Durant la campagne électorale, Mario Dumont a proposé de forcer les assistés sociaux aptes au travail à trouver un emploi. Sa suggestion a été ignorée, notamment parce qu'elle rappelle les fameux «boubou-macoutes» de la fin des années 80, qui traquaient la fraude à l'aide sociale.

Mais un autre exemple existe dans ce domaine: les États-Unis, qui ont lancé en 1996 une vaste réforme de l'aide sociale limitant à cinq ans la durée de tels subsides gouvernementaux durant la vie d'une personne. Lors du 10e anniversaire de la réforme, en 2006, les analystes s'entendaient pour lui accorder beaucoup plus de mérites que d'inconvénients. Mais alors que le pays s'enfonce dans la crise économique, plusieurs estiment que le véritable test est encore à venir.

«La réforme a été le plus grand succès de politique publique pour réduire les problèmes liés à la pauvreté depuis les années 60, et peut-être même depuis les grands programmes des années 30», estime Jerry Friedman, directeur de l'Association des services sociaux publics, qui regroupe les ministères et organismes fédéraux, étatiques et municipaux de ce secteur aux États-Unis. «Nous avons enfin pu adapter les programmes de soutien et de formation aux conditions particulières de chaque région et de chaque clientèle. Il y a eu un boom incroyable du nombre de garderies subventionnées.»

En 10 ans, le nombre d'assistés sociaux a chuté de 60%. La proportion des mères de famille monoparentale pauvres ayant un emploi est passée de 58% à 75%. Les ex-assistés sociaux ont à tout le moins maintenu leurs revenus, et une étude de l'Institut Brookings, un groupe de réflexion de gauche, avance qu'ils se sont davantage enrichis que les autres travailleurs à faible revenu. Seulement 5% des assistés sociaux ont atteint la limite des cinq ans, qui de toute façon peut être levée dans des régions souffrant de difficultés économiques graves, selon M. Friedman.

Cependant, les assistés sociaux subissent l'instabilité associée aux emplois faiblement qualifiés. «Les anciens assistés sociaux changent plus souvent d'emploi que la moyenne», estime Pierre Fortin, un économiste de l'Université du Québec à Montréal. «De plus, je ne pense pas qu'une telle réforme soit possible au Québec, parce que le salaire minimum est trop élevé pour les PME sur lesquelles il faudrait compter pour embaucher les assistés sociaux. Il y aurait une pauvreté épouvantable.»

David Card, un économiste de l'Université Berkeley, confirme que l'instabilité fait partie des désavantages de la réforme. Mais il n'est pas certain que le niveau du salaire minimum joue un rôle dans son succès. «De toute façon, il faudra voir ce qui va se passer dans la prochaine année avec la récession. Nous ne pourrons crier victoire que si les ex-assistés sociaux ne souffrent pas plus que les autres.»

Par contre, la réforme de l'aide sociale américaine a permis de resserrer les liens entre les services sociaux gouvernementaux et les entreprises. «Le secteur privé a commencé à comprendre que nous pouvions l'aider en formant leurs futurs employés. Je pense que ça explique peut-être une partie du soutien accru à la réforme du financement des soins de santé. Le soutien gouvernemental à la main-d'oeuvre est moins considéré comme du socialisme.»