Nichée à l'autre bout du pays, héritière à la fois des traditions hippie-écolo de toute la côte Pacifique Nord, d'un mouvement ouvrier enraciné solidement et d'un fond rural socialement très conservateur, la Colombie-Britannique n'a jamais voté comme les autres. Parfois très à gauche, parfois tout à fait à droite, elle fréquente peu le centre. Dix jours avant les élections fédérales, regard sur une province qui voit la politique à sa façon.

C'est l'heure du lunch. Sur le magnifique campus bordé par la mer et les sapins de Douglas géants, une centaine d'étudiants de l'Université de Colombie-Britannique sont rassemblés dans une salle bétonnée pour écouter un débat politique.

 

Des représentants des quatre principaux partis sont venus vendre leur salade. Les jeunes écoutent, studieux. Presque endormis.

Puis, soudainement, le candidat du NPD dans Vancouver-Centre, Michael Byers, se lance dans une grande tirade: «Nous sommes ceux qui nous battons pour défendre le Canadien ordinaire! Nous, nous faisons ce que nous promettons!»

Sur le coup, les étudiants réagissent, l'applaudissent vigoureusement, avec 10 fois plus d'énergie et d'enthousiasme que ce qu'ils ont montré jusque-là, même pour la candidate verte, même pour huer la conservatrice.

Le candidat du NPD a beau être professeur d'université, défenseur des droits de l'homme, auteur - il a signé Intent for a Nation -, commentateur à la CBC, toutes des caractéristiques qui pourraient le qualifier d'intello, sur scène il brandit son ticket d'autobus pour parler de la nécessité d'investir dans les transports en commun et soulever la foule.

Bienvenue en Colombie-Britannique.

Bienvenue dans une province où le populisme a la cote et où conservateurs et néo-démocrates, pratiquement les deux seuls partis encore dans la course à la veille des élections fédérales, se battent sur le même terrain. Celui de la conquête, par les tripes, du Canadien ordinaire, qu'il soit travailleur de l'industrie forestière, pêcheur, petit entrepreneur ou étudiant.

En fait, il n'y a que dans la région de Vancouver où, traditionnellement, les courses se jouent à trois. Pour le reste, le duel PC-NPD bat son plein.

Actuellement, les sondages donnent l'avance aux conservateurs dans la province, mais est-ce que cela veut dire que le NPD fera chou blanc? En 2006, 10 néo-démocrates ont été élus, 17 conservateurs et neuf libéraux.

«Historiquement, la Colombie-Britannique a toujours été la province où il est le plus difficile de faire des prédictions», rappelle Paul Adams, ancien journaliste politique aujourd'hui directeur de la recherche à la maison de sondage Ekos. «Mais il est clair actuellement que plus on va vers les circonscriptions rurales, plus on va vers le Parti conservateur.»

Et les libéraux, on les oublie?

«Ils n'ont pas l'air d'être dans la course, ni à Vancouver, ni à l'extérieur de Vancouver», dit M. Adams. «Ce sont les anciens réformistes, et jusqu'à un certain point les anciens conservateurs, qui se battent face à face avec le NPD pour le vote populaire. Et les libéraux, dans ces affrontements, sont souvent presque oubliés.»

Les verts font une différence

La seule différence, cette année, note Paul Adams, c'est que les verts accentuent la débandade des libéraux en allant chercher une partie de leurs appuis. Durant la campagne, jusqu'à présent, ils ont recueilli jusqu'à 12% et 13% des intentions de vote dans une province qui, il faut le dire, a une forte tradition environnementaliste. On n'a qu'à penser aux spectaculaires manifestations de résistance pacifique pour la protection de Clayoquot Sound, dans l'île de Vancouver, il y a 15 ans.

La popularité des écolos gruge aussi des appuis aux néo-démocrates, note Peter Donolo, l'ancien directeur des communications de Jean Chrétien, aujourd'hui à la tête de The Strategic Counsel, un cabinet spécialisé dans les études de marché.

Le sondeur remarque aussi clairement l'érosion de l'appui aux libéraux à travers des sondages hebdomadaires faits dans les circonscriptions «chaudes» qui pourraient basculer. Parmi celles qu'il observe de près, six sont des circonscriptions libérales de Vancouver, et les six pourraient changer de main, dit-il.

Son explication? La taxe sur le carbone, un des éléments principaux du plan vert libéral, est mal reçue. D'ailleurs, sur le terrain, on constate qu'elle est attaquée autant par les candidats néo-démocrates que par les conservateurs.

Ensuite, les électeurs sont relativement satisfaits des 30 mois de gouvernement conservateur et ne voient pas de raison d'aller voir ailleurs, explique M. Donolo. Enfin, ajoute-t-il, le chef, Stéphane Dion, ne profite pas d'une grande popularité. «Ça ne clique pas.»

«Le Parti conservateur est en grande force, affirme M. Donolo. Tout ce qu'il a à faire, c'est de rester où il est.»

Même Vancouver Quadra au PC?

Assise dans un café de Kitsilano, un quartier de Vancouver fréquenté autant par les étudiants que par leurs profs et par de jeunes entrepreneurs assez nantis pour acheter les maisons valant des millions avec vue sur l'eau, Jean MacRae se désole de cette situation.

Car cette professeure de beaux-arts dans une école secondaire vit dans une des circonscriptions actuellement libérales, Vancouver Quadra - l'ancien comté du chef libéral John Turner - et préférerait qu'elle le reste.

«Une peine de prison à vie pour un enfant de 14 ans, ça n'a ni queue ni tête!» lance-t-elle en parlant du programme conservateur. «Je suis une artiste, je suis complètement découragée à l'idée d'un nouveau gouvernement Harper. Le PC est tellement à droite. La seule chose qui pourrait sauver Quadra, ce sont les étudiants.»

Robert McRudden est un étudiant. Et il ne votera pas pour les libéraux ni pour les néo-démocrates comme le souhaiterait sa concitoyenne. Cet autre électeur de Quadra est un ancien réformiste, aujourd'hui 100% conservateur. «J'ai 25 ans, dit cet étudiant en théologie, je n'ai pas encore commencé ma carrière. Mais ce que je sais, c'est que je veux vivre dans un Canada où on est en sécurité et où il est facile de travailler et d'élever sa famille.»

 

La province en chiffres

> Population: 4,3 millions d'habitants

> Nombre de sièges fédéraux: 36

> Répartition des partis aux élections de 2006:

- PC: 17

- NPD: 10

- PLC: 9 (l'un d'eux est cependant passé au Parti vert depuis)

Intentions de vote selon le sondage Ekos fait jeudi auprès de 3428 Canadiens, dont 479 répondants de Colombie-Britannique:

Colombie-Britannique / Canada

PC: 36% / 34%

PLC: 22% / 25%

NPD: 29% / 19%

P. vert: 14% / 11 %