Qu'elle paraît lointaine, cette soirée électorale du 1er novembre 2009 où le maire Gérald Tremblay a été réélu! Quatre ans et trois maires plus tard, comment Montréal se porte-t-il? Mieux, à plusieurs égards. Ses transports collectifs sont plus populaires tout en étant reconnus à l'étranger, les investisseurs sont plus nombreux et la dette a diminué, toutes proportions gardées. Mais les jeunes familles continuent de déménager par milliers en banlieue chaque année. Et si la lutte contre la collusion a fait diminuer les coûts de certains contrats de construction, il resterait toujours plusieurs changements importants à apporter à l'appareil administratif. Malgré tout, les progrès de Montréal au cours des quatre dernières années se comparent avantageusement à ceux de son ultime rival, Toronto. À l'aube des élections municipales de dimanche, bilan de santé de la métropole québécoise.

FINANCES PUBLIQUES

Verdict: la dette de Montréal a diminué, toutes proportions gardées, en excluant les régimes de retraite; la Ville profite d'une période de taux d'intérêt peu élevés.

Solutions: réforme des régimes de retraite, contrôle les dépenses de services.

Une dette stabilisée

La dette de la Ville de Montréal est-elle stabilisée? L'agence de notation DBRS croit que oui. «Disons que nous ne sommes pas pessimistes. Actuellement, la Ville semble gérer son niveau d'endettement avec prudence», dit Julius Nyarko, vice-président associé aux finances publiques chez DBRS. Malgré cette prudence, Montréal est toujours la seule des cinq grandes villes canadiennes à ne pas y avoir une cote de crédit AA (Montréal a une cote A élevée).

Le professeur à HEC Montréal Robert Gagné abonde dans le même sens. «La dette de Montréal est sous contrôle, elle n'est pas en train d'exploser», dit ce spécialiste des finances publiques municipales.

Bien sûr, la dette de Montréal a augmenté depuis la dernière élection municipale: de 4,232 à 4,329 milliards de dollars, soit une hausse de 2,3% en quatre ans (ce chiffre inclut la dette des régimes de retraite des employés municipaux). Mais pour bien mesurer le niveau d'endettement, il faut chiffrer la dette d'une municipalité par rapport à ses revenus. En excluant la dette des régimes de retraite, la dette de Montréal est passée de 90% de ses revenus annuels en 2009 à 83% de ses revenus annuels en 2013. Autre mesure révélatrice: le coût du service de la dette est passé de 14,9% à 13,5% du budget annuel de la Ville durant la même période.

L'agence de notation DBRS s'intéresse surtout à la partie de la dette de Montréal payée uniquement par les contribuables, qui exclut les fonds dédiés et la dette qui se paie toute seule chaque année. Selon ses calculs, la dette payée par les contribuables montréalais a augmenté de 8,6% entre 2009 et 2011. Chaque Montréalais a ainsi vu sa partie de la dette passer de 1838$ à 1959$. L'agence DBRS calcule aussi que le ratio de la dette sur la valeur foncière totale de Montréal a diminué de 1,7% en 2009 à 1,5% en 2012. «La dette payée directement par les contribuables s'est stabilisée», dit Julius Nyarko, vice-président associé aux finances publiques de l'agence de notation DBRS.

Et il y a l'éléphant dans la pièce: le déficit actuariel de 2,1 milliards des régimes de pension municipaux, qui coûte 584 millions en 2013 à la Ville dans son budget. «Le déficit des fonds de pension est très préoccupant», dit le professeur Robert Gagné. Quand les taux d'intérêt augmenteront, le coût annuel d'emprunt du déficit actuariel fera de même, mais le déficit actuariel diminuera en raison des rendements plus élevés des obligations. «Une hausse des taux devrait être positive pour la Ville à l'égard de ses régimes de pension», dit Julius Nyarko.

Autre façon d'améliorer les finances publiques montréalaises: contrôler les dépenses nécessaires pour offrir les services. «Un budget municipal, c'est un budget de dépenses», dit Robert Gagné.

TRAVAIL ET INVESTISSEMENTS

Verdict: les investissements privés ont augmenté, le taux de chômage a diminué, tout comme le nombre de sièges sociaux.

Solutions: continuer de miser sur des secteurs de pointe, espérer une relance du secteur manufacturier.

De l'industrie manufacturière aux effets spéciaux

En raison de la fermeture des fabricants d'électroménagers Electrolux et Mabe, l'économie montréalaise a perdu 2000 emplois. L'arrivée de géants européens des effets spéciaux au cinéma comme Technicolor, Framestore et Mikros, qui ont créé 600 nouveaux emplois à Montréal, n'a certes pas compensé les pertes du secteur manufacturier. Mais c'est la preuve que l'économie montréalaise se transforme - en mieux, croit l'organisme Montréal International.

