L'enquête de l'UPAC sur le financement illégal des partis politiques, baptisée projet Joug, cible non seulement le Parti libéral du Québec, mais également le Parti québécois. Des «actions policières» ont même été planifiées à l'égard du parti de Pauline Marois, mais la campagne électorale a freiné, pour l'instant, l'élan de la police, a appris La Presse de trois sources proches du dossier.

Trois ans d'enquête sur les méthodes du PLQ

Les informations obtenues confirment que dans le projet Joug, l'Unité permanente anticorruption (UPAC) marche sur des oeufs. Enquêter sur le financement occulte des partis politiques comporte le risque pour la police d'être taxée d'esprit partisan en pleine course au pouvoir, indique une source policière. «Les actions sont retardées. Ça pourrait être mal interprété», a-t-on ajouté.

C'est dans le même esprit que l'UPAC aurait reporté la perquisition au Parti libéral du Québec, qui s'est déroulée en juillet dernier, en pleine tragédie du Lac-Mégantic, explique-t-on. L'UPAC l'avait d'abord prévue à l'été 2012, mais l'imminence du déclenchement électoral avait incité la police à éviter les eaux troubles de la politique. Cette décision est strictement «opérationnelle», soutient-on.

Pour ce qui est des «actions» policières touchant le Parti québécois, par exemple une perquisition, deux autres personnes proches du projet Joug affirment que rien ne laisse soupçonner une quelconque intervention politique dans le processus d'enquête.

Rencontres avec l'UPAC

Depuis quelques jours, le PQ enfonce le clou de l'intégrité. La chef Pauline Marois demande à son adversaire libéral, Philippe Couillard, d'«admettre les erreurs du passé». Selon Mme Marois, le PQ n'aurait rien à se reprocher en matière de financement.

«On a l'équipe la plus intègre. Le Parti québécois ne fait pas l'objet d'une enquête criminelle», a martelé hier le ministre Pierre Duchesne, qui avait convoqué une conférence de presse pour prévenir les Québécois du «cauchemar des allégations» qui pourrait se répéter avec l'élection des libéraux.

Quelques minutes plus tard, le directeur général du PQ, Sylvain Tanguay, interrogé par La Presse, a révélé que l'UPAC avait rencontré des dirigeants du parti, cet hiver. «On ne m'a pas convoqué d'aucune façon. On ne m'a pas sommé de rencontrer l'UPAC. On m'a rencontré pour demander des informations», a expliqué M. Tanguay.

Ce dernier précise que les enquêteurs se sont intéressés au financement du PQ, mais également à son fonctionnement, sa structure et son organigramme. M. Tanguay insiste pour dire qu'il n'y a pas eu de saisie de documents.

L'UPAC a également posé des questions au directeur des finances et de l'administration du parti, Pierre Séguin, lors d'une rencontre distincte.

M. Tanguay a prévenu La Presse d'être prudente sur l'information qui serait publiée. «Vous allez publier des affaires et les gens vont s'imaginer des choses énormes. Ils vont nous mettre dans le même bain que le Parti libéral», a lancé M. Tanguay, visiblement irrité. Il a toutefois affirmé ignorer s'il y avait une enquête en cours.

En début de soirée hier, le PQ a réagi en publiant un communiqué de presse en réaction à ce qu'il croyait être une fuite de la police. Le PQ y explique qu'il avait répondu à une demande d'information de l'UPAC comme pour «tous les autres partis politiques».

En réaction, la Coalition avenir Québec (CAQ) a formellement nié avoir été visée par le travail d'enquête de l'UPAC. De la même façon, aucune demande d'information n'a selon elle été formulée à l'égard de l'Action démocratique du Québec (ADQ), qui a fusionné avec la CAQ.

De son côté, le chef libéral Philippe Couillard, a taxé les péquistes d'hypocrisie, les accusant de pratiquer le système de deux poids, deux mesures. «Je suis content que les gens voient que derrière les discours et la fausse vertu, il y a la réalité», a-t-il dit.

Proximité politico-commerciale

Concrètement, le projet Joug s'intéresse aux stratagèmes qu'auraient mis en place les partis politiques pour garantir, en échange de contributions à la caisse électorale, l'obtention de contrats aux entreprises donatrices. La firme de génie-conseil Roche est visée, mais rien n'indique que Joug s'arrête là.

