La justice est le parent pauvre de la campagne électorale, dit le Barreau du Québec. L'organisme qui regroupe 25 000 avocats cible plusieurs enjeux: problèmes d'accès à la justice, retard technologique important, manque d'éducation juridique dans les écoles et nécessité d'un sommet de la justice. Quatre questions à la bâtonnière du Québec, Johanne Brodeur.

Q Vous ciblez plusieurs enjeux auxquels les partis devraient s'intéresser, mais quel est LE problème de notre système de justice auquel le parti qui sera au pouvoir devra s'attaquer en premier?

R L'informatisation du système de justice. Ça permettrait un accès plus facile, non seulement pour les avocats, mais aussi pour le public. Le public aurait moins de frais juridiques à payer parce que l'avocat n'aurait pas à se déplacer pour faire certaines demandes. Plusieurs services juridiques devraient maintenant être en ligne.

À titre d'exemple, il existe la liste des causes qui doivent passer devant les tribunaux chaque jour, ce qu'on appelle le rôle. Or, le rôle n'est pas en ligne. Tous les avocats se présentent le matin à la cour et doivent attendre leur tour. Si on pouvait suivre le rôle en ligne comme ça se fait à Paris, l'avocat ne facturerait pas à son client des honoraires pour tout le temps qu'il perd à attendre son tour. L'avocat pourrait se présenter à la cour seulement à l'heure où la cause est prévue.

Q Vous demandez au parti qui sera élu de mettre fin à la «justice de seconde zone» dans le Grand Nord québécois. Donnez-nous des exemples de ce qui vous indigne là-bas.

R Lorsque la cour itinérante se déplace dans les communautés nordiques, les infrastructures ne sont pas adéquates. Récemment, la cour s'est rendue à Inukjuak. Les audiences ont eu lieu dans un aréna. Des enfants se sont déplacés avec une pancarte: «C'est notre aréna, ne revenez plus». On est aussi allés chez les Naskapis où les audiences ont lieu dans un OTJ dans lequel il n'y a aucune salle pour qu'un avocat rencontre son client. Les rencontres se passent dans les toilettes à condition que l'avocat et son client soient du même sexe, sinon dans un local qui sert d'entrepôt pour les bêtes abattues durant l'hiver.

Q Vous avez salué les efforts pour rendre la justice plus accessible dans le nouveau Code de procédure civile adopté juste avant les élections, mais vous pensez que le gouvernement peut en faire plus. Que manque-t-il, à votre avis?

R Le budget de la santé est d'environ 42% alors que celui de la justice est de grosso modo 1,12%. On est très loin derrière d'autres dépenses. Pour les gens à faible revenu, il y a eu une hausse des seuils d'aide juridique qu'on salue. Maintenant, il est grand temps de penser à la classe moyenne. On souhaite que les partis prennent position en faveur de la défiscalisation des frais d'avocats payés par les citoyens. Les entreprises, elles, y ont droit. L'exemple le plus criant est celui de l'auteur Claude Robinson. Cinar a pu déduire de ses impôts ses frais d'avocats et même bénéficier d'un remboursement de taxes alors que Robinson, lui, n'y a pas eu droit.

Q Le Barreau du Québec a déposé un mémoire qui écorche le projet de Charte de la laïcité du Parti québécois (PQ) en concluant qu'il ne passerait pas le test des tribunaux. Or, malgré vos demandes, vous n'avez pas été entendu lors des audiences publiques de la commission parlementaire avant le déclenchement des élections. Pensez-vous que le Parti québécois craint votre analyse critique de son projet?

R J'ai demandé d'être entendue le plus rapidement possible après que notre mémoire eut fait l'objet d'une fuite dans les médias - ce qui nous a choqués, d'ailleurs. On me l'a refusé. On m'a expliqué que la politique était d'entendre les groupes selon l'ordre de réception des mémoires. On était déçus de ne pas pouvoir faire valoir notre point de vue avant les élections. Je ne pense pas que le PQ craignait notre mémoire, mais il savait que c'était une analyse étayée de la jurisprudence.