Surprendre l'adversaire est toujours la meilleure recette dans les débats politiques. Il n'y a rien d'aussi efficace que le lapin tiré du chapeau, sans avertissement.

Parfois, c'est une phrase lapidaire; parfois, c'est plutôt une question ou une information inédite. «Where's the beef?», avait lancé Walter Mondale à Gary Hart pour illustrer le vide du programme démocrate, en reprenant une publicité de malbouffe. Dans son premier débat contre Ségolène Royal, Nicolas Sarkozy l'avait déstabilisée: «Calmez-vous, un président de la République doit garder son calme!» En 2012, François Hollande avait terminé sur une tirade de trois minutes qui avait laissé Sarkozy pantois. «Moi, président de la République...»; il reprendra 14 fois cette formule. Au Québec, plusieurs chefs ont brandi leurs lapins dans l'espoir de mettre un adversaire au tapis. Tour d'horizon.

1976 Le lapin défensif

En 1976, Robert Bourassa croise le fer avec René Lévesque. Évoquant le patronage libéral, le chef péquiste y va d'une charge contre son adversaire. «Citez-moi un cas!», a répliqué Bourassa. Lévesque est passé à un autre sujet.

1985 Le lapin attaquant

À son retour en politique, un nouveau Bourassa, mais la même aversion pour les débats télévisés. «On utilisait tous les prétextes pour les refuser, jusqu'à ce que quelqu'un propose CKAC [station radiophonique]», rappelle le sénateur Jean-Claude Rivest, conseiller de Bourassa. Devant Pierre Marc Johnson, qu'il essaie de déconcentrer en lui offrant du chocolat, Bourassa décoche une salve inattendue: «Quelle est la marge de manoeuvre financière du Québec?» Pas de réponse du premier ministre Johnson.

1992 Le lapin caché

L'entente de Charlottetown bat de l'aile, Bourassa doit se prêter à un débat télévisé. C'est l'occasion d'une manoeuvre étonnante, qu'aucun téléspectateur ne verra. Tout juste avant que ne commence la diffusion, Bourassa se rend voir le solennel Parizeau. «Vous avez acheté une ferme en Estrie? C'est intéressant! Avez-vous des animaux?» Tout pour déconcentrer son auguste rival. «On était à quelques secondes du début!», se bidonne encore Jean-Claude Rivest.

1992 Maître lapin

Deux jours avant l'engagement, Jacques Parizeau annonce qu'il a «une surprise» pour embrocher son adversaire. Le constitutionnaliste Henri Brun a envoyé par télécopie, deux jours plus tôt, un avis sur les conséquences de l'entente de Charlottetown: elle pourrait permettre de justifier le pouvoir fédéral de dépenser dans les compétences des provinces. Parizeau fait feu; il est faux de prétendre que l'entente ne peut servir en cour. Dans la fébrilité des échanges, tout devient confus, sauf la réplique de Bourassa: «Si c'est ça qui était la bombe... cela se transforme en pétard mouillé!»

1994 Le lapin malade

Devenu premier ministre, Daniel Johnson doit croiser le fer avec JacquesParizeau. À l'époque comme aujourd'hui, la santé est un incontournable. Parizeau avait accusé son adversaire de vouloir «taxer le cancer» - Québec songeait à des frais de 20$ pour les traitements de chimiothérapie, une mesure laissée sur le carreau. Le péquiste, pugnace, revient à la charge en demandant des comptes pour les «3000 enfants qui se trouvent sur des listes d'attente à l'hôpital Sainte-Justine». Des cas non urgents allant «de la circoncision au recollage d'oreilles», a répliqué le libéral. Euphorique après cette parade, le libéral a foncé dans un collet, parlant des «maux de femmes», parce qu'il ne trouvait pas le mot «hystérectomie» !

1998 Le lapin frisé

La surprise du débat de 1998 est aussi silencieuse qu'involontaire. Pour son premier débat sur la scène provinciale, Jean Charest s'est entouré d'une ribambelle de faiseurs d'image venus d'Ottawa. Et est passé par les mains d'un coiffeur... enthousiaste. Quand il est apparu sur le plateau, tout le monde a été surpris par ses cheveux, gonflés, artificiels. Un débat sans gagnant évident, où on a observé que Lucien Bouchard devait consulter constamment ses notes.

2003 Le super lapin

Jean Charest demande à Bernard Landry qu'il cautionne Jacques Parizeau qui, de passage à Trois-Rivières, a répété sa déclaration incendiaire du référendum de 1995 sur «l'argent et quelques votes ethniques». Tout ce que le libéral a en main, c'est une manchette lancée sur le web: «Parizeau persiste et signe». Bernard Landry est ébranlé mais résiste; pas question de critiquer Parizeau. «J'avais vu ça passer en toute fin d'après-midi, et décidé de l'envoyer à Mario Lavoie, qui accompagnait M. Charest au débat. Je ne savais pas s'il allait l'utiliser...», se souvient Benoît Savard, organisateur libéral à l'époque.

2007 Le lapin bis

Au débat des élections de 2007, Jean Charest paraît éteint. Mario Dumont, dont le parti est en montée dans les sondages, a reçu une note de service d'un fonctionnaire des Transports, un constat alarmant sur l'état des infrastructures. «C'est irresponsable de sortir ainsi un lapin de vote chapeau!», lui réplique Jean Charest, déclenchant un éclat de rire dans la salle de presse, où on se souvenait du coup de 2003. «Quelqu'un était passé au bureau et voulait rencontrer Mario, il avait finalement vu Alain Sans Cartier (le chef de cabinet) et donné cette note», se souvient Jean Nicolas Gagné, ex-attaché de presse de M. Dumont.

2008 Le lapin improvisé

L'adéquiste Dumont semble reprendre d'entrée de jeu l'affrontement de l'année précédente. À l'époque, tout le monde s'attend à des pertes gigantesques à la Caisse de dépôt (CDP). Le patron de la CDP est même parti en épuisement professionnel! Charest ne desserre pas les dents: les résultats, 40 milliards de pertes, ne seront connus qu'après les élections du 8 décembre. Dumont encore, pour un jab: Charest admet que la dette est passée de 141 à 148 milliards. «Et vous dites que vous ne faites pas de déficit! Allez chercher un comptable de dépanneur de quartier et expliquez-lui ça!»

2012 Le lapin fâché

La surprise du débat de 2012? L'acrimonie de François Legault à l'endroit de Pauline Marois. «Vous êtes la reine du statu quo, allez-vous porter un carré rouge ou un macaron de la CSN pour négocier? «La seule dette qui vous intéresse, c'est celle à l'égard des syndicats!», a-t-il poursuivi. Et pour finir, les référendums d'initiative populaire, que les purs et durs du PQ utiliseront pour aller jusqu'au bout, «comme des caribous dans le ravin». Le lendemain, Pauline Marois devait corriger le tir et préciser que les pétitions des référendums d'initiative populaire n'avaient pas de poids juridique. Jean Charest était tout sourire: «J'estime avoir eu un très bon débat hier soir!»