Il a été commissionnaire dans une pharmacie, vendeur de prospectus au Forum de Montréal, chauffeur de taxi, dactylographe à la Ville de Montréal. Et, depuis 31 ans, Michel Bissonnet tient les rênes de Saint-Léonard. Maire de la municipalité à la fin des années 70, il a ensuite été député du coin pendant 27 ans. Depuis le départ de Frank Zampino, il a repris son siège de maire avec une majorité soviétique. Portrait de l'éternel roi de Saint-Léonard.

La vie de Michel Bissonnet, 67 ans, ferait un roman passionnant. L'histoire du petit gars d'Hochelaga-Maisonneuve, né d'une mère célibataire qui avait frayé avec un important organisateur de l'Union nationale, envoyé très tôt au pensionnat, qui a passé ses étés dans des camps de vacances pour orphelins, et qui s'est hissé jusqu'à la présidence de l'Assemblée nationale.

 

L'histoire, aussi, d'un politicien de la vieille école, qui passe encore ses samedis matin à l'hôtel de ville à écouter les problèmes des citoyens et qui part chaque lundi avec le directeur des travaux publics pour voir lui-même les trous à boucher dans les rues. «C'est un service personnalisé, résume-t-il. Je suis tous les dossiers. Je veux être au courant de tout.» C'est d'autant plus facile que le maire siégeait jusqu'à présent aux côtés de... son épouse, Yvette, qui en est à son sixième mandat à titre de conseillère municipale.

Le service est si personnalisé à Saint-Léonard que bon nombre d'électeurs reçoivent un appel du maire le jour de leur anniversaire. «Si quelqu'un me dit que son garçon est parti en Californie, je me prends une petite note. Et l'année suivante, je lui demande: Et alors, comment ça s'est passé pour Paul en Californie?» dit-il, le sourire matois.

Dans son bureau, il conserve tous ses souvenirs. La photo de son père, dont il a découvert l'identité au collège parce que les bons pères n'arrêtaient pas de l'appeler «Ducharme». En regardant les mosaïques de photos de diplômés affichées dans les couloirs, il découvre son sosie: Hubert Ducharme. Son père. «J'étais beau garçon, à l'époque», dit-il. De son tiroir, il sort son vieux permis de taxi. Licence 6035. «Tu sais, je ressemble à l'acteur français...» Il interpelle sa secrétaire. «C'est qui, donc, l'acteur à qui je ressemblais?» La réponse fuse du bureau voisin. «Alain Delon.»

«Disons qu'aujourd'hui, je suis un peu plus rondelet», dit-il avec le même sourire. Le résultat de longs repas bien arrosés: Michel Bissonnet a toujours été amateur de bonnes bouteilles, ce qui lui a parfois joué des tours. En 1981, peu après avoir été élu député, il a failli mourir en tombant d'un train qui roulait dans la campagne italienne. Il cherchait les toilettes et s'est trompé de porte...

Lorsqu'il s'est présenté pour la première fois à la mairie de Saint-Léonard, «je ne savais même pas où étaient les écoles dans le quartier», dit-il. Il a tout de même été élu. Trente ans plus tard, il est heureux du bilan qu'affiche son ancienne ville. Saint-Léonard est l'arrondissement le moins imposé de tout Montréal. L'arrondissement où le taux de satisfaction des citoyens est le plus élevé, selon un sondage réalisé par la ville centre: 91% de citoyens satisfaits. La ligne bleue du métro, qui sera prolongée, une «promesse irrévocable» qu'il a arrachée aux libéraux.

Ce bilan débonnaire cache cependant des faiblesses, sur lesquelles Michel Bissonnet ne s'étend pas trop. Plusieurs groupes communautaires soulignent la piètre qualité de la vie démocratique dans l'arrondissement. Les procès-verbaux des réunions du conseil d'arrondissement sont assez éloquents: réunion du 2 mars, durée totale de la réunion, 18 minutes. Aucune question de citoyen. Rencontre du 6 avril: durée totale de la réunion, 21 minutes. Aucune question de citoyen. Les procès-verbaux des réunions sont souvent calqués sur ce modèle.

«Quand on se présente pour des questions au conseil, c'est tout juste s'ils n'appellent pas la police», dit le responsable d'un groupe communautaire, qui refuse d'être identifié. «Les rencontres le samedi matin avec les citoyens, c'est bien. Mais ça ne devrait pas être la seule formule offerte, pour être sûrs qu'on n'est pas limités à certains réseaux de connaissances», dit Daniel Duranleau, de la Table de concertation de Saint-Léonard.

Il faut dire que Saint-Léonard a bien changé depuis l'époque où Michel Bissonnet a été élu pour la première fois. Le quartier purement italo-québécois s'est transformé, avec une immigration récente beaucoup plus diversifiée. Il y a maintenant une communauté haïtienne forte, un petit Maghreb à l'extrémité ouest de la rue Jean-Talon. Et aussi des îlots de pauvreté importants. Les 134 logements de la place Jarry, célèbre taudis, sont barricadés depuis deux ans. Et aussi le domaine Renaissance, une enclave de 400 logements au coin de Viau et de Robert, où la situation reste «très difficile», dit Daniel Duranleau. «Un promoteur nous a offert d'acheter la place Jarry. Mais il voulait construire en hauteur. Le voisinage s'y est opposé», rétorque Michel Bissonnet.

Et disons que les groupes peuvent difficilement se servir de la campagne électorale pour arracher des promesses: à moins d'un cataclysme, Michel Bissonnet est assuré d'être élu. À l'époque où il était libéral, l'organisateur Pierre Bibeau disait de lui que c'était «un des rares députés qui pourraient se faire élire comme indépendant». Lorsqu'il est revenu à la mairie en 2008, il l'a emporté avec 95% des voix... et un taux de participation famélique de 25%.

«Je ne fais pas une grosse campagne, dit-il, parce que moi, je suis en campagne tout le temps.»