Les auditeurs d'Ouvert le samedi, sur la Première Chaîne radio de Radio-Canada, s'attendaient peut-être à une émission culturelle à l'occasion du Salon du livre de Montréal. Ils ont eu droit à une querelle, un accrochage entre la libérale Christine St-Pierre, ministre de la Culture, et Louise Beaudoin, candidate péquiste qui a déjà occupé les mêmes fonctions.

Le débat linguistique devient vite fébrile au Québec. En campagne électorale, cela devient un sport de contact. Les deux politiciennes étaient au rendez-vous. Le ton a monté quand Christine St-Pierre a rappelé à Louise Beaudoin les dérapages du premier «bilan» sur la situation du français amorcé sous le gouvernement Parizeau en 1995. L'opération s'était bien mal terminée, dans la controverse totale. La coordonnatrice Josée Legault - devenue analyste politique depuis - avait vertement critiqué le gouvernement péquiste, accusé de vouloir «neutraliser» son constat alarmant. Quand Christine St-Pierre a rappelé ces dérapages embarrassants, Louise Beaudoin a pété les plombs: «C'est niaiseux, franchement! Des chicanes de famille...»

 

Il faut dire qu'Antoine Godbout, celui qui alimente Mme St-Pierre sur le dossier de la langue, était alors au centre de ces tirs croisés - il était secrétaire du Conseil de la langue pendant cette vendetta péquiste.

Hier, le ton a monté à plusieurs reprises; l'animateur Michel Lacombe a eu bien du fil à retordre pour remettre les échanges sur les rails. St-Pierre et Beaudoin martelaient leurs arguments, prévisibles, à travers les «excusez-moi», «j'ai pas fini» et «est-ce que je peux parler?».

Christine St-Pierre, il faut le dire, avait lancé les hostilités en demandant frénétiquement à son adversaire pourquoi le programme péquiste, qui veut rapatrier tous les outils culturels, laisse Radio-Canada à Ottawa.

«Il y a trop de séparatistes à Radio-Canada» a laissé tomber Beaudoin, qui, rapidement, a transformé sa bourde en blague. «Il ne faut pas dire ça à (Sylvain) Lafrance» a-t-elle blagué.

Les campagnes électorales sont souvent dures. Les débats des chefs sont sans pitié. Jean Charest a souligné hier qu'il s'attend à «être la seule cible» de Mario Dumont et Pauline Marois au débat de mardi. Mais habituellement les échanges entre candidats, les simples soldats de la politique, sont moins agressifs. Est-ce l'avance des libéraux dans les sondages, ou leur insistance à accuser les adversaires pour des problèmes qu'ils n'ont pas su régler en près de six ans de pouvoir? La moutarde monte vite au nez durant cette campagne.

Personne ne l'avait relevé, mais un échange entre Michelle Courchesne et François Legault à RDI, au moment de la publication des comptes publics, avait tourné à la cacophonie. C'était à qui criait le plus fort, et l'animatrice Anne-Marie Dussault en avait eu plein les bras. L'adéquiste Sébastien Proulx assistait, médusé, à la collision.

Il y avait eu plus d'échos aux échanges entre Monique Jérôme-Forget et M. Legault. Les stratèges libéraux avaient forcé la Dame de fer à s'excuser pour son «il est con» capté par le micro...

Débat acrimonieux

Le combat entre St-Pierre et Beaudoin a été aussi acrimonieux.

«Répondez-moi, Mme St-Pierre... Il est plus facile de se faire embaucher dans le centre-ville si on est unilingue anglophone qu'unilingue francophone. Trouvez vous que cela a du bon sens?»

Quand la ministre a rappelé les dispositions de la Charte de la langue française, Beaudoin lui a répliqué avec morgue: «Allez vous l'amender, la charte?»

Ironiquement, quand elle s'occupait de ce dossier sous Lucien Bouchard, Mme Beaudoin s'était bien gardée de toucher à la loi 101, même si plusieurs militants au PQ réclamaient que les allophones soient tenus de s'inscrire dans un cégep francophone. Les mêmes analyses alarmantes du démographe Marc Termotte circulaient. Mme Beaudoin avait d'abord proposé un «bouquet de mesures», des gestes plutôt timorés imaginés par le conseiller Jean-François Lisée. Puis, quand la soupe est devenue trop chaude, on a balancé la patate chaude à Gérald Larose, chargé de tenir les «États généraux» sur la langue... Après un an de travail, on n'avait pas davantage proposé de changement à la loi.

Hier, visiblement dépassé, l'adéquiste Tom Pentafountas semblait médusé. L'animateur lui a donné le dernier mot quand les candidats ont eu à parler de la question identitaire. Il a raté son rendez-vous avec l'histoire et s'est contenté de dire: «Il faut respecter ceux qui ont réussi à conserver un État français en Amérique.» Le débat était fini, la cloche a sonné la fin du round. Lacombe a remercié les belligérants. Mais Beaudoin n'a pu s'empêcher d'asséner un autre coup: «On n'ira pas loin avec ça!»