Impossible de parler du Plateau sans mentionner le nom de son maire, Luc Ferrandez. Adulé par les uns, détesté par les autres, c'est l'homme de toutes les controverses.

Subversif, arrogant, roitelet, idéologue, fanatique. Les commerçants n'en démordent pas, ils détestent Ferrandez avec passion.

« Il est fanatique, dit Marc Doré, propriétaire du Fouvrac sur l'avenue Laurier. Avant, le Plateau était un des quartiers les plus agréables en Amérique du Nord. Aujourd'hui, il y a de l'acrimonie. Certains de mes clients me boycottent parce que j'ose parler contre Ferrandez. »

Marc Doré jure qu'il ne se réveille pas la nuit pour le haïr, mais il tremble d'indignation quand il en parle.

Même frisson d'exaspération chez Jean-Marc Milliard, propriétaire d'une galerie d'art rue Marie-Anne. Dès que le nom de Ferrandez est lâché, il s'emporte. Sa femme le calme. « Il va se rendre malade », dit-elle en le couvant d'un regard inquiet.

« On est pris en otages ! », proteste-t-il, le souffle court.

« C'est un idéologue, il a un plan », ajoute sa femme.

« Il n'a aucune écoute, affirme de son côté Martin Lavigne, propriétaire d'une boutique de sport sur l'avenue du Mont-Royal, Ekkip. Il a implanté ses mesures de façon sauvage, sans plan B. C'est un amateur. »

« Il a une vision micro-Plateau-nombril, lance Richard Geoffrion, propriétaire d'une trentaine de logements. C'est un idéologue, un subversif. Il ne fait pas de l'apaisement de circulation, mais de l'écoeurement de circulation. »

Certains commerçants refusent d'être cités, mais ils ne se gênent pas pour descendre Ferrandez en flammes sous le couvert de l'anonymat. D'autres affirment qu'ils ont été menacés ou intimidés par des zélotes pro-Ferrandez.

Le propriétaire du restaurant Ty-Breiz, Philippe Mangiante, fait de grands efforts pour ne pas s'énerver. Il refuse de parler à Ferrandez. « J'aurais trop peur de pogner les nerfs », dit-il. 

La faute de Ferrandez

Qu'est-ce que Ferrandez a fait de si terrible pour mériter un tel courroux ? Plusieurs choses, répondent les commerçants. Il a brutalement augmenté les tarifs des parcomètres, il a changé le sens de plusieurs rues, transformant le Plateau en labyrinthe, il a enlevé des places de stationnement en multipliant les vignettes et les pistes cyclables et il prend une éternité avant de déneiger.

Résultat : les clients fuient et le chiffre d'affaires dégringole. De 20 % en deux ans, affirme la Société de développement Avenue Mont-Royal. Et le ralentissement économique ? La flambée du prix des loyers ? La hausse des taxes ? La concurrence des DIX30 et des autres rues commerciales, comme la Promenade Masson ? Rien à voir, protestent les commerçants les plus enragés, tout est la faute de Ferrandez. Point.

Suzanne Lareau, présidente de Vélo Québec, hausse les épaules. Le discours hostile des commerçants l'agace. « Il serait temps qu'ils arrivent au XXIe siècle, dit-elle. Ils ne supportent aucun obstacle à leur tiroir-caisse. En 20 ans, le nombre d'autos a doublé dans la grande région de Montréal. Il y avait des problèmes de circulation avant Ferrandez et il y en aura après. Il faut arrêter de tout lui mettre sur le dos. »

Suzanne Lareau est une plateaupithèque : elle vit et travaille dans le Plateau et elle se déplace à vélo 10 mois par année.

Nathalie Clément aussi vient à la rescousse de Ferrandez. Elle est propriétaire d'une agence immobilière sur l'avenue du Mont-Royal. Elle vit dans le Plateau depuis 25 ans.