De 2009 à 2011, la valeur des investissements privés en immobilisations a augmenté de 41%. Une statistique impressionnante... à prendre avec un grain de sel. «Les investissements [en immobilisations] ne sont pas une fin en soi. Tous les investissements ne sont pas égaux. L'important, c'est la conséquence de ces investissements sur la création de richesse. Dans le jeu vidéo, Ubisoft et Warner n'investissent pas dans la brique et le mortier, mais plutôt dans la masse salariale et la recherche et développement», dit Christian Bernard, directeur des études économiques de Montréal International.

Réussir à se démarquer

Ce partenariat public-privé, financé notamment par la Ville de Montréal (1,5 million sur un budget de 9,4 millions), concentre 80% de son énergie dans trois secteurs d'activité: les technologies de l'information, la santé et l'aérospatiale. De 2009 à 2012, les investissements privés obtenus par l'entremise de Montréal International ont crû de 10%. «C'est exceptionnel, vu la récession en Europe», dit Christian Bernard, qui ne croit pas que les scandales à l'hôtel de ville aient eu un impact sur les investisseurs. «Les grandes entreprises se demandent si elles trouvent de la main-d'oeuvre qualifiée dans une ville, et à quel coût», dit-il. Sur ces deux points, la ville de Montréal se démarque, car elle occupe le 10e rang des meilleures villes universitaires du monde et elle est la métropole nord-américaine qui a les coûts d'exploitation les plus bas.

En plus de ces nouveaux investissements dans des secteurs de pointe, l'industrie manufacturière a gagné 7300 emplois à Montréal depuis deux ans. De 2009 à 2013, l'île de Montréal a perdu seulement 1100 emplois manufacturiers, contre une perte de 48 800 emplois pour l'ensemble du Québec. «La saignée dans le secteur manufacturier est moins importante qu'il y a trois ans, dit Joëlle Noreau, économiste au Mouvement Desjardins. Ce n'est pas impossible qu'il y ait une relance du secteur, car les entreprises peuvent de moins en moins se permettre des délais occasionnés par le transport à partir de l'Asie.»

FAMILLES

Verdict: environ 20 000 Montréalais quittent la ville chaque année pour la banlieue, mais ce nombre a diminué de 12% entre 2009 et 2011.

Solutions: construire des quartiers familiaux sur les terrains de la Ville, modifier les lois québécoises afin d'élargir les pouvoirs de zonage des villes.

L'exode vers la banlieue se poursuit

Pas moins de 20 971 personnes. C'est le nombre de personnes qui ont quitté l'île de Montréal en moyenne chaque année entre 2009 et 2011. Majoritairement des familles qui ont déménagé en banlieue.

Mince consolation, le nombre de Montréalais qui choisissent de quitter l'île a diminué de 12%: de 22 489 personnes en 2009 à 19 751 personnes en 2011. «La situation des familles à Montréal est meilleure qu'il y a quatre ans. Vivre dans l'île est plus valorisé par les familles. Les gens ont davantage conscience des avantages», dit Christian Savard, directeur général de Vivre en ville, un organisme sans but lucratif qui vise à créer des collectivités viables. Malgré cet exode vers la banlieue, Montréal ne se dépeuple pas: la population de l'île a augmenté d'environ 32 000 personnes entre 2006 et 2011, soit une hausse de 1,7% en cinq ans.

Selon Christian Savard, les jeunes familles montréalaises déménagent en banlieue pour deux raisons (d'ailleurs liées): le prix élevé des maisons d'au moins trois chambres et le manque de ce type de propriété sur le marché immobilier. «Plus il va y en avoir sur le marché, plus les prix demeureront raisonnables», dit-il.

Selon Vivre en ville, la solution passe par la construction de quartiers familiaux sur des terrains appartenant à la Ville, qui peut ainsi imposer des conditions d'aménagement aux promoteurs immobiliers. «Quand on regarde les plus beaux quartiers familiaux en Europe, c'est souvent ce qui s'est produit, dit Christian Savard. Cette formule réduit les coûts, et la Ville peut obliger les promoteurs à faire des logements pour les familles. Sinon, les promoteurs font des condos, qui s'écoulent plus vite.» Autre solution: modifier la Loi sur l'aménagement et l'urbanisme du Québec afin de permettre aux villes d'exiger plus de contrôle sur la construction de leurs quartiers au moyen de leurs règlements de zonage.

TRANSPORTS

Verdict: la popularité des transports collectifs a augmenté de 7,7%, Montréal serait l'une des métropoles où les transports sont les plus faciles, selon IBM.

Solutions: autobus à court terme, meilleure analyse des projets de transport par le gouvernement du Québec à long terme.

Le mandat le plus important depuis les années 60?

Les quatre prochaines années seront-elles les plus cruciales en matière de transports à Montréal depuis l'inauguration du métro, en 1966? Avec le train de l'Est, le métro prolongé jusqu'à Anjou, les nouvelles voies réservées pour les autobus ainsi que les dossiers du pont Champlain et de l'échangeur Turcot, Paul Lewis croit que oui. «Ce sera une période charnière, peut-être la plus importante depuis l'ouverture du métro. Tous les candidats ont beaucoup parlé de transports durant la campagne. Il y a une volonté politique et citoyenne de trouver des solutions», dit le vice-doyen de la faculté de l'aménagement de l'Université de Montréal.