Les canaux de communication entre Roche et le PQ, d'une part, ainsi qu'entre Roche et le PLQ, d'autre part, seraient mis au jour. Comme dans toutes les grandes firmes de génie-conseil, Roche avait à son emploi un responsable libéral et un autre péquiste pour le développement des affaires avec le gouvernement. Ces personnes auraient mis à profit leur réseau de contacts pour assurer à la firme un flot de contrats lucratifs, peu importe le parti au pouvoir.

Ainsi, la vice-présidente de Roche, France Michaud, qui a actuellement son procès pour fraude dans le scandale de Boisbriand, aurait été la porte d'entrée pour le PQ. Deux sources différentes indiquent à La Presse que Mme Michaud aurait laissé des «traces» importantes de ses tractations politiques.

Selon un informateur, France Michaud était le «cerveau financier» de Roche en matière de contributions politiques. Lorsque Marc-Yvan Côté, ancien ministre libéral et organisateur politique récemment rencontré par l'UPAC à sa résidence de Baie-Saint-Paul, a quitté ses fonctions chez Roche, en 2005, c'est Mme Michaud qui a pris la relève du développement des affaires. «France était l'élève de Marc-Yvan Côté. Il lui a tout appris», soutient cette personne.

La Presse a tenté en vain de joindre Mme Michaud par l'intermédiaire de son avocat.

Au Parti québécois, France Michaud aurait été en contact entre autres avec la responsable du financement, Ginette Boivin. Cette dernière a été congédiée dans la foulée du rapport Moisan, déposé en 2006, qui a révélé que le PQ «fermait les yeux» sur le financement provenant de l'entreprise Groupaction, mêlée au scandale des commandites.

La Presse a tenté sans succès de joindre Mme Boivin qui travaille désormais au sein de la firme de génie-conseil Groupe SM.

Du côté libéral, des liens étroits étaient entretenus entre Bruno Lortie et André Côté de chez Roche. M. Lortie a été attaché politique, de 1987 à 1993, auprès de Marc-Yvan Côté, successivement ministre des Transports puis de la Santé dans le gouvernement de Robert Bourassa.

M. Lortie a été désigné à la commission Charbonneau par l'entrepreneur Lino Zambito, qui a reconnu avoir trempé dans la corruption et la collusion. Il est actuellement l'un des accusés dans le scandale de Boisbriand. M. Zambito a été en contact avec M. Lortie pour des activités de financement du PLQ, alors que ce dernier était au cabinet de la ministre des Affaires municipales, Nathalie Normandeau.

En ce qui concerne André Côté, il a quitté la firme Roche l'automne dernier, quelques jours avant le témoignage de Patrice Mathieu, un ancien vice-président de la firme Aecom Tecsult. M. Mathieu a reconnu avoir comploté avec les dirigeants de sept autres firmes de génie (Roche, Genivar, Dessau, Cima+, SNC-Lavalin, BPR et Teknika-HBA) pour contrôler les prix des contrats attribués par la Ville de Québec et par Lévis, de 2006 à 2011.

Pas de contribution, pas de contrat

La semaine dernière, les mandats ayant mené à la deuxième perquisition chez Roche, en janvier dernier, à Québec, ont été rendus publics. Bien que largement caviardés, les documents révèlent la tenue de l'enquête de l'UPAC sur le financement illégal des partis politiques. «La contribution financière faite aux partis politiques provinciaux permet d'obtenir des entrées auprès de l'appareil politique gouvernemental», écrit-on dans les mandats qui soulignent aussi qu'il s'agit d'une «condition sine qua non».

Il est question de prête-noms, d'un système de fausse facturation pour obtenir de l'argent comptant qui aurait servi aux dirigeants de Roche pour faire des dons illégaux et de remboursement, par l'entreprise, de contributions politiques par le truchement des allocations de dépenses. Les infractions criminelles évoquées sont la fraude, le complot, la fabrication de faux et le financement illégal par une entreprise.

À l'UPAC, on a indiqué hier ne pas vouloir commenter le projet Joug, tout en soulignant que «l'enquête est toujours active». «Plusieurs actions policières sont menées, dont des perquisitions. Il y en a eu avant la campagne, pendant et peut-être après», a affirmé Anne-Frédérick Laurence, responsable des communications à l'UPAC.