« Je partage les valeurs de Luc Ferrandez : la conscience urbaine, la vie de quartier, la ville au ralenti. Mais Ferrandez en a fait trop, trop vite. Je suis allée au DIX30 un mercredi. Le stationnement est gratuit. Les restaurants étaient pleins à craquer. Même chose au Centropolis, à Laval. »

La concurrence est rude et l'avenue du Mont-Royal en arrache. Nathalie Clément lui attribue un maigre 6 sur 10 pour la santé économique.

Et ce n'est pas seulement la faute à Ferrandez. 

*** 

Le Plateau a un problème d'image. Selon ses détracteurs, il est peuplé de bourgeois bohèmes et de granolas finis qui achètent du pain 46 grains, se promènent à vélo et crachent sur les autos. Ils vivent en autarcie dans leur république. C'est le mal-aimé des arrondissements, l'incompris qu'on adore détester.

Caricatural ? Bien sûr.

« Ça me fait rire, dit Jean-François Méthé. On exagère. Ça fait partie de l'imaginaire des gens. »

Jean-François Méthé travaille pour Éco-habitation, « ressource » pour la construction de maisons écologiques. Le local est situé dans une ancienne manufacture de la rue De Gaspé. Ferrandez a protégé les 800 artistes, designers et artisans qui travaillent dans les vieilles manufactures du Mile End. Il a conclu une entente avec le promoteur immobilier qui s'est engagé à éviter la flambée des loyers.

Jean-François Méthé a le look Plateau-branché-hipster  : sandales, jeans roulés sur les mollets, grosses lunettes noires carrées. Il vit et travaille dans le Plateau, à vélo l'été, à pied l'hiver. Il adore son mode de vie. Il a du respect pour Ferrandez.

« Il est sincère et engagé », dit-il.

Pierre Przysiezniak est un artiste. Dans son atelier en bataille situé une dizaine d'étages plus haut, il défend Ferrandez avec coeur.

« Quand un politicien a du guts et prend des risques pour remplir ses promesses, il faut l'appuyer, dit-il. Est-ce que les gens veulent des mous ou des gens qui agissent ? »

Hannah Beattie aussi aime Ferrandez. Elle vit dans le Plateau depuis 10 ans. Médecin en congé de maternité, elle appuie ses mesures sans réserve : embellissement du parc Laurier, inauguration du restaurant du Parc La Fontaine, apaisement de la circulation.

« Je trouve ça fantastique, dit-elle en allaitant son bébé. Les politiciens n'aiment pas faire des choses qui soulèvent des controverses. Ferrandez, lui, a osé. »

Même la communauté hassidique est prête à l'appuyer. Mayer Feig reste dans un grand logement de la rue Jeanne-Mance où vivent sa femme et ses sept garçons. Il loue l'ouverture d'esprit de Ferrandez et sa capacité à tenir compte des besoins de la communauté juive. 

- Allez-vous voter pour lui ? ai-je demandé.

- Probablement.

En 2009, Ferrandez a obtenu 45 % des voix et son parti, Projet Montréal, a raflé les cinq districts. Pourra-t-il rééditer l'exploit ? Les résidants du Plateau l'ont-ils suivi dans ses changements ? Ou le détestent-ils autant que les commerçants ?

Verdict le 3 novembre, jour des élections.

Le Plateau-Mont-Royal

Taux de participation en 2013 : 43,45 %

(ensemble de Montréal :  39,4 %)

Maire élu : Luc Ferrandez (44,76 % des voix)

À surveiller en 2013

Le maire Luc Ferrandez tente de conserver son siège de maire. Il affronte l'actrice Danièle Lorain, qui est dans l'équipe de Marcel Côté. La comédienne Marie Plourde se présente dans le district du Mile-End dans le parti Projet Montréal. La colistière du candidat à la mairie Michel Brûlé, Crystal Racine, se présente dans le district électoral de De Lorimier.