Il est difficile de se frayer un chemin dans ce minuscule local, pas plus large qu'un couloir, encombré par des dizaines de boîtes de légumes et de fruits frais. Renette Pierre, surnommée la mère Teresa de Pointe-aux-Trembles (PAT), vérifie le contenu des boîtes en ce jeudi après-midi ensoleillé de septembre.

À l'extérieur, quatre personnes font la file devant la porte en attendant le début de la distribution d'aide alimentaire.

« Avant, les immigrants ne venaient pas ici. Ils trouvaient ça trop loin », raconte la femme de 69 ans qui a fondé le centre d'aide familiale éducative et sociale De tout repos avec son mari, il y a plus de 20 ans.

Aujourd'hui, le portrait a changé. Les familles sont de plus en plus nombreuses à s'établir dans l'extrême est de l'île.

Pointe-aux-Trembles est toujours aussi « loin », mais le secteur ne traîne pas une réputation de ghetto violent comme Saint-Michel et Montréal-Nord. « Il n'y a pas de gangs de rue ici. Il fait bon vivre », vante Mme Pierre.

Les demandes d'aide à son organisme ont explosé au cours des dernières années. Il ne se passe pas une semaine sans qu'une nouvelle famille lui téléphone à la recherche d'un service de garde abordable ou d'un cours de francisation.

Les statistiques du dernier recensement lui donnent raison. L'arrondissement de Rivière-des-Prairies - Pointe-aux-Trembles (RDP-PAT) est le seul avec Ahuntsic-Cartierville à avoir réussi à attirer plus de familles qu'il n'en a perdu. Parmi elles, plusieurs familles monoparentales.

C'est l'un des rares endroits de Montréal où une famille peut dénicher une maison à un prix « abordable ». Le prix médian reste au-dessous de 300 000 $ alors qu'en moyenne, dans l'île, une maison individuelle coûte 385 000 $. Ici, les ménages sont en majorité propriétaires (61 %).

Le train de toutes les attentes

Il reste une source d'irritation majeure pour attirer encore plus de familles : le manque de transports en commun. « C'est l'enfer de traverser à Pointe-aux-Trembles. C'est juste l'autre bord de l'autoroute 40 et ça prend parfois jusqu'à deux heures en autobus. Ça va presque plus vite de se rendre à Pierrefonds », déplore Lorraine Doucet, coordonnatrice du centre de promotion communautaire Le Phare, situé dans un secteur pauvre de Rivière-des-Prairies (RDP).

Il n'y a pas que les familles qui réclament un meilleur système de transports en commun. « C'est vraiment un problème majeur. Ça doit faire 20 ans que les chefs d'entreprise se plaignent qu'ils ont de la difficulté à attirer des employés à cause de ça », dit Alain Dulong, président de la chambre de commerce de l'est de Montréal.

Dans ce contexte, le projet du train de l'Est suscite beaucoup d'attentes.

Rue Sherbrooke, entre la 52e Avenue et la voie ferrée, le seul indice de l'emplacement de la future gare de Pointe-aux-Trembles est une grande affiche annonçant le projet. Tout autour, les maisons en rangée y poussent comme des champignons. On se croirait à Laval ou à Brossard.

La construction de la nouvelle gare de Pointe-aux-Trembles doit débuter cet automne. Les travaux pour celle de Rivière-des-Prairies ont déjà commencé. « Ça va encore plus stimuler le développement immobilier du secteur », se réjouit M. Dulong.

Le mot « développement » revient souvent dans le discours de ce président de chambre de commerce. C'est que RDP-PAT est l'un des rares arrondissements de Montréal à disposer de grandes superficies de terrains vacants. « L'enjeu, c'est la décontamination des sols. Ça coûte une fortune, alors ça freine les ardeurs de plusieurs promoteurs », explique l'homme d'affaires de 49 ans.

À l'usine de père en fils

Ici, la fermeture en 2010 de la raffinerie Shell dans la ville voisine, Montréal-Est, en a traumatisé plus d'un. Huit cents emplois directs ont été perdus. Parlez-en à Michel Carrière.

Né à Pointe-aux-Trembles, le quinquagénaire a toujours vécu dans le quartier. À 18 ans, il a obtenu son premier emploi à la raffinerie Gulf (fermée aujourd'hui). « À l'époque où il y avait plusieurs raffineries, tous mes voisins travaillaient dans l'industrie ou connaissaient quelqu'un qui y travaillait », raconte-t-il.

Aujourd'hui, M. Carrière travaille toujours au même emplacement, qui a changé de nom et de propriétaires plusieurs fois depuis 30 ans. Il est maître-opérateur chez ParaChem. Son fils voulait suivre ses traces... jusqu'à ce que la raffinerie Shell ferme.

