Les traits tirés, pas maquillée, Bonnie Brown regardait ses affiches s'empiler dans une remorque, hier, devant l'ancienne boucherie qui lui a servi de bureau de campagne au cours des cinq dernières semaines. Et elle se demandait pourquoi les électeurs qu'elle représentait depuis 15 ans lui ont, cette fois, montré la porte.

Plus elle y réfléchissait, plus ses pensées allaient vers le tournant vert de Stéphane Dion. «Il demandait aux gens de changer leur style de vie pour sauver la planète, mais ils n'ont pas voulu faire ce changement. C'était une solution complexe à un problème complexe, mais les électeurs ont choisi la simplicité», déplorait-elle.Bonnie Brown n'est pas la seule libérale à avoir été emportée par la vague bleue qui a balayé les villes du 905, la grande banlieue de Toronto, mardi. En 2006, les conservateurs avaient fait des gains dans la couronne éloignée de la métropole canadienne. Cette fois-ci, ils ont percé beaucoup plus près, gagnant cinq nouvelles circonscriptions du Toronto métropolitain. La carte électorale de la région représente désormais une enclave rouge au milieu d'un bloc bleu.

Oakville fait partie de ces circonscriptions traditionnellement libérales qui ont été remportées par des conservateurs, souvent avec des majorités massives. Bonnie Brown, par exemple, a été battue par plus de 5 000 voix par son adversaire libéral Terence Young. Est-ce la faute aux anciens électeurs libéraux qui ont été rebutés par le plan vert de Stéphane Dion, au point de changer d'allégeance?

Un désastre

C'est en tout cas ce que leur suggérait l'éditorial du journal local une semaine avant le vote. Le principal problème des candidats libéraux dans Oakville et de la circonscription voisine de Halton, «c'est leur soutien un virage vert libéral», affirmait le Oakville Beaver.

L'éditorial mettait en doute la volonté réelle des libéraux d'utiliser la taxe sur le carbone pour financer des réductions fiscales. «Or, sans les diminutions de taxes, le virage vert causerait un désastre économique», concluait le journal.

Des arguments de poids pour les habitants d'Oakville où l'un des principaux employeurs locaux est une usine Ford qui vient d'annoncer l'abolition de 500 postes. En plus de sa population d'ouvriers, Oakville, c'est aussi une banlieue riche où vivent des financiers de Bay Street. Comme c'est le cas dans les autres villes du 905, ces banlieusards voyagent matin et soir entre Oakville et Toronto, et ne constituent pas non plus une clientèle naturellement enthousiaste pour le plan Dion.

«Face à ces gens qui dépendent de l'automobile, le virage vert constituait un handicap», dit Derek Leebosh, analyste chez Environics.

Sur le terrain, la complexité apparente du plan Dion donnait des armes faciles au conservateur Terence Young. Son directeur de campagne Larry Scott raconte que lorsqu'il accompagnait son candidat dans le porte-à-porte, de nombreux électeurs lui demandaient de leur expliquer le virage vert. «Je leur répondais :'Mais ce n'est pas à moi de vous expliquer ça, ce n'est pas notre idée !»

Le plan vert n'est pas le seul facteur expliquant la dégelée des libéraux dans la ceinture immédiate de Toronto. Les conservateurs ont fait des progrès dans les communautés ethniques qui vivent dans ces villes et qui ont longtemps constitué la chasse gardée des libéraux, signale Peter Donolo, analyste au Strategic Counsel, à Toronto.

Ce dernier estime que le taux d'absentéisme a aussi joué un rôle dans les résultats de mardi. «Nous avons constaté qu'il y avait beaucoup de libéraux parmi les gens qui n'ont pas voté », souligne-t-il.

Comment expliquer ce manque d'enthousiasme électoral chez les partisans libéraux ? Selon M. Donolo, ils n'étaient pas très inspirés par Stéphane Dion, par sa campagne et, bien-sûr, par son plan vert.

C'est ce qui fait croire à cet analyste que la montée conservatrice autour de Toronto est circonstancielle et ne durera peut-être pas. «Avec un nouveau chef et un nouveau programme, les libéraux regagneront facilement les sièges perdus», prévoit-il.