Le déclenchement prématuré des élections, par le premier ministre Jean Charest, suscite bien du mécontentement. Alors que plus de 30 projets de loi du gouvernement meurent au feuilleton, les travaux de plusieurs commissions parlementaires prendront aussi le chemin des oubliettes.

C'est le cas notamment du mandat d'initiative sur l'itinérance, qui après avoir entendu près de 100 groupes et reçu plus de 125 mémoires, depuis la mi-septembre, s'est terminé abruptement mardi, à une semaine de son échéance prévue.«Ça nous coupe l'herbe sous le pied, déplore la coordonnatrice du Réseau solidarité itinérance, Nathalie Rech. Il y avait un momentum. Les députés qui étaient autour de la table ont vraiment pris au sérieux leur mandat. Ils ont fait leur travail sérieusement et leur regard a changé. Pour nous c'est un gain, ce n'est pas perdu.»

«Tout notre travail va être pendant la campagne d'essayer d'en faire un enjeu, ajoute-t-elle. Mais on sait que ça va être difficile, que les questions économiques vont prendre le devant de la scène.»

La longue consultation sur la forêt, que l'industrie en crise jugeait primordiale, disparaîtra aussi. Tout comme le projet de loi 50, qui régit la psychothérapie, attendu depuis longtemps par tous les spécialistes de la santé mentale et des relations humaines.

La loi qui devait empêcher les poursuites abusives (anti-SLAPP) devra aussi attendre, même si tous les partis politiques étaient favorables à son adoption.

«Sur ce dossier-là, le gouvernement s'est traîné les pieds», croit Stéphane Bédard, député péquiste sortant de Chicoutimi.

«La volonté gouvernementale a été bien exprimée. Il faut bien comprendre qu'il y a des gens qui souffrent énormément en ce moment, déplore André Bélisle, de l'Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA). Il y a une extrême urgence d'agir. Pour les gens de Cantley, d'Écosociété, on fait durer l'enfer encore pour rien.»

Les projets de loi qui meurent au feuilleton doivent être présentés à nouveau, avec un numéro différent, et reprendre tout le processus du départ.

Mais théoriquement, les projets de loi et travaux des commissions pourraient être repris dans la prochaine législature, au point où ils étaient rendus au moment de dissoudre la Chambre. Pour les textes législatifs, la procédure doit se faire dès la rentrée parlementaire et demande le consentement unanime de tous les députés de l'Assemblée nationale. Ce qui est plutôt rare au lendemain d'élections générales, surtout lors d'un changement du parti au pouvoir.

Il existe toutefois un précédent. En 1985, le gouvernement libéral nouvellement élu de Robert Bourassa a siégé quatre jours, du 16 au 19 décembre, après avoir défait le Parti québécois de Pierre Marc Johnson, aux élections du 2 décembre. Pendant cette courte session, le gouvernement fait adopter une motion à l'unanimité, demandant de ramener le projet de loi 20 « au stade où il en était à la dissolution de la 32e législature », stipule le journal des débats de l'époque. Il s'agissait alors d'une réforme en profondeur du Code civil du Québec et personne ne souhaitait reprendre tout le travail effectué depuis le début.

Il s'agit du seul précédent, mais avant les élections de 2007, le Québec n'avait connu qu'un seul autre épisode, bref, de gouvernement minoritaire, en 1878, il y a donc très peu de tradition dans ces conditions.

Pour les travaux des commissions, il faut le consentement des membres d'une commission, qui peuvent toutefois changer considérablement après des élections, ce qui rend incertaine la poursuite de certains mandats, comme par exemple les travaux portant sur l'itinérance.

Président de la commission des affaires sociales au moment de sa dissolution, le libéral Geoffrey Kelley est toutefois persuadé que les partis poursuivront les efforts en ce sens lors d'une prochaine législature.

«Les trois formations politiques ont jugé que le phénomène de l'itinérance était une priorité pour la société québécoise. J'imagine que cette volonté de continuer va exister dans un prochain Parlement», soutient M. Kelley.

Toutes les auditions, tous les mémoires seront rendus publics sur le site internet de l'Assemblée nationale. L'objectif d'alimenter la réflexion en vue du dépôt d'un nouveau plan de lutte contre la pauvreté, prévu pour 2009, sera atteint, selon le député libéral sortant.

Pour l'opposition, tous ces soucis auraient pu être évités, puisque les élections n'étaient aucunement nécessaires, selon le Parti québécois et l'Action démocratique.

Avec tous ces travaux qui meurent au feuilleton, «on se retrouve le bec à l'eau, pour des motifs électoralistes», estime Sébastien Proulx, de l'ADQ, sans compter, ajoute-t-il, tous les projets de lois «qu'on pourrait déposer pour améliorer le sort des Québécois pendant la crise qui s'en vient et qu'on ne verra jamais».