Brunilda Reyes pose fièrement devant l'immense trou creusé à l'angle de la rue Pascal et du boulevard Rolland. Il y a un peu plus d'un an, sur le terrain du garage qui se trouvait ici, il y avait des autos en flammes et des jeunes qui chargeaient la police. Dans quelques mois, le visage de ce coin de Montréal-Nord sera définitivement changé avec l'édification d'un tout nouvel immeuble à logements pour la réinsertion des mères de famille monoparentale, croit-elle.

La directrice des Fourchettes de l'espoir, maintenant candidate au poste de conseillère municipale pour Vision Montréal, montre les plans de son «bébé». Ce projet, elle l'a travaillé pendant quatre ans. Trente logements pour les jeunes mères. Des groupes communautaires au rez-de-chaussée. Une garderie. Un point de service du CLSC.

 

Lorsque la charpente de l'édifice commencera à s'élever, elle espère avoir défait Jean-Marc Gibeau, l'actuel conseiller issu du parti Union Montréal, qui représente depuis huit ans le district Ovide-Clermont, dans l'est de Montréal-Nord, le coin du quartier rendu célèbre l'an dernier par l'émeute qui a suivi la mort de Fredy Villanueva.

Ce chantier, c'est un lieu symbolique de Montréal-Nord, où Mme Reyes a choisi de rencontrer La Presse. «Je n'accepte pas qu'on me dise, au plan politique: on ne connaissait pas la problématique. Oui, on la connaissait, la problématique. Mais on ne savait pas à quel point les citoyens en avaient assez. L'administration municipale est toujours en réaction. Pas assez en contact avec le vrai monde. Si je suis élue, j'utiliserai mon bureau à l'hôtel de ville le moins possible», promet-elle.

Mais les responsables d'autres groupes communautaires chuchotent que ces «événements» ont aussi été l'occasion pour Mme Reyes, qui admet elle-même qu'elle a toujours voulu faire de la politique, de devenir une personnalité publique. La candidate reçoit d'ailleurs nombre de commentaires acerbes en faisant son porte-à-porte. «Certaines personnes habitent ici depuis 40 ans. Ils ont élevé leurs enfants ici. Quand ils lisent le journal, ils sont fâchés. Ils trouvent que Montréal-Nord a mauvaise réputation. Et moi, par mon travail, je suis responsable, pour eux, de cette mauvaise réputation.»

Il faut dire qu'une sorte de mur invisible balafre le district Ovide-Clermont. Une population extrêmement pauvre et affligée de multiples problèmes sociaux, dont celui des gangs de rue, habite les immeubles à huit logements du quadrilatère formé par les boulevards Henri-Bourassa, Maurice-Duplessis, Lacordaire et Langelier. En revanche, hors de ce quadrilatère qu'on a surnommé le Bronx, Montréal-Nord ressemble encore à une ville de banlieue, avec ses petits bungalows aux jardins soignés. Une frontière claire et nette sépare ces deux univers.

Jean-Marc Gibeau a choisi de nous rencontrer de l'autre côté de cette frontière, à deux pas de la maison qu'il habite depuis près de 40 ans. ll prend place dans les gradins du parc Saint-Laurent, où l'administration municipale vient tout juste d'inaugurer un superbe terrain de soccer synthétique. Coût: 4 millions, dont la moitié provient des coffres de la Ville.

«Montréal-Nord n'a jamais bougé autant que ça en huit ans», dit M. Gibeau, qui énumère les projets réalisés par l'actuelle administration dans l'est du quartier. Une toute nouvelle maison de la culture. Des nouveaux terrains de sport dans plusieurs parcs. Projet de revitalisation du parc Monty, terrain de jeu des gangs de rue. Blitz d'inspection de 300 logements insalubres. Et, bientôt, ajoute-t-il fièrement, un grand complexe sportif près de la rue Charleroi, avec piscine intérieure.

Cependant, certaines de ces réalisations sont critiquées par plusieurs groupes du quartier. La maison de la culture? «Un éléphant blanc», dit Frantz Jean-Jacques, intervenant à la maison de jeunes L'Escale. L'intervenant se demande aussi si ce genre de règles rigides ne seront pas reproduites dans le cas des nouveaux terrains de soccer synthétiques. «Les jeunes qui ne sont pas dûment inscrits dans un club officiel de soccer pourront-ils utiliser le terrain?» Pour l'heure, le gazon synthétique est soigneusement protégé par une clôture verrouillée.

Le conseiller Gibeau admet qu'il a fallu faire des aménagements à la maison de la culture, jugée intimidante. Un groupe communautaire a repris le contrôle des lieux. La bibliothèque a fait l'acquisition de consoles de jeu vidéo, qui sont extrêmement populaires, souligne le conseiller. Quant au terrain de soccer, il y aura des plages de jeu libre, promet-il. «Mais il faut une surveillance. Si on échappe une gomme sur un terrain comme ça ou qu'on ne porte pas les bons souliers, ça peut l'endommager», dit-il.

Un électrochoc salutaire

Jean-Marc Gibeau avoue franchement qu'il n'avait pas du tout vu venir les événements d'août 2008. «Ça m'a frappé solide», dit-il. Il résume ainsi ce qui s'est passé. «L'émeute, c'est un noyau de petits bums qui a voulu brasser.»

Mais l'émeute a constitué un électrochoc salutaire pour l'administration, disent certains groupes. «Les gens de l'arrondissement sont plus à l'écoute. C'est une amélioration. On veut poursuivre ce travail de partenariat», dit Isabelle Alexandre, directrice du groupe Entre parents. «Il y a eu une prise de conscience. Les jeunes se sentent plus écoutés, plus encadrés», ajoute M. Jean-Jacques. Il reste encore énormément de travail à faire, constate toutefois Marie-Ève Lemire, du Comité logement, qui reçoit chaque jour des appels de citoyens du quartier parqués dans des logements insalubres. Pour régler les problèmes, les gens des deux côtés du mur invisible doivent se parler, croit-elle. «Quand les gens parlent des «événements», ça me dérange profondément, cet euphémisme. Ça minimise l'ampleur de ce qui est arrivé.»

 

Photo: David Boily, La Presse

Jean-Marc Gibeau représente depuis huit ans le district Ovide-Clermont sous la bannière du parti Union Montréal. La Presse l'a rencontré au parc St-Laurent, à deux pas de la maison qu'il habite depuis près de 40 ans.