Tout juste avant le déclenchement des élections, le ministère des Finances a modifié ses règles d'interprétation pour l'attribution de crédits d'impôt pour les entreprises de production télévisuelle. Conséquence immédiate: Productions J, de Julie Snyder, auront droit tout de suite - et non pas dans seulement 24 mois - à d'importants remboursements fiscaux pour ses coûts de production.

Depuis des années, la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC) fermait la porte aux télédiffuseurs pour que les crédits d'impôt soient réservés aux producteurs d'émissions. Parce qu'elle était liée à Pierre Karl Péladeau, propriétaire de TVA, Julie Snyder ne pouvait obtenir ce crédit d'impôt pour les coûts de réalisation de Productions J. Or, le couple a annoncé par communiqué sa séparation le 10 janvier.

Dans son bulletin d'information du 28 février, le ministère québécois des Finances propose des «assouplissements» aux crédits d'impôt remboursables. Ces mesures «seront modifiées afin d'y remplacer le lien de dépendance par le critère des sociétés associées», écrit le ministère des Finances. Pour les producteurs touchés, on parle de beaucoup d'argent. Le crédit d'impôt de 17,5% réduit d'autant les coûts de production de l'entreprise. Pour Productions J, l'avantage représente plusieurs millions.

La SODEC s'est contentée de commentaires laconiques hier. «Il y a eu un bulletin d'information émis par les Finances qui comporte des changements. C'est le fruit d'échanges entre la SODEC et le ministère de la Culture, mais je n'en connais pas la teneur», a résumé Isabelle Mélançon, la porte-parole de la SODEC.

Des sources gouvernementales ont cependant confié à La Presse que l'entourage de Pauline Marois et le ministre des Affaires culturelles, Maka Kotto, ont exercé des pressions importantes pour que ces changements puissent être mis en place rapidement par le ministère des Finances. Des échanges auraient eu lieu en janvier entre la SODEC et le ministère de la Culture, revenu fréquemment à la charge. L'organisme dirigé par Monique Simard avait plaidé avec vigueur «pour le statu quo». Peine perdue, a-t-on appris.

Chez Productions J, on nie tout lien entre ces changements et le saut en politique de l'ex-conjoint de Mme Snyder. Pierre Karl Péladeau a annoncé sa candidature le 9 mars, quatre jours après le déclenchement des élections par Pauline Marois.

Productions J réclame ce changement depuis des années, a rappelé hier Louis Noël, le bras droit de Mme Snyder. Du point de vue de Productions J, le refus de Québec était «discriminatoire» puisque la compagnie de production débordait largement TVA pour sa clientèle. «On n'a pas juste TVA comme client, on a Sony TV5 Monde, Télé-Québec, Oprah Winfrey Network. Ça ne nous donne rien de plus que les autres, on redevient ce qu'on a toujours été», a dit M. Noël.

«C'est vrai qu'on est reconnus désormais comme producteurs indépendants. Nous le sommes, nous l'étions dans les faits depuis 1997, bien avant que Mme Snyder soit avec M. Péladeau», ajoute-t-il.

Pour M. Noël, «ce n'était qu'une question d'interprétation, cela corrige cette interprétation discriminatoire, voire sexiste» de la loi fiscale. Dans le milieu de la production télévisuelle, Productions J était reconnue comme indépendante, insiste-t-il.

L'apparition de cette nouvelle interprétation était bien connue dans le milieu de la production télévisuelle. Le bulletin CTVM, organe de l'industrie, observe que les nouvelles règles «remplacent le critère du lien de dépendance par le critère des sociétés associées. On sait que ce lien de dépendance [qui existait entre Julie Snyder et Pierre Karl Péladeau] ne permettait pas à Productions J d'avoir accès aux crédits d'impôt pour des émissions [admissibles dans un autre contexte] comme La Voix et Star Académie».

Séparée de Pierre Karl Péladeau, Mme Snyder aurait eu droit à ces crédits d'impôt au terme d'une période de carence de deux ans, selon les anciennes règles, indique-t-on dans le bulletin.

«Naturellement, on pourrait se dire que maintenant que les deux intéressés se séparent, le problème se résout par lui-même. Sauf que les règlements précédents imposaient une période de latence de 24 mois. La nouvelle réglementation annule cette période et rend donc admissible dès aujourd'hui Productions J aux crédits d'impôt pour les productions admissibles», constatent les auteurs de CTVM.info.

Clarification, selon Québec

Au gouvernement, on rappelle que ces dispositions changent aussi le statut de la productrice Karine Vanasse, dont les longs métrages n'étaient pas admissibles au crédit d'impôt parce qu'elle est liée à la famille Rémillard, propriétaire de la station V.

«Les critères d'admissibilité n'ont pas été changés ni le type de production admissible. Le seul changement concerne le remplacement du critère de lien de dépendance par le critère du contrôle effectif», dit Mélanie Malenfant, porte-parole du ministre des Finances, Nicolas Marceau.

Avec ce changement, Québec vérifiera désormais «qui a le contrôle effectif de la société de production, et non pas le lien de dépendance qui unit un producteur et un télédiffuseur».

«La modification vise à clarifier l'interprétation des critères du programme, ce qui permet de déterminer plus aisément le statut de producteur indépendant. Ces mesures sont valables pour l'ensemble de l'industrie et font suite à de longues consultations avec les partenaires du milieu», a poursuit Mme Malenfant.