Au lendemain des révélations fracassantes faites par Benoit Labonté et du dévoilement des enregistrements obtenus par La Presse, le maire Gérald Tremblay nous a accordé sa première entrevue de la campagne électorale. Pour la première fois, le maire revient sur le départ encore inexpliqué de son ancien directeur général, Robert Abdallah. Quant à Benoit Labonté, il en rajoute, incriminant cette fois un membre du comité exécutif, Sammy Forcillo.

Peu après la nomination de Robert Abdallah à titre de directeur général de la Ville de Montréal, en 2003, le maire Gérald Tremblay dit avoir été alerté sur les méthodes particulières de son nouveau bras droit par un haut fonctionnaire responsable des finances de la métropole, André Delisle. Ce dernier a quitté ses fonctions à la Ville immédiatement après l'arrivée en poste de M. Abdallah. Les deux hommes s'étaient côtoyés pendant de longues années à Hydro-Québec.En entrevue à La Presse, hier, Gérald Tremblay est revenu sur la chronologie des événements qui entourent le scandale de la collusion dans l'industrie de la construction. En 2003, a-t-il raconté, un événement notable est survenu à la suite de la nomination de Robert Abdallah.

Est-ce que quelqu'un vous a dit à l'époque que M. Abdallah avait des méthodes un peu particulières? avons-nous demandé au maire. «Oui. André Delisle, ancien vice-président d'Hydro-Québec. Il était responsable des finances à la Ville.» Que vous a-t-il dit? Le maire a observé un long silence. «M. Delisle a quitté quand Robert Abdallah est arrivé.» Lui avez-vous demandé pourquoi il partait? «Oui.» Ça vous a alerté? «La réponse, c'est oui.»

«Je voulais garder André Delisle. Je le connaissais. C'est une bonne personne. Alors... Quand on a retenu, après un concours, Robert Abdallah, il a quitté la Ville», a ajouté M. Tremblay. Et a-t-il eu une conversation avec vous avant de partir? «Non. Pas avant. Après (avoir quitté).» Que vous a-t-il dit? «Appelez-le.»

Avant d'engager M. Abdallah, Gérald Tremblay avait pourtant demandé au président d'Hydro-Québec, André Caillé, si Robert Abdallah était une personne de confiance. «J'avais vérifié avec le président d'Hydro-Québec. Robert Abdallah venait d'Hydro-Québec. André Caillé est un ami. Je lui ai demandé: est-ce que tu me recommandes Robert Abdallah? Il m'a dit oui: quand on a eu la crise du verglas, il a "performé". Alors j'ai cru André Caillé.»

«J'ai quitté pour ne pas être mêlé à cette cochonnerie»

Gérald Tremblay a refusé d'aller plus loin dans ses commentaires sur cette affaire. Il a été impossible de joindre André Delisle. De son côté, Robert Abdallah a affirmé qu'il est l'objet d'un règlement de comptes puisque c'est lui qui a demandé à André Delisle de quitter ses fonctions. «À mon avis, il ne remplissait pas sa mission. Je cherchais quelqu'un de plus apte, de plus compétent. Je ne comprends pas que Gérald dise ça aujourd'hui puisqu'il était d'accord avec moi. Il n'avait plus confiance en André Delisle.»

M. Abdallah a vivement défendu son intégrité personnelle. «J'ai implanté un système pour corriger toute cette cochonnerie. J'ai quitté pour ne pas être mêlé à cette cochonnerie-là.» Quelle cochonnerie? «J'ai quitté et je ne veux pas revenir là-dessus, a-t-il dit. Est-ce que Gérald vous a dit que je m'étais battu contre lui pour implanter un vérificateur interne? Est-ce qu'il vous a dit pourquoi il a annulé le service d'estimation que j'avais implanté? Posez-lui la question.»

Avez-vous été sondé par des entrepreneurs qui voulaient avoir des contrats? lui avons-nous demandé. «Absolument pas.»

Robert Abdallah a été nommé directeur général de la Ville en 2003. Lorsque son prédécesseur, Guy Coulombe, a quitté son poste, M. Abdallah ne figurait pas sur la liste des candidats potentiels. Il a quitté son poste de directeur général trois ans plus tard, pour des raisons demeurées imprécises. Depuis novembre 2008, il est à l'emploi de l'entreprise Gastier, une filiale de Simard-Beaudry, propriété de l'entrepreneur Tony Accurso.

