Moins de deux mois après l'entrée en vigueur de la loi contre la fraude dans l'industrie de la construction (35), le cabinet d'avocats Fasken Martineau a expliqué à ses clients qu'il existait des failles leur permettant d'éviter de perdre des contrats publics.

Adoptée le 7 décembre dernier, la loi resserrait les règles d'attribution des licences de la Régie du bâtiment du Québec (RBQ). Désormais, toutes les entreprises condamnées pour fraude fiscale sont frappées de l'interdiction de participer aux appels d'offres publics. Leurs contrats en cours peuvent même leur être retirés.

Dès le 3 février 2012, Fasken Martineau faisait une présentation à ses clients du domaine de la construction pour leur expliquer qu'il existait des «stratégies de contournement». «Certaines entreprises susceptibles de perdre un contrat public ou de ne pas l'obtenir pourraient contourner les effets de la loi en modifiant leur structure organisationnelle.»

Une copie de la présentation découverte en ligne par Projet Montréal ne détaille pas les mesures à prendre, mais conseille aux clients de «demander l'aide d'un professionnel».

Pour illustrer le fait qu'il est possible d'éviter d'être touché par la loi, Fasken Martineau cite en exemple «le cas de l'entreprise Soter». Cette société avait en effet vu sa licence restreinte, mais un changement dans la liste de ses dirigeants lui a rapidement permis de recouvrer le droit de décrocher des contrats publics.

La présentation d'une trentaine de pages était avant tout destinée à présenter aux clients de Fasken Martineau les plus récents changements dans l'attribution des licences de la RBQ. Une section intitulée «Les limites de la loi 35» s'attarde sur ses «difficultés d'application». On y souligne que Montréal n'a pas résilié un seul contrat bien que plusieurs des entreprises avec lesquelles elle fait affaire se sont retrouvées sur la liste noire de la RBQ.

Au-delà des «stratégies de contournement», la firme avance également que la constitutionnalité de la loi pourrait être contestée devant les tribunaux en raison du caractère vague de certaines dispositions. Fasken Martineau ajoute que l'interdiction de répondre aux appels d'offres représente une «double punition», ce qui est normalement proscrit.

Projet Montréal indigné

Ce document émerge alors que La Presse a révélé hier qu'une firme soeur de Terramex, condamnée pour fraude fiscale, a décroché un important contrat avec la Ville de Montréal. En février, un de ses propriétaires a fondé une nouvelle entreprise au nom similaire, Terramex Aménagmeent Urbain, pour obtenir une nouvelle licence de la RBQ et ainsi répondre aux appels d'offres de la métropole.

«Le cas de Terramex est d'autant plus emblématique que c'est sa peine de sept jours de suspension qui avait conduit la ministre du Travail à proposer la loi 35. Mais là, on voit avec quelle facilité déconcertante la loi peut être contournée», s'indigne Richard Bergeron, chef de Projet Montréal.

«On a la preuve avec le document de Fasken Martineau que les entreprises en cause font appel aux meilleures compétences juridiques disponibles. Elles sont capables de payer les honoraires», dit Richard Bergeron.

L'opposition officielle estime quant à elle «essentiel que la loi 35 soit resserrée», dit Olivier Lapierre, attaché de presse de Louise Harel. Vision Montréal dit en avoir fait part aux chefs des six partis politiques dans le cadre de la campagne provinciale.