Si tous les candidats conviennent qu'il faut de nouvelles solutions, le bilan des transports à Montréal est plutôt satisfaisant. Une nouvelle qui en surprendra plusieurs: Montréal s'est classé au premier rang parmi 20 métropoles mondiales pour la qualité de son système de transports, selon une étude d'IBM en 2011. Un résultat à prendre avec modestie, mais tout de même révélateur. «Montréal est l'une des meilleures villes en Amérique du Nord en matière de transports et elle ne doit pas avoir honte de se comparer aux villes en France, dit Paul Lewis. Notre système de transports collectifs est du même ordre qu'à Lyon et meilleur qu'à Bordeaux.»

Du pain sur la planche

Selon Paul Lewis, les quatre prochaines années seront déterminantes. «La carte des transports collectifs de Montréal ne correspond pas à la carte des déplacements des Montréalais», dit-il. Sa solution? «Un peu de métro, mais surtout des autobus, que ce soit des services rapides par bus ou des voies réservées. À court terme, c'est facile et rapide de mettre en place des services d'autobus.» Il n'est «pas défavorable au tramway», idée chère à Projet Montréal. «À un moment donné, l'autobus ne suffira pas».

Paul Lewis souhaite toutefois «une analyse plus rigoureuse» des projets. «Il faut choisir ceux qui vont donner les meilleurs résultats à long terme, dit-il. Le métro de Laval n'était pas l'investissement le plus rentable, mais Québec a quand même décidé de le construire.»

En terminant, un rappel aux candidats à la mairie qui promettent de régler tous les problèmes de déplacements à Montréal: en matière de transports, l'opinion du maire passe en deuxième, après celle du ministre des Transports du Québec. «Au bout du compte, c'est le gouvernement qui décide, car c'est lui qui paie une grande partie de la facture», dit Paul Lewis.

GESTION ET COLLUSION

Verdict: la Ville ne peut chiffrer avec certitude ni le coût de la collusion ni les économies réalisées depuis 2009, mais elle a constaté une baisse de 20% à 33% du prix de certains contrats de construction.

Solutions: davantage de firmes étrangères soumissionnaires, publication des données des appels d'offres, rotation des fonctionnaires responsables de l'attribution des contrats.

Des solutions à l'interne comme à l'externe

Les prix ont diminué de 20% à 33% pour certains contrats depuis les dernières élections, a remarqué la Ville, qui n'est toutefois pas en mesure de chiffrer officiellement le coût de la collusion. Mais le professeur à HEC Montréal Jacques Robert pense que la lutte contre la collusion ne fait que commencer.

Sa solution la plus importante: augmenter le nombre d'entreprises de l'extérieur de Montréal qui soumissionnent. «Le plus grand problème actuellement, ce sont les barrières à l'entrée implicites ou explicites pour les entreprises de l'extérieur du Québec», explique-t-il. Par barrières implicites, il entend la collusion. Et par barrières explicites, une partie de la réglementation en matière de construction - notamment le placement syndical.

Dans ses appels d'offres, la Ville de Montréal n'interdit pourtant pas aux firmes étrangères de participer. «Pourquoi les gens à Toronto avec une expertise ne viennent-ils pas à Montréal? Ces entreprises de l'extérieur sont les meilleurs remparts contre la collusion, dit le professeur. S'il y a collusion, c'est que chaque firme en profite sur un contrat différent. Mais quand vous avez une firme de l'extérieur qui vient à Montréal seulement pour un contrat, elle a intérêt à faire un prix juste et gagner le contrat, car elle n'a pas à se préoccuper des autres contrats.»

Selon M. Robert, l'administration municipale doit aussi publier les données des appels d'offres. «Les données doivent être publiques afin que des universitaires et d'autres membres de la société civile puissent enquêter. Aux États-Unis, des chercheurs universitaires ont détecté des modèles de corruption.»

Autre mesure à adopter: la rotation des fonctionnaires responsables de l'attribution des contrats. Il lance même l'idée - un peu originale, admet-il - que les villes puissent se «prêter» leurs spécialistes pendant quelques années, à l'image des échanges de professeurs à l'université. «Nous ne pouvons pas avoir les mêmes fonctionnaires qui distribuent les contrats durant 10 ans, dit Jacques Robert. Il ne faut pas que les gens s'enracinent dans des postes-clés.»

En chiffres 2009-2013

> Dette nette (incluant les régimes de retraite, en milliards $) 4,232 /4,329 (+2,3%)

> Dette directe et indirecte nette en % des revenus (excluant la dette des régimes de retraite) 90,0% /83,0%

> Coût du service de la dette en % des dépenses de la Ville 14,9% /13,5%