NDLR: Dans le cadre de la Commission spéciale sur la question de Mourir dans la dignité, qui tient des audiences publiques jeudi et vendredi à Sherbrooke, La Tribune a invité deux spécialistes à livrer leur point de vue. Demain, ce sera au tour du professeur Gilles Voyer, directeur du Bureau de développement de l'éthique de la Faculté de médecine et des sciences de la santé de l'Université de Sherbrooke.

Les décisions concernant la vie ou la mort sont parmi les plus angoissantes qui puissent interpeller l'être humain. Elles ne se sont sans doute jamais imposées, cependant, avec une telle acuité qu'à notre époque moderne: de la procréation assistée au prolongement de la vie et à la mort contrôlée, la volonté humaine, forte de la plus haute technologie, entend désormais s'imposer en lieu et place du hasard et de la destinée.

Le droit à l'autonomie de la personne

Les Chartes canadienne et québécoise des droits et libertés, le Code civil du Québec, les décisions des tribunaux ont consacré le droit fondamental de la personne, majeure et en possession de ses moyens, à son autonomie en matière médicale. Elle peut, on l'oublie trop souvent, demander que tout soit fait pour la maintenir en vie le plus longtemps possible. Elle peut aussi, pour des motifs qui lui sont propres, refuser certains types de traitement ou encore tout traitement, laissant venir la mort inéluctable. La personne peut d'ailleurs consigner d'avance sa volonté dans des directives de fin de vie, pour le cas où elle serait plus tard inapte à s'exprimer.

Les soins de fin de vie

Le malade n'est pas pour autant abandonné à son sort: les soins palliatifs ou, plus largement, les soins de fin de vie, sont alors mis en oeuvre. Prodigués par des équipes multidisciplinaires, prenant en compte la personne globale, ces soins visent à soulager non seulement la souffrance physique, mais aussi la souffrance morale, l'angoisse qui saisit le vivant à la perspective de la mort, à l'accompagner jusqu'à la fin dans le respect et la dignité.

En quelque lieu qu'ils soient prodigués, les soins de fin de vie bien compris constituent la plus belle manifestation de solidarité humaine. De nombreuses voix s'élèvent pour réclamer, à juste titre, leur développement au Québec.

Dans de rares cas, l'arsenal pharmacologique impressionnant dont disposent aujourd'hui les médecins peine malgré tout à contrôler la souffrance du patient mourant. L'on peut alors recourir à ce que l'on appelle la sédation complète qui consiste, à défaut d'autre moyen, à l'endormir. De ce sommeil il peut se réveiller, la douleur étant vaincue ou à tout le moins contrôlable, comme il peut ne pas se réveiller, la mort ayant, durant ce temps, fait son oeuvre.

L'euthanasie et l'aide au suicide

Faut-il franchir l'étape ultime, «le fossé étroit mais si profond» qui sépare tuer et laisser venir la mort? Cette question est au coeur du débat qui déchire actuellement le Québec comme d'autres sociétés occidentales la participation remarquable des citoyens et des groupes aux audiences de la Commission spéciale de l'Assemblée nationale sur la question de Mourir dans la dignité en témoigne éloquemment.

Faut-il ouvrir la porte à l'aide au suicide, la personne mettant elle-même fin à ses jours grâce à l'assistance d'un tiers qui lui en fournit le moyen? Faut-il ouvrir la porte à l'euthanasie, un médecin injectant au malade les produits qui vont entraîner sa mort dans les minutes qui suivent?

Un «droit à la mort» est revendiqué, en toute bonne foi, par des personnes et par des groupes de pression très actifs. Pour ceux-ci, les personnes majeures et lucides, atteintes d'une maladie incurable, arrivée, ou non, au stade terminal de son évolution, doivent pouvoir opter pour le geste fatal: il en va de leur dignité, du rejet de la souffrance extrême et, par-dessus tout, de leur autonomie. Abréger le processus de mort devient ainsi le dernier geste de contrôle de l'humain sur sa destinée.

L'état du droit

En l'état actuel du droit au Québec et au Canada, l'euthanasie (qui comporte tous les éléments du meurtre

et l'aide au suicide sont des actes criminels et relèvent donc de la compétence fédérale. Le Québec pourrait-il, néanmoins, permettre de telles pratiques? Il a été suggéré, notamment, qu'instruction pourrait être donnée aux procureurs de la Couronne de ne pas intenter de poursuite contre les médecins ayant pratiqué l'euthanasie en respectant de strictes conditions.

Un débat trop souvent faussé

De nombreux éléments dénaturent malheureusement ce débat crucial pour notre société, faisant ainsi obstacle à une analyse lucide des vrais enjeux. Les sondages tout d'abord: 70 % à 80 % des citoyens et des médecins, rapportent béatement les médias, seraient en faveur de l'euthanasie dans certaines circonstances. Or les questions desdits sondages sont le plus souvent simplistes: entre la souffrance intolérable, la perte de dignité et la demande d'euthanasie, sans mention aucune des soins palliatifs et leurs bienfaits, le choix, dicté par la compassion, ne s'impose-t-il pas de lui-même?

Et que dire des arguments spécieux faits pour semer la confusion: arrêt de traitement, sédation poussée, euthanasie menant tous à l'issue fatale, pourquoi les distinguer encore? Ainsi s'efface la frontière entre tuer et laisser mourir, et l'euthanasie devient légitime.

Plusieurs États américains et pays occidentaux ont, par divers moyens légaux, permis l'euthanasie et/ou l'aide au suicide. Les Pays-Bas et la Belgique, notamment, sont souvent cités en exemples. Aucune poursuite pour non-respect de la loi n'y a jamais été intentée par leurs Commissions de contrôle. Or les dérives, qui sont des questions de faits et non d'opinion, y sont de plus en plus documentées.

L'euthanasie, solution de dernier recours réservée au malade dûment informé, dont la souffrance est inapaisable? La souffrance psychique, comme la souffrance physique, est recevable: dépression, perspective d'une vie diminuée, diagnostic de maladie d'Alzheimer et, dernièrement, «lassitude de vivre» de personnes âgées peuvent ainsi la justifier.

Les risques d'extension aux personnes inaptes, de la désinformation? Aux Pays-Bas, le Protocole de Groningen (2007)  encadre, en dehors de toute disposition légale, l'euthanasie de nouveau-nés lourdement handicapés. À l'instar de leurs collègues hollandais, des pédiatres belges estiment qu'il «faut élargir l'euthanasie aux mineurs».

Le président de la Commission fédérale belge de contrôle et d'évaluation de l'euthanasie, lui-même, plaide pour une extension de l'euthanasie aux personnes présentant «une incapacité irrévocable acquise d'exprimer ce qu'elles veulent»: patients souffrant d'une tumeur au cerveau ou du SIDA à un certain stade de la maladie, certains patients psychiatriques.

Il n'est pire aveugle que celui qui ne veut point voir. Entrouverte, la porte de l'euthanasie ne se refermera pas: elle s'ouvrira toute grande. Que deviendront les valeurs qui fondent la société québécoise, la protection de la vie, le soutien aux plus vulnérables, la générosité, la solidarité, l'humanisme, sacrifiés sur l'autel de la liberté de quelques-uns?

Professeure à la faculté de droit,

Suzanne Philips-Nootens

est titulaire de la Chaire de droit et gouvernance

de la santé à l'Université de Sherbrooke.