Quand il a entendu Jean Charest s'accorder une note de huit sur dix pour la lutte à la corruption, le ciel s'est déchiré au-dessus de la tête de Jacques Duchesneau. Subitement, l'ancien policier a compris qu'il devait poursuivre sa mission et s'engager dans le sentier périlleux de la vie politique.

C'est du moins ce qu'il aimerait nous faire croire. Mais le nouvel Eliot Ness est un maître du marketing politique. Des allégations à l'emporte-pièce, des déclarations percutantes, mais rarement des faits concrets. Devant la commission Charbonneau, en juin, le responsable de la lutte à la collusion au ministère des Transports avait lancé qu'un «grand nombre d'entreprises québécoises du domaine de la construction entretiennent des liens avec des organisations criminelles». «Un grand nombre? Combien? Avez-vous des noms?» Même la juge n'a pu arracher de précisions au témoin assermenté qui était devant elle. En point de presse, même les journalistes les plus tenaces ne pourront en obtenir davantage.

Il n'est pas non plus à l'abri des gaffes. Par le passé, il a en effet donné de l'argent à tous les partis, et il soutenait hier que s'il avait voulu se cacher, il aurait fait ces dons par l'entremise de sa conjointe. Ses conseillers lui ont probablement rappelé depuis que cela aurait été totalement illégal.

François Legault vient assurément d'abattre une carte maîtresse avec la candidature de Jacques Duchesneau. Les conséquences immédiates sont évidentes. Jean Charest voulait balayer sous le tapis le dossier, radioactif, du trafic d'influence dans l'attribution des contrats, mais voilà qu'il aura parmi ses adversaires celui qui a fait de l'intégrité son brand, sa marque de commerce. Jean Charest verra quotidiennement au petit écran l'ex-policier, qui s'est construit une réputation béton, une enviable notoriété... grâce au mandat que son gouvernement lui a confié.

Mais plus profondément, Jacques Duchesneau, avec son statut d'ex-policier, permettra à François Legault de marquer des points sur le thème de la «loi et l'ordre», de tirer profit de la stratégie patiemment mise en place depuis des mois par Jean Charest. À côté, Robert Poëti et Guy Ouellet, aussi d'anciens policiers, auront l'air de sortir des Enquêtes Jobidon.

Pauline Marois avait l'air bien déstabilisée, hier, avec sa valse-hésitation pour commenter l'atterrissage du nouveau caquiste - qu'elle a décidé de ne même pas nommer. Elle aura beau dire qu'il faut plus qu'un individu, qu'une équipe, pour «faire le ménage», mais avec Jacques Duchesneau, François Legault vient de lui arracher le balai des mains. Dans les officines péquistes, l'inquiétude est désormais évidente.

Curieux personnage

Bien curieux personnage que cet ancien policier, qui a eu la trempe, il y a 30 ans, de faire arrêter son patron, Henri Marchessault. Le responsable de l'escouade des stupéfiants revendait la cocaïne et le haschisch saisis par ses agents. Il a pris 14 ans, et Duchesneau... du galon.

Après une difficile campagne à la mairie de Montréal, une sortie compliquée de l'Administration canadienne de la sécurité aérienne, M. Duchesneau rongeait son frein - il n'avait pas été retenu pour diriger la GRC et on l'avait ignoré pour le poste de patron de l'Unité permanente anticorruption.

L'entourage de François Legault assurait hier avoir enquêté sur l'enquêteur - des interrogatoires touffus avec Martin Koskinen, le bras droit de M. Legault. Montréal fourmille de rumeurs... Tony Accurso aurait généreusement financé sa campagne à la mairie? Tony Tomassi était l'un de ses organisateurs? L'ex-policier a juré qu'il n'a été informé de rien de répréhensible concernant le financement de sa campagne contre Pierre Bourque. Le Directeur général des élections a même refait enquête récemment, sans rien trouver. Il a aussi soutenu n'avoir jamais rencontré le futur ministre Tomassi à l'époque.

Ses déboires à l'Agence canadienne de sécurité aérienne sont mieux documentés. L'ex-sous-ministre des Transports du Canada, Louis Ranger, aujourd'hui à la retraite, avait déclenché une enquête. En conclusion de cette enquête, pas de malversation, mais Duchesneau s'est révélé un bien piètre gestionnaire - loin du joueur d'équipe qu'il a décrit en point de presse hier. Le gouvernement Harper l'avait congédié.

Patience....

Jean Charest a dit hier qu'il avait retenu que Jacques Duchesneau avait fermé la porte à la politique en juin, après avoir comparu devant la commission Charbonneau. François Legault est un pêcheur plus patient, il faut du temps pour ramener un tel saumon.

Mario Bertrand, ancien chef de cabinet de Robert Bourassa devenu stratège caquiste, connaissait l'ex-policier depuis 25 ans - ils avaient tous deux fait du bénévolat pour la lutte à la toxicomanie. Dans un premier temps, on a convié l'ex-policier pour avoir son avis sur le projet de loi anticorruption, la «loi numéro un» d'un gouvernement caquiste. C'était il y a quelques semaines, mais on sentait alors que la porte n'était plus fermée.

Il y a deux semaines, Mario Bertrand est parvenu à joindre Duchesneau sur son cellulaire - il avait prévu d'aller voir son fils en Colombie-Britannique pendant plusieurs semaines. Duchesneau accepte de revenir pour une rencontre avec François Legault. Il est ferré. Mais avant d'accepter formellement, l'ex-policier demande de voir les livres du parti. Son fils, Me Jean-Philippe Duchesneau, et un autre avocat y jetteront aussi un coup d'oeil.

La présence de Marc Deschamps comme agent officiel - M. Deschamps fait le même travail pour le parti de Gérald Tremblay, et fait partie du comité qui a choisi l'entrepreneur pour le Faubourg Contrecoeur - provoquait chez lui un malaise, puisque ce dernier risque d'être appelé à témoigner dans un procès à venir. Même s'il n'a absolument rien à lui reprocher, François Legault accepte de le sacrifier.

En promettant d'en faire son vice-premier ministre, François Legault vient d'accroître l'impact de cette candidature. Les élections ont été déclenchées mercredi. Mais la guerre a commencé hier.