Leurs soldats seront sur la ligne de feu, dans les tranchées conservatrices, mais les généraux Jean Charest et Mario Dumont joueront la carte de la neutralité le plus longtemps possible. En débarquant à Québec pour son premier événement de campagne électorale, dimanche, Stephen Harper ne pouvait insister davantage: c'est ici que pour lui se jouera les prochaines élections.

C'est une drôle de guerre qui débute avec le déclenchement de la campagne fédérale. Au Québec, les militants libéraux et adéquistes, farouches adversaires habituellement, se retrouveront côte à côte, dans les locaux de bien des candidats conservateurs. Un observateur trop pressé évoquerait une réédition de la coalition des libéraux et des péquistes qui, en 1984, avaient permis à Brian Mulroney de balayer le Québec. Comparaison boiteuse: cette fois, les conservateurs n'auront pas l'appui des souverainistes.

 

Les médias feront leur beurre des surprises. Le père de l'adéquiste Simon-Pierre Diamond sera candidat de Stéphane Dion. «Je n'appuie pas le PLC, j'appuie mon père mais dans le salon chez nous» réplique le jeune député adéquiste.

Jean François Roux, son collègue d'Arthabaska, a paru un moment appuyer le bloquiste de Richmond André Bellavance. «J'ai dit que je n'avais rien contre lui, mais je suis aussi un bon ami du candidat conservateur, Éric Lefebvre», nuançait M. Roux la semaine dernière. Plus direct, Sylvain Légaré, l'adéquiste de Vanier, convient vite: la plupart des adéquistes donneront un coup de main aux conservateurs. Myriam Taschereau, la candidate conservatrice dans la seule circonscription encore bloquiste à Québec, vient du bureau de circonscription du député adéquiste Janvier Grondin.

Appuis variés

Même chez les libéraux tout tombe en place... vers les bleus. En 2006, Jean Charest avait, dans Shefford, envoyé ses troupes derrière Diane Jacques, une ancienne conservatrice passée au PLC. «Cette fois j'ai l'appui des libéraux provinciaux, et des adéquistes» constate, soulagé, le candidat conservateur dans Shefford, Jean Lambert. Un autre bleu, André Bachand, peut miser sur un appui personnel de Jean Charest, qui lui enverra ses troupes dans Sherbrooke.

Un libéral, André Komlosy, président de la commission d'organisation du PLQ, sera candidat conservateur dans Drummondville - avec l'appui d'une partie des péquistes venus avec la mairesse, Francine Jutras, sa belle-mère. Jean-Pierre Belisle, ex-député de Robert Bourassa, sera aussi candidat pour Harper, tout comme Claude Carignan, le maire de Saint-Eustache, un adéquiste de la première heure. À Montréal toutefois, bien des députés libéraux appuieront en douce leurs collègues du PLC - les deux partis se confondent plus dans la métropole qu'ailleurs en province.

Pommes de discorde

En décembre 2005, le premier ministre Charest avait rompu avec la tradition d'indépendance du PLQ en appuyant assez clairement Stephen Harper.

Le chef conservateur venait de faire un discours important à Québec, où il s'était engagé à répondre aux attentes quant au déséquilibre fiscal et à la représentation du Québec dans les organismes internationaux. Paul Martin avait accepté quelques mois plus tôt le «fédéralisme asymétrique» que réclamait le Québec, mais la filière bleue pesait plus lourd au cabinet de Jean Charest.

Politiquement, il n'est toutefois jamais payant pour le premier ministre québécois d'être trop proche du grand frère fédéral. Au cours des derniers mois, la popularité des libéraux provinciaux dans les sondages semble étroitement liée à la distance que Jean Charest a su garder avec Ottawa. Raymond Bachand a passé le printemps à vilipender son vis-à-vis fédéral, Jean-Pierre Blackburn, pour les coupes dans les budgets d'organismes à but non lucratif. Christine St-Pierre fait de même avec Josée Verner pour les compressions dans les programmes de promotion de la culture canadienne à l'étranger.

La semaine dernière, c'est Monique Jérôme-Forget qui faisait pleuvoir sur la parade conservatrice, banalisant une entente Québec-Ottawa qu'on voulait «historique». Mais ces attaques restent bien douces si on les compare aux coups de bélier des gouvernements ontarien et terre-neuvien à l'endroit des conservateurs fédéraux.

Listes d'épicerie

Avec son passage surprenant dans la circonscription de Mario Dumont, en décembre dernier, Stephen Harper a dédouané Jean Charest qui, pendant longtemps, ne pouvait critiquer le gouvernement qui avait donné un strapontin au Québec à l'UNESCO et aiguillé une partie de ses surplus vers les coffres vides de Monique Jérôme-Forget. Dimanche à Québec, M. Harper a fait un autre clin d'oeil aux nationalistes et rappelé que son gouvernement avait reconnu la «nation» québécoise et qu'il avait fait passablement d'efforts pour apprendre le français.

Aux dernières élections, à l'instigation du Québec, le Conseil de la fédération avait, dans une lettre publique à chacun des candidats fédéraux, dressé une liste des attentes des provinces. Cette fois, plusieurs premiers ministres ont annoncé leur intention d'y aller d'une missive de leur cru. La formule a fait long feu. Jean Charest est déterminé à prendre la parole durant la campagne, mais cherche encore de quelle manière intervenir.

Chez Mario Dumont, une liste d'épicerie est prête. On parlera, beaucoup d'économie, un peu de Constitution. À plusieurs reprises le chef adéquiste a réclamé publiquement la réouverture de la constitution pour permettre au Québec d'adhérer formellement à l'entente de 1982 conclue entre Ottawa et le Canada anglais. Pour Stephen Harper, pas question de croquer la capsule de cyanure qui a emporté le gouvernement Mulroney. L'honneur et l'enthousiasme? Dumont passera vite sur cette condition. Mais en chute dans les sondages, Mario Dumont n'a pas d'autre choix que de s'accrocher désespérément à une valeur montante.

Quand il était dans les limbes, chef d'un parti marginal, Dumont avait mis tous ses oeufs dans le panier de Stephen Harper, en janvier 2006. Il ne pourra pas finasser cette fois; les cabinets des ministres conservateurs québécois sont remplis d'adéquistes, il ne pourrait pas empêcher ses membres de courir derrière une campagne qui semble prometteuse.

Le PLC laissé seul

Tant Jean Charest que Mario Dumont n'ont rien à gagner d'une bonne performance des libéraux fédéraux. Chaque fois que le PLC s'approche du pouvoir à Ottawa, la ferveur souverainiste semble en remontée

Reste Pauline Marois dont les troupes sont, d'office, enrégimentées au Bloc québécois dont la pertinence à Ottawa, après 18 ans, se pose avec en plus en plus d'acuité. Le parti de Gilles Duceppe a, à deux élections, capitalisé sur le scandale des commandites au Québec. Mais depuis janvier 2006, il a baissé de 12 points environ dans les sondages. Le vote bloquiste est friable. On craint surtout une remontée du NPD dans les circonscriptions montréalaises, un mouvement insuffisant pour donner des collègues à Thomas Mulcair, mais qui peut faire perdre quelques députés bloquistes.

Le courant ne passe guère entre Gilles Duceppe et Pauline Marois. Mais cette dernière sait très bien que son sort est lié aux résultats qu'obtiendront les candidats bloquistes en octobre. Dans les sondages, le Bloc et le PQ font des scores identiques - autour de 30%. Si Harper parvient à récupérer une bonne partie du vote fédéraliste, libéral comme adéquiste, le Québec pourrait bien virer au bleu quand les feuilles tourneront au rouge.