«Il y a des enveloppes brunes qui circulent»

Mais les premiers indices reçus par Gérald Tremblay d'un système de collusion organisé dans l'industrie de la construction remontent à 2001, a affirmé M. Tremblay. «En 2001, j'ai été informé qu'il y avait des enveloppes brunes qui circulaient, par le directeur général de la Ville de Montréal, Guy Coulombe, a raconté M. Tremblay. Je lui ai dit: qu'est-ce que vous avez fait? Il m'a répondu: je pose la question aux fonctionnaires et la réponse, ça a toujours été: nous n'avons pas de preuve. Alors j'ai été informé dès mon arrivée à l'hôtel de ville, dès le lendemain de mon élection.»

Avez-vous joint la police? «M. Coulombe, c'était la police. C'est lui qui avait redressé la Sûreté du Québec. J'ai quelqu'un qui est un redresseur de la SQ qui me dit: je n'ai pas de preuves. M. Coulombe voulait avoir de l'information, mais personne ne lui en donnait.»

De son côté, Guy Coulombe ne se souvient pas d'avoir eu un tel échange avec le maire. «Je ne me souviens absolument pas de ça. Aller dire une chose comme ça, ça n'est pas du tout mon style. Qu'il m'ait mentionné qu'il avait entendu dire que.... et que je lui aie répondu que j'avais entendu dire que... c'est possible.»

L'ancien directeur général de la Ville n'a jamais été confronté directement à des éléments de preuve sur une possible collusion d'entreprises. «Personne n'est jamais venu me voir avec des sommes d'argent.» Il admet cependant avoir reçu nombre de témoignages d'employés qui lui rapportaient des ouï-dire. «Je leur disais: si tu as quelque chose de précis à dire, dis-le-moi. Si c'est des rumeurs, je ne veux même pas le savoir.»

Après les élections de 2005, M. Tremblay dit avoir mis sur pied un module d'enquête indépendant, formé de quatre personnes, sous la direction de Pierre Reid. L'équipe était chargée «de faire la lumière sur les informations qu'[il commençait] à avoir». C'est le travail de ces enquêteurs maison, a affirmé le maire, qui a notamment mené à la démission de Robert Marcil, directeur de la réalisation des travaux à la Ville. «J'ai reçu un courriel qui identifiait une personne. On l'a fait venir, on lui a dit: tu es allé en Italie, en voyage, avec un contracteur.»

«Le ménage, je le fais depuis plusieurs années, a conclu le maire. J'ai été discret. Je n'ai pas fait de conférences de presse. Mais les gestes ont été faits.»

PRÉCISION

Robert Abdallah aucunement mis en cause par le maire de Montréal

Dans un article publié dans son numéro du 24 octobre 2009, à la suite d'une entrevue avec le maire de Montréal, La Presse a écrit que ce dernier mettait en cause l'ancien directeur général de la Ville, monsieur Robert Abdallah, en lien avec les ristournes et le favoritisme dans l'octroi des contrats municipaux. Or, il appert que, dans le cadre de l'entrevue accordée à La Presse, le maire n'a pas voulu remettre en question l'intégrité de monsieur Abdallah. De plus, l'enquête de La Presse n'a pas permis de mettre en cause cette intégrité. Si les termes utilisés par La Presse ont pu laisser planer un doute à ce sujet, nous nous en excusons.

Monsieur Abdallah a été directeur général de la Ville de Montréal de 2003 à 2006 et lorsqu'il a quitté ses fonctions le maire a déclaré: «Robert Abdallah a fait un bon travail pendant les années qu'il était avec nous.»

Auparavant, il avait fait une longue carrière à Hydro-Québec au sein de laquelle il a occupé des postes d'importance, notamment, directeur principal du Groupe Équipement et viceprésident de la Société d'énergie de la Baie James. Au mois de novembre 2008, il a été nommé président de Gastier, une entreprise qui oeuvre dans le domaine de la construction et de la maintenance en mécanique, électricité et instrumentation et contrôle au Québec.