Les candidats d'Union Montréal dans l'arrondissement de Montréal-Nord sont assis à une table au fond d'un casse-croûte haïtien, à deux pas du lieu où le quartier s'est embrasé il y a un an. Devant eux, Big J, un grand animateur aux tresses rastas, et une assistance hétéroclite d'une trentaine de personnes. Des jeunes à l'allure «yo». Des filles latino-américaines, arabes. Quelques messieurs haïtiens aux cheveux blancs. Tous ces gens ont une tonne de questions pour les candidats d'Union Montréal, au pouvoir dans Montréal-Nord depuis huit ans. Et pas nécessairement des questions gentilles.

Bienvenue dans une assemblée de cuisine, genre extrême.

Avant l'arrivée des candidats, Big J, de son vrai nom Jonathan Duguay, avait chauffé l'assistance. «Posez-leur des vraies questions! Mettez le paquet! Tout en restant polis, bien sûr», avait-il dit avec le sourire du chat qui vient d'avaler un canari.

 

Lorsque Gilles Deguire, candidat à la mairie de Montréal-Nord et ancien policier du Service de police de la ville de Montréal, et Monica Ricourt, une jeune politologue candidate au poste de conseillère d'arrondissement, ont pris place, un murmure de mécontentement a brui dans l'assistance. Jean-Marc Gibeau, le conseiller de ville de Montréal-Nord, en poste depuis huit ans, avait malheureusement été «retenu» ailleurs.

«C'est plate, a lancé Big J. C'est surtout à lui qu'on voulait poser des questions.» Le ton était donné.

Pendant une heure, les deux candidats ont essuyé le tir nourri des participants à la soirée, où figuraient plusieurs membres du groupe Montréal-Nord Républik. Première question: Ricardo. Un jeune Noir, casquette. Il a évoqué le fait que les deux candidats, tant M. Deguire que Mme Ricourt, ont passé les dernières années à travailler au bureau de la députée libérale Line Beauchamp. «Vous deux, vous faisiez donc partie du parti au pouvoir lors des émeutes. Comment s'en aller vers du changement alors que les deux personnes qui nous font face ont fait partie du problème?»

Réponse de Monica Ricourt: «Je suis consciente des problèmes et je veux faire partie de la solution.» Gilles Deguire a évoqué la création d'une table de concertation sur les questions de sécurité. «On va former une consultation qui va être parrainée par un processus. On va établir les paramètres avec lesquels vous voulez qu'on travaille, a-t-il dit. Je vous tends la main. J'ose espérer la recevoir.»

Ces paroles ont été accueillies avec un silence glacial. «Les gens ne sont plus capables des tables de concertation», a lancé Guillaume Hébert, un jeune Blanc résidant du quartier et membre de Montréal-Nord Républik. «Le Montréal-Nord qu'on a aujourd'hui, c'est le travail de votre famille politique. Et ce que vous nous dites, c'est: laissez-nous continuer. Il va falloir que la mairie de Montréal-Nord cesse d'être une maison de retraite pour des membres éminents du PLQ.» Applaudissements.

Le candidat Deguire a tenté de faire valoir les réalisations de son parti. La Maison de la culture: 12 millions. Les terrains de soccer synthétiques: 4 millions. «Quand je vois des immeubles qui tombent en ruine, je me demande si des terrains de soccer synthétiques, c'est bien utile», a observé Big J.

Et ç'a continué comme ça pendant une grosse heure.

Géthro Auguste, responsable du groupe Culture X, avait organisé la rencontre avec son ami Jonathan Duguay, intervenant aux Fourchettes de l'espoir. Ils ont reçu tous les partis lors de ces rencontres baptisées les Jeudis Lakay. Lakay, ça veut dire «chez soi» en créole. C'est le nom du casse-croûte, où on sert du griot, le plat créole typique - porc frit, riz et sauce piquante. «Les gens, dans le secteur, ne sont pas habitués à ça. D'habitude, les rencontres politiques, ça se passe dans les résidences pour personnes âgées, sur le boulevard Gouin», a observé Jonathan.

À l'issue de l'assemblée de cuisine, Gilles Deguire était manifestement sonné. «Je m'attendais à une soirée pas facile. On avait eu vent que Montréal-Nord Républik serait présent.» Pour lui, les dures remarques formulées durant cette soirée ne sont pas représentatives des préoccupations des citoyens de ce secteur. «Il s'agit d'un groupe qui s'exprime fortement. Nous, on est à l'écoute de 84 000 personnes qui vivent à Montréal-Nord.»

Jean-Pierre Beauchamp, du groupe Montréal-Nord en santé, avait lui aussi assisté à la rencontre. Et il était en total désaccord avec Gilles Deguire: les observations brutales des jeunes sont le reflet de ce que pense la population du quadrilatère difficile de Montréal-Nord. «C'était une rencontre dure, mais nécessaire.» Linda Therrien, du groupe Un itinéraire pour tous, opinait. «Je ne suis pas surprise que les candidats ne trouvent pas ça représentatif: ils n'ont pas l'habitude de parler à ces gens-là.»