Deux gros chiens aboient quand je sonne à la porte.

L'appartement est petit, la décoration surchargée, les chiens surexcités. Un corridor sombre mène à la cuisine qui donne sur un petit jardin inondé de soleil.

Il n'y a pas un pouce carré de libre dans le jardin de Daniel et Jérôme : une fontaine où nagent des poissons, quatre arbres, un potager, une balançoire et un poulailler. Un poulailler avec trois poules. Des poules illégales. Seule la Maisonnette des parents, un organisme communautaire, a le droit d'élever des poules dans l'arrondissement de Rosemont - La Petite-Patrie. Cinq poules, pas une de plus.

L'arrondissement a été le premier - et le seul - à réhabiliter les poules interdites par Jean Drapeau en 1967. En permettant leur retour en 2011, le maire François Croteau a voulu imiter des grandes villes, comme Toronto, Vancouver et Seattle. Les poules, même s'il n'y en a que cinq, font partie de la révolution verte de Rosemont, une révolution tranquille qui ne fait pas de vagues contrairement à son voisin, Le Plateau, qui a soulevé des controverses monstres en tentant d'apaiser la circulation.

Daniel et Jérôme font fi du règlement qui leur interdit d'avoir des poules. Ce sont des fous de la nature. Ils jardinent, compostent, recyclent et élèvent leurs poules en plein coeur de Rosemont.

Tous les matins, ils cueillent des oeufs frais. « C'est pas des oeufs de tablette réfrigérés et shootés aux antibiotiques, précise Daniel. Pis quand on les casse dans la poêle, le blanc s'étend pas jusqu'à Chibougamau. »

Les poules leur donnent une douzaine d'oeufs par semaine. Daniel et Jérôme font des gâteaux, des muffins et de la mayonnaise. Et ils en donnent aux voisins qui ne les ont jamais dénoncés.

À la Maisonnette des parents, les poules - légales - fascinent les enfants. « Ces poules-là, c'est toute une attraction. Les enfants se chicanent pour savoir qui va ramasser les crottes ! », explique la directrice générale, Louise Hovington, qui, elle aussi, ne jure que par son potager, son compost et ses poules.

Elle m'amène visiter ses poules qui caquettent tranquillement dans leur enclos situé à une dizaine de mètres du boulevard Saint-Laurent.

« Le quartier a tellement changé, dit Mme Hovington. Avant, c'était la piste d'atterrissage des immigrants, des Maghrébins et des Latinos. Aujourd'hui, les vieilles manufactures sont transformées en lofts. »

La propriétaire de Milano, Célia Zaurrini, approuve : le quartier est en pleine mutation. Lorsque son père a acheté l'épicerie en 1954, elle était minuscule. Dans son bureau, des photos en noir et blanc montrent son père qui trône au milieu de son magasin. Aujourd'hui, Milano, véritable institution dans La Petite-Patrie, fait 200 pi de façade.

Le bon vieux quartier italien a changé. Comme Milano. « Avant, c'était le même train-train et il n'y avait pas de renouvellement, explique Célia Zaurrini. Depuis cinq ou six ans, ça bouge. Tout a commencé avec une église transformée en condos, puis le quartier a été envahi par des jeunes de plus en plus urbains. »

Et ces jeunes résolument urbains aiment la révolution verte insufflée par François Croteau : agriculture, toits blancs, mesures d'apaisement de la circulation, pistes cyclables, verdure pour combattre les îlots de chaleur, compostage... et poules.

Peu s'opposent au maire Croteau, contrairement à son voisin Ferrandez qui s'est fait d'irréductibles ennemis parmi les commerçants. Difficile de trouver des opposants prêts à critiquer son virage vert. Même la Société de développement commercial de la rue Masson mange dans sa main. Pourtant, ils se sont affrontés quand le maire a voulu piétonniser la rue en 2011, mais il a reculé devant l'opposition farouche des commerçants.

