Annette, 94 ans, souffre d'alzheimer. La femme, qui habite dans une résidence pour personnes âgées de Saint-Lambert, ne reconnaît plus ses enfants. Lors du passage de La Presse hier après midi, elle a été incapable de se souvenir de ce qu'elle avait mangé pour dîner.

Pourtant, samedi dernier, Annette a voté lors du scrutin itinérant qui s'est arrêté dans sa résidence. Une situation qui choque grandement ses proches, qui ne comprennent pas comment une femme qui n'a même plus la force de tenir un crayon a pu voter.

 

«Ma mère ne sait même plus ce que c'est que des élections! dit la fille d'Annette. On l'a forcée à voter. On l'a utilisée.»

Selon la loi, toute personne qui est incapable de se déplacer et qui habite dans une résidence pour personnes âgées peut bénéficier du vote itinérant. Pour ce faire, l'électeur doit formuler une demande écrite auprès du président d'élections de sa ville. Annette, qui est incapable d'écrire, n'a pas formulé une telle demande.

Les résidences pour personnes âgées peuvent aussi demander au président d'élections à ce qu'un bureau de vote itinérant soit installé dans leur établissement pour faciliter le vote de leurs clients, explique le porte-parole du Directeur général des élections du Québec, Denis Dion. Le jour du vote, les résidants n'ont qu'à demander verbalement de voter pour pouvoir le faire.

Or, la directrice de la résidence où habite Annette n'a pas demandé qu'un bureau de vote itinérant soit installé chez elle. «Des gens des élections sont venus me voir. Ils m'ont présenté une liste de noms et j'ai dû confirmer que ces personnes habitaient ici. On m'a dit que tous ces gens avaient le droit de voter. Je leur ai dit: ils vont voter même s'ils souffrent gravement d'alzheimer, même s'il ne savent pas faire un X? On m'a répondu que ce n'était pas à moi de juger qui est apte ou non à voter», raconte Mme Clavet.

M. Dion confirme que seules les personnes sous curatelle n'ont pas le droit de voter. «Le droit de vote est très précieux. On le donne avant de l'enlever», dit-il.

Une dizaine de résidants de l'établissement de Mme Clavet ont donc voté samedi. Seul le scrutateur et la secrétaire d'élections étaient avec eux dans leur chambre lors du vote. La fille d'Annette se demande bien qui a pu inscrire le X sur le bulletin de sa mère. «En plus dans sa condition, je sais qu'elle n'a même pas pu demander verbalement de voter, déplore-t-elle. Et elle n'a même pas pu s'identifier correctement. C'est révoltant!»

Dans le seul district 5 de Saint-Lambert, environ 50 personnes ont participé au vote itinérant de samedi. Combien d'entre elles avaient réellement demandé d'y participer? La présidente d'élections à Saint-Lambert, Louise Grégoire-Marsh, s'est contentée de dire que «le bureau de vote itinérant fait partie de la procédure». Quand on lui a demandé si la résidence d'Annette avait demandé la présence d'un bureau vote itinérant, Mme Marsh a répondu: «Aucun commentaire.»

Pour la fille d'Annette, le plus troublant dans cette histoire est que le vote de samedi est venu à ses oreilles par le plus grand hasard. C'est que son mari, Marc-André Croteau, se présente comme conseiller indépendant dans le district 5 de Saint-Lambert.

Lundi, M. Croteau a reçu la liste des électeurs ayant voté par anticipation. Quelle ne fut pas sa surprise d'y voir le nom de sa belle-mère! «Je sais qu'elle est incapable de voter. Ça pose de sérieuses questions d'intégrité sur le déroulement des élections, dit M. Croteau. Car en plus de ma belle-mère, d'autres résidants qui sont aussi gravement atteints d'alzheimer dans sa résidence ont voté! Je me demande à qui cette technique profite.»

Mme Clavet ajoute que ce n'est pas la première fois qu'un vote itinérant a lieu dans sa résidence. Les derniers scrutins fédéraux et provinciaux ont amené la même procédure. «Y a-t-il un système érigé pour faire voter des gens qui ne le demandent pas et qui sont incapables de le faire? Ça mérite une sérieuse enquête!» lance M. Croteau.