas espérer que les élections règlent le malaise politique d'un coup. Mais le seul moyen de changer les choses est de l'intérieur», affirme François Gélineau.