« Mon gars suivait son cours à l'Institut des procédés industriels, mais il a eu peur quand Shell a fermé. Il a lâché », dit M. Carrière. Son fils de 22 ans a suivi un cours de technicien en instrumentation qui l'a mené à se trouver un boulot... dans une industrie pétrochimique voisine de celle où travaille son père.

Comme bien d'autres gens de l'endroit dont c'est le pain et le beurre, Michel Carrière est en faveur du controversé projet de renversement du pipeline de la ligne 9. Le tuyau qui sort de terre à Montréal-Est est actuellement le début du pipeline d'Endbrige qui transporte du brut importé à Montréal et à Sarnia. Si le projet d'en inverser le flux se réalise, il deviendra la fin de la ligne 9, où aboutira le brut plus lourd en provenance des sables bitumineux de l'Alberta.

Aux yeux de ces personnes, ça va sauver la dernière raffinerie de Montréal toujours en activité, Suncor Énergie. La chambre de commerce locale et l'Association industrielle de l'est de Montréal (AIEM) militent en faveur du projet.

Il ne se passe pas une semaine sans qu'André Brunelle, président de l'AIEM, entende parler du « déclin » de l'industrie pétrochimique. Il déteste ce mot. « Si le projet d'Enbridge se concrétise, ça va nous assurer d'avoir accès à la matière première au meilleur prix possible, fait-il valoir. On pourra ainsi rester compétitif et créer des produits plus verts. » Et maintenir de précieux emplois dans un secteur de la ville qui en a bien besoin, conclut-il.

Aussi résidant de l'arrondissement, Xavier Daxhelet connaît les arguments des industriels par coeur. Ce docteur en génie physique ne les blâme pas de vouloir protéger leur gagne-pain, mais cela ne l'empêche pas d'être inquiet. « Enbridge a un passé peu reluisant en matière de déversements et ce pipeline passe vraiment près des résidences, surtout à Rivière-des-Prairies », lance-t-il. Et au-delà de l'argument sécuritaire, M. Daxhelet déplore que le Québec achète du brut provenant des sables bitumineux, l'une des façons les plus sales de faire du pétrole.

Plage et Tim Hortons

Lorsqu'on parle du projet de plage de l'Est mis sur pied par la mairesse actuelle, Chantal Rouleau, aux gens de RDP, plusieurs lèvent les yeux au ciel. Encore un projet qui va avantager Pointe-aux-Trembles, disent-ils. Même si elles forment un seul arrondissement, RDP et PAT sont comme deux soeurs qui se chamaillent sans cesse pour attirer l'attention de leurs parents.

« J'étais là pour les trois pelletées de terre qui ont été faites depuis 12 ans pour la construction d'une maison de la culture à RDP. On n'en a toujours pas, de maison de la culture. À Pointe-aux-Trembles, ils en ont une. Et de beaux grands centres communautaires. Et là, la mairesse pousse sur le projet de plage », critique Michel Johnson, résidant de RDP très engagé dans le milieu communautaire.

Les services de loisirs, de sports et de culture n'ont pas poussé au même rythme que les maisons neuves dans RDP. « On a trois Tim Hortons et un McDo. Aussitôt qu'on veut manger autre chose ou faire une sortie, on doit quitter le quartier », illustre M. Johnson.

« Nos jeunes font du basket et du hockey cosom dans un demi-gymnase. On ne peut pas dire qu'on a un centre communautaire digne de ce nom », renchérit Lorraine Doucet, de l'organisme Le Phare.

Le milieu communautaire de RDP compte bien interpeller les candidats aux élections sur l'importance d'offrir plus de services aux familles. Qui sait, M. Johnson assistera-t-il peut-être à une quatrième pelletée de terre bientôt ?

Rivière-des-Prairies - Pointe-aux-Trembles

Taux de participation en 2009  :  39,9 % (ensemble de Montréal :  39,4 %)

Maire élu : Joe Magri (41,2 % des voix)

Enjeux en 2013

-La mairesse actuelle, Chantal Rouleau, élue lors d'une élection partielle en juin 2010, a fait les manchettes en octobre 2011 avec son cri du coeur quand elle a affirmé que « la collusion est érigée en système à Montréal ». Elle a claqué la porte de son parti, Vision Montréal, pour joindre les rangs d'Équipe Coderre en mai dernier.

-Mme Rouleau affrontera Michel Taylor (Coalition Montréal) et Romeo Della Valle (Projet Montréal).

-Le parti de Marcel Côté a dû se défaire d'un candidat, Francesco Ierfino, qui avait signé une déclaration sous serment pour faciliter le retour au Canada d'un mafioso, Moreno Gallo.