Des milliards par-ci, des milliards par-là. Les politiciens ne regardent pas à la dépense en campagne électorale. Comment financer toutes ces promesses en période de ralentissement économique? Mystère. Car même si les libéraux, les péquistes et les adéquistes ne font pas les mêmes promesses aux Québécois, leurs cadres financiers ont un point en commun: ils rendent les économistes sceptiques.

Des nouveaux milliards en santé, en éducation, en infrastructures, en aide aux familles. En même temps, un déficit qui pointe à l'horizon et des dépenses gouvernementales qui augmentent plus vite que les revenus. Voilà une conjoncture économique difficile pour les politiciens qui veulent remplir leurs promesses électorales.

 

«C'est beau de faire de nouvelles promesses, mais le Québec est déjà en situation de déficit, dit Luc Godbout, professeur en fiscalité à l'Université de Sherbrooke. Alors essayer de faire de nouveaux investissements, ça semble difficilement réalisable.»

«Je suis perplexe à savoir comment les partis vont financer toutes ces promesses, dit l'économiste Claude Montmarquette, professeur à l'Université de Montréal. Il y a un fort vent d'optimisme alors que l'incertitude économique est tellement grande.»

Réputé pour son franc-parler, l'économiste Léo-Paul Lauzon est encore plus direct. «Financer des dépenses à partir de la croissance des revenus, c'est rire du monde, dit le professeur d'économie à l'UQAM. Au cours des prochaines années, les entrées fiscales du gouvernement vont diminuer, les dépenses vont augmenter et nos partis vont finir pour nous dire: Merde, la crise nous frappe, on n'a plus d'argent.»

Manque à gagner

L'Institut Fraser, le seul organisme qui s'aventure à prévoir la croissance économique des provinces sur cinq ans (la durée maximale d'un mandat), estime que la croissance économique du Québec sera de 3,7% par année entre 2009 et 2013. La hausse des dépenses du gouvernement a été de 4,5% au cours des cinq dernières années. Avant même de considérer de nouvelles dépenses, le manque à gagner est de 0,5%.

«Réduire la croissance des dépenses sous les 3% sera un exercice extrêmement difficile, croit le professeur Luc Godbout. Il faut considérer que les dépenses en santé progressent en moyenne de 6% par année. Ce genre d'exercice est toujours très difficile à faire avec exactitude.»

Le ministère des Finances du Québec prévoit toutefois que la hausse des dépenses ralentira à 3,6% cette année et 2,8% en 2009-2010. Des conclusions d'autant plus étonnantes que le ministère québécois des Finances a sous-estimé la croissance des dépenses gouvernementales au cours des deux derniers budgets (0,3% l'an passé et 0,6% cette année).

Cadres financiers

En se basant sur les prévisions du ministère des Finances du Québec, le Parti libéral du Québec estime pouvoir dépenser 300 millions supplémentaires chaque année à même la croissance des revenus de l'État. Le Parti québécois prévoit financer ses mesures (330 millions supplémentaires chaque année) par un déficit au cours des deux premières années et un surplus pour le reste du mandat. Sur la question du déficit, le professeur Luc Godbout donne raison au PQ. «Il faudrait reconnaître qu'on aura des années déficitaires, dit-il. Je ne comprends pas comment on peut dire le contraire.»

Au contraire de ses rivaux, l'Action démocratique du Québec a préparé un budget seulement pour les deux premières années de son mandat. L'ADQ compte financer ses promesses électorales de 4,5 milliards en réduisant dans le budget de l'État et en obtenant plus d'argent du gouvernement fédéral.

PLQ: un plan «très modeste»

Monique Jérôme-Forget est formelle: un gouvernement libéral ne ferait pas de déficit malgré le ralentissement économique. Et malgré le fait qu'on ait besoin de 301 millions supplémentaires chaque année afin de remplir les promesses libérales.

La première année, les libéraux s'engagent à investir 250 millions dans un programme d'aide à la rénovation. Point à la ligne. La suite dépend de la situation économique. «Chaque mesure va être incluse à mesure que la situation économique s'améliore, explique le ministre des Finances. Nous avons un coussin de 200 millions dans la réserve que nous gardons toujours.» Dès 2010, on prévoit une relance économique qui devrait faire augmenter les revenus du gouvernement de près de 2%, estime la ministre des Finances. Le hic, c'est que les dépenses du gouvernement ont augmenté annuellement de 4,5% depuis cinq ans - et elles augmenteront d'autant cette année, reconnaît Mme Jérôme-Forget.

«Rigoureux et attentif»

Le plan économique libéral se veut «très modeste», aux dires de la ministre des Finances. «On est conscient qu'il va falloir être extrêmement rigoureux et attentif», dit Mme Jérôme-Forget, qui assure qu'aucune promesse ne va tomber en cours de route.

Monique Jérôme-Forget défend la méthode de calcul du coût des investissements libéraux en infrastructures, critiquée par ses adversaires politiques parce qu'elle ne tient pas compte de l'amortissement des infrastructures. «C'est déjà dans les mesures annoncées dans le dernier budget pour les cinq prochaines années, dit-elle. Nous avons répété parfois certaines annonces mais les 41 milliards de dollars avaient été annoncés.»

