Lucille Martin Bordeleau s'appuie sur la rampe pour gravir les cinq marches qui mènent à la porte. Arrivée en haut, la sonnerie reste sans réponse. «Heureusement qu'il ne pleut pas», lance-t-elle en redescendant, un pas à la fois. La femme garde le moral, même si elle en est à sa troisième maison vide de suite. C'est bien ce qu'il faut lorsqu'on fait du porte-à-porte à l'âge de 85 ans.

Garder la forme, Lucille Martin Bordeleau connaît. Savoir vieillir en pleine santé, c'est le titre du livre qu'elle a publié l'an dernier. Les années ont beau passer, cette naturopathe refuse de se contenter d'une retraite paisible: auteure, elle tente maintenant de devenir conseillère de Laval-des-Rapides, un district de 12 000 habitants. Elle est la plus vieille candidate aux élections municipales dans toute la province.

 

«Tu peux pas rester assis sur ta chaise, regarder passer le train, jouer au golf et ensuite chialer à cause de ce qui se passe», résume-t-elle.

Comment les électeurs reçoivent-ils une femme de 85 ans qui sollicite leur vote? Plutôt bien, rétorque-t-elle, même si certains sont sceptiques.

«Il y en a qui ont un petit sourire, mais je leur dis que c'est leur dernière chance de m'élire, blague-t-elle. Je ne pense pas me présenter aux prochaines élections.»

Lorsqu'une porte s'ouvre enfin, rue Mariale, la candidate ne perd pas de temps avant de déballer ses promesses électorales. Si son parti est élu, explique-t-elle, les transports collectifs sont gratuits les jours de semaine pour les personnes âgées et pour les parents accompagnés d'enfants.

«Avez-vous besoin d'assistance pour aller voter?» demande-t-elle en conclusion.

La femme accepte un dépliant, l'air un peu étonné, puis referme la porte. «Quand je vois qu'il y a des personnes âgées dans la maison, je parle tout de suite de notre plateforme sur les transports en commun», explique ensuite Mme Martin Bordeleau avec un sourire complice.

Une affaire de famille

La politique est une affaire de famille pour elle. Son père était organisateur pour Maurice Duplessis. Son fils, Robert, tente de déloger le maire sortant Gilles Vaillancourt sous la bannière du Parti au service du citoyen (PSC).

Mme Martin Bordeleau le concède, elle n'est pas toujours d'accord avec les idées de son fils. Mais elle souhaite quand même porter les couleurs de son parti.

«Ça fait 20 ans que M. Vaillancourt est au pouvoir, dit-elle. Je pense qu'on est mûrs pour le changement. Quand tu restes au pouvoir longtemps, à un moment donné, la ville t'appartient et tu te fous un peu des gens.»

À preuve, relate-t-elle, la Ville a mis plus de deux ans à réparer un trottoir fissuré situé rue Cartier, au coin de sa rue. Elle avait pourtant alerté sa conseillère dès qu'elle avait vu les trous, puisqu'elle craignait de trébucher.

Aujourd'hui, l'octogénaire fait campagne pour améliorer la situation des personnes âgées. Un Lavallois sur cinq est considéré comme pauvre, souligne-t-elle, et beaucoup ont plus de 60 ans. Si elle est élue, elle promet de militer pour construire des logements sociaux et améliorer le déneigement dans son quartier.

«Les personnes âgées ne veulent pas rester isolées tout l'hiver, dit-elle. Si les rues ne sont pas déneigées, tu restes assis dans ta maison. Et le déneigement, c'est vraiment un cauchemar.»

La campagne n'a pas été de tout repos, mais Lucille Martin Bordeleau poursuit son porte-à-porte. Qu'elle gagne ou qu'elle perde au terme du scrutin de demain, elle ne regrettera rien.

«Je suis contente de l'avoir fait parce que sinon, je me serais dit: j'aurais dû, j'aurais dû, confie-t-elle. Maintenant, au moins, j'ai essayé.»