Tous unanimes derrière Croteau ? Non. Un commerçant, Richard Taraborelli, propriétaire de la quincaillerie Lalonde sur Masson, déteste Croteau avec ferveur. Et il jure qu'il n'est pas seul. Il maudit sa révolution verte. « Croteau a les mêmes idées que Ferrandez, dit-il, et ça vaut pas cinq cennes. Même si on paie des taxes de fou, il ne nous écoute pas. Il élargit les trottoirs et on perd des places de stationnement. J'ai plein de clients qui n'aiment pas son virage vert. Avec lui, c'est toujours des affaires vertes, pis des plans verts, je suis pus capable ! Il y a des autos dans une ville ! »

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Il n'y pas que La Petite-Patrie qui se transforme, l'est de l'arrondissement accueille les nouvelles familles à la vitesse grand V. Elles s'installent dans les grandes maisons de Rosemont.

Mario Fortin, directeur général du cinéma Beaubien, a vu Rosemont se transformer. Il le connaît par coeur, ce quartier. C'est ici qu'il est né 60 ans plus tôt, et c'est ici qu'il a grandi, sur la 12e avenue au milieu des Ukrainiens.

« Il y a beaucoup de vie dans le quartier et de jeunes couples avec des enfants, dit-il. Ce n'est pas aussi bobo (bourgeois bohème) que le Plateau. »

Le Beaubien a failli fermer ses portes au tournant des années 2000, victime de la faillite de Cineplex. Le quartier s'est mobilisé pour sauver le cinéma et Mario Fortin a été appelé à la rescousse.

Il avait convoqué une conférence de presse pour annoncer le sauvetage du Beaubien le 11 septembre 2001 à 10h. À 9h, les tours du World Trade Center s'effondraient. À 9h40, la plupart des invités, dont deux ministres, appelaient pour se désister. Le point de presse n'a pas eu lieu, le monde a changé et le Beaubien a survécu. Il veille sur le quartier avec sa marquise vintage.

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Caffé Italia, boulevard Saint-Laurent, 9h. Autour d'une table, six vieux Italiens discutent. En italien. Le ton monte, les hommes s'emportent et gesticulent. Ils parlent de Berlusconi, l'ancien chef du gouvernement italien condamné à sept ans de prison pour incitation à la prostitution. Pour les uns, c'est un « homme plein de scandales », pour les autres, un self-made-man qui inspire le respect.

« L'Italie est un pays de clowns ! », lance un des hommes.

La propriétaire, Mme Barsetti, passe près d'eux, lève les yeux au ciel et dit en soupirant : «  Ça fait 50 ans qu'ils sont vieux ! »

Et ça fait aussi 50 ans qu'ils viennent au Caffé Italia pour s'engueuler amicalement autour du sport et de la politique.

Ils l'ont vu évoluer, leur quartier. Ils y ont brassé des affaires, eu des enfants, certains ont même déménagé en banlieue, mais peu importe leur vie, ils sont restés fidèles au Caffé Italia qui trône sur le boulevard Saint-Laurent, au coeur de La Petite-Patrie.

« On a grandi ici, dit Carmelo, 70 ans. Le Caffé Italia, c'est chez moi. »

« Les jeunes sont partis à Laval. Il ne reste que les vieux », soupire Gino, 64 ans.

Le quartier change, mais les habitués du Caffé Italia, eux, ne bougent pas, figés dans le temps et l'immortalité de leurs discussions.

Rosemont-La Petite-Patrie

Taux de participation en 2009 : 45,35 % (ensemble de Montréal : 39,4 %)

Maire élu : François Croteau (35,51 % des voix)

Enjeux en 2013

L'arrondissement de Rosemont-La Petite-Patrie est le théâtre d'une chaude lutte. Coalition Montréal voudrait bien faire mordre la poussière au maire sortant, François Croteau. Élu en 2009 sous la bannière de Vision Montréal, dirigé par Louise Harel, il s'est finalement joint à Projet Montréal en novembre 2011. Coalition Montréal (qui englobe aussi le parti de Mme Harel) mise sur Simon Jolivet, fils d'un ancien député péquiste, pour reprendre Rosemont.

L'Équipe Denis Coderre présente également une équipe complète dans l'arrondissement. Josselin Breton, avocat du milieu du logement, voudrait être élu maire. Le local de campagne de ce groupe politique a été la cible de vandalisme, la semaine dernière, alors que les vitres ont été fracassées et les murs couverts de graffitis. Une plainte a été déposée à la police.

Le Groupe Mélanie Joly présente trois candidats à titre de conseillers de district sur quatre, et n'a aucun candidat pour le poste de maire de l'arrondissement.