PQ : le courage du déficit

François Legault n'a pas peur de prononcer une expression mise à l'index dans le vocabulaire des finances publiques québécoises: le déficit budgétaire.

Au pouvoir, le Parti québécois prévoit faire un déficit au cours des deux premières années. Selon le PQ, tout parti politique qui prétend le contraire porte des lunettes roses. «Ça va être la même chose avec les libéraux, dit François Legault. On a à peu près le même cadre financier. Nous sommes actuellement en déficit et il n'y a personne, surtout pas Jean Charest, qui va me faire ccroire qu'il va équilibrer le budget pour 2008-2009.»

Après deux ans de déficit, le PQ estime pouvoir dégager un surplus au cours des trois dernières années d'un gouvernement Marois. Sur un horizon de cinq ans, le PQ parviendrait, dit-il, à équilibrer le budget du Québec, voire même de dégager un surplus.

Dans sa plateforme électorale, le PQ propose surtout des mesures fiscales et budgétaires. Côté infrastructures, les péquistes reprendront le budget de 36 milliards en six ans voté le printemps dernier à l'Assemblée nationale. «Nous avons été prudents sur les questions de la croissance des revenus et de nos dépenses d'infrastructures, dit François Legault. On aime bien les nouveaux milliards en infrastructures promis par les libéraux, mais il faudrait qu'ils expliquent comment ils vont financer tout ça...»

ADQ : un budget à court terme

Des dépenses qui s'autofinancent. Un nouveau règlement du déséquilibre fiscal. Un budget sur deux ans pour un mandat de cinq ans. Vraiment, le cadre financier de l'ADQ détonne.

En deux ans, l'ADQ veut transformer l'état des finances publiques du Québec, notamment en réduisant les subventions aux entreprises d'un milliard (de 3,3 à 2,3 milliards par année). « (Le ministre libéral) Yves Séguin avait fait le ménage, mais tout a été redonné aux entreprises, dit Gilles Taillon. Les subventions aux entreprises, c'est comme la barbe: tu la coupes et ça repousse.»

L'ADQ veut aussi réduire de 10% la taille de la fonction publique (6000 fonctionnaires de moins) en plus de scruter à la loupe les budgets des agences parapubliques et les contrats gouvernementaux octroyés à des firmes privés. Ses deux promesses les plus coûteuses - un milliard en éducation et un autre en transports en commun - seraient financées à même un nouveau chèque de deux milliards du gouvernement fédéral pour le déséquilibre fiscal. «Les dépenses en éducation et en transports en commun sont liées à l'obtention de cette somme, dit Gilles Taillon. Si on a, on la donne. Si on ne l'a pas, on continue de se battre pour l'avoir.»

Critiques des experts

Sur le cadre financier du PLQ

> Pas de déficit en début de mandat

«Il faudrait reconnaître qu'on aura des années déficitaires. Je ne comprends pas comment on peut dire le contraire.» Luc Godbout, professeur de fiscalité à l'Université de Sherbrooke

> Contrairement aux autres partis, la méthode de calcul du coût des infrastructures ne tient pas compte de l'amortissement des infrastructures

«Pour une dépense d'infrastructure, il faut inclure le coût du prêt dans le service de la dette et l'amortissement dans les dépenses de programme.» Luc Godbout, professeur de fiscalité à l'Université de Sherbrooke

Sur le cadre financier du PQ

> Récupérer 435 millions du gouvernement fédéral pour la crise du verglas

«C'est encore plus folklorique que d'espérer deux autres milliards du fédéral pour régler le déséquilibre fiscal comme le veut l'ADQ. On va remonter jusqu'où? La Conquête?» Serge Coulombe, professeur d'économie à l'Université d'Ottawa

> Le crédit d'impôt sur les intérêts hypothécaires du PQ ne coûterait rien à terme, car les propriétaires devront rembourser le crédit d'impôt à la vente de leur maison

«Ce n'est pas possible. Les propriétaires vont rembourser dans 5, 10 ans ou 20 ans. Certains ne rembourseront pas. Il y a aussi l'inflation. De toute façon, c'est une mesure sans intérêt car elle incite à se procurer une hypothèque à crédit.»

Claude Montmarquette, professeur d'économie à l'Université de Montréal

Sur le cadre financier de l'ADQ

> Deux milliards de plus pour le déséquilibre fiscal

«Le déséquilibre fiscal est pas mal réglé. Je ne vois pas comment le Québec pourrait avoir plus. Deux milliards de plus pour le déséquilibre fiscal, c'est rêver en couleur. Qu'ils l'enlèvent tout de suite de leur cadre financier, c'est plus simple comme ça!»

Claude Montmarquette, professeur d'économie à l'Université de Montréal

> Plan de restructuration de l'État plutôt ambitieux

«Où va-t-on couper? Pas dans la sécurité publique, où l'ADQ annonce des investissements. Pas dans l'éducation: on veut mettre un milliard. Pas dans les arts ni l'environnement. Dans la santé? Il ne reste plus grand-chose.»

Serge Coulombe, professeur d'économie à l'Université d'Ottawa