Parmi les quatre chefs qui ont participé au débat en français mercredi soir, lequel a gagné selon vous? Quel chef a le moins bien performé? Pourquoi?

LES COMMENTAIRES DOIT ÊTRE SIGNÉS. MAXIMUM DE 150 MOTS.

Denis Saint-Martin

Professeur de science politique à l'Université de Montréal

IGNATIEFF N'A PAS ÉCLIPSÉ HARPER



M. Harper a moins bien performé qu'au débat en anglais mais il ne s'est pas « tiré dans le pied ». Il a fait passer son message mais sans insister comme il l'avait fait la soirée précédente sur la nécessité d'un gouvernement majoritaire. M. Duceppe faisait penser à Agnan dans le « Petit Nicolas » : le premier de classe qui connaît toutes les réponses par coeur mais qui n'attire pas nécessairement la sympathie. Quant à M. Ignatieff, il semble avoir simplement traduit en français les mêmes propos qu'il tenait la veille en anglais. Aucun effort de sa part de « québéciser » son message. Il n'a pas réussi à se vendre plus efficacement que le chef conservateur, pourtant son principal adversaire. M. Layton est le leader qui est apparu comme le plus chaleureux et authentique. Cela ne lui vaudra peut-être pas plus de votes, mais dans un débat sans grand gagnant, il se mérite la médaille de bronze.

Mathieu Bock-Côté

Chargé de cours en sociologie à l'UQAM

DUCEPPE PAR K.-O.  



Étrange débat. Après quelques échanges qui ont permis à Michael Ignatieff de se faire valoir, en bonne partie à cause d'une maîtrise indéniable de la langue française, tout en versant dans un populisme à rabais, souvent teinté d'antiaméricanisme vulgaire, le tout a versé dans une certaine insignifiance, génératrice de lassitude. Jusqu'à se pose la question du Québec dans le Canada. Ce problème que plusieurs veulent évacuer en fantasmant sur un débat gauche-droite pancanadien, a resurgi avec une belle virulence polémique, ce qui a avantagé un Gilles Duceppe étonnamment convaincant, sortant de manière surprenante de la rhétorique gauchisante des «valeurs québécoises» pour poser sans complexe la question de la souveraineté contre trois chefs anglo-canadiens affairés à relativiser la question nationale, comme s'il s'agissait d'une question périmée, appelée à se décomposer. Le réel finit toujours par resurgir. En fait, aucun parti n'a cherché à faire concurrence au Bloc dans le registre nationaliste, ce qui en dit beaucoup sur leur peu d'espoir de gagner des appuis substantiels dans le Québec francophone (Ignatieff a même préféré viser explicitement l'électorat francophone hors-Québec). On peut voir le tout avec tristesse: le Québec est de moins en moins un champ de bataille important dans la politique canadienne.



Mathieu Bock-Côté

Pierre-Olivier Pineau

Professeur agrégé à HEC Montréal



LA VICTOIRE DU STATU QUO



Le vainqueur du débat est le statu quo. Gilles Duceppe a été le plus éloquent, le plus incisif et le plus drôle. En ce sens, il a remporté le débat. Mais Stephen Harper, malgré ses quelques balbutiements, a continué de dégager un halo de flegme rassurant. Son réductionnisme de tous les sujets à l'économie et aux impôts toujours plus bas semble aller de soi, et il gagne parce que ce message - même faux - se comprend sans penser. Jack Layton a bien tenté de se positionner comme l'alternative aux «vieux» partis, mais il n'a pas réussi à convaincre qu'il représente réellement l'opposition aux conservateurs. Finalement, Michael Ignatieff a offert une performance articulée et solide, mais laborieuse. Le statu quo vainc donc, parce que personne n'a réussi à rompre l'équilibre. La grande perdante est la société : les idées pour changer nos modes de consommation, réduire notre endettement financier et écologique n'ont pas été abordées. Même si le débat en français a effleuré à plus de thèmes que celui en anglais, dont celui de l'environnement, nous sommes loin d'un renouvellement du discours politique qui semble lasser de plus en plus d'électeurs.


Richard Vigneault

Consultant en communication et membre de l'Idée fédérale



PAS DE VAINQUEUR 



Le débat lui-même a gagné le débat. Au final, les électeurs en profiteront.  Il est dommage qu'il faille attendre les élections pour avoir droit à ce genre d'exercice dans une démocratie. L'obstacle de la langue pour MM. Layton, Ignatieff et surtout Harper, n'a pas empêché de vifs échanges.  Gilles Duceppe n'a pas abusé de son avantage et a défendu son option de souveraineté avec passion. Cette question n'avait pas l'air d'être sur l'écran radar des autres chefs et c'est inquiétant pour la défense du fédéralisme. Plus de sujets ont été abordés. Malgré des efforts louables, M. Harper était le moins à l'aise ce qui l'obligeait souvent à revenir à son script.  Le fait qu'il s'en soit tenu malgré tout  à son credo économique pourrait le favoriser alors que les trois autres chefs se sont éparpillés dans toutes les directions.  Jack Layton est un bon vendeur mais son produit ne tient pas la route. Pour M. Ignatieff, c'était une occasion importante de montrer qu'il a du leadership et de la vision. Je ne crois pas qu'il ait réussi. Ce débat devrait aider les Québécois à choisir entre opposition et pouvoir, ou entre minorité ou majorité.



Guy Ferland

Enseignant de philosophie au Collège Lionel-Groulx de Sainte-Thérèse

MATCH NUL



La vraie saison commençait hier soir sur la patinoire électorale fédérale avec le débat en français. Malgré quelques accrochages sur la place du Québec au Canada où quelques bons coups ont été portés, il n'y a pas eu d'assauts et personne n'a trébuché de façon évidente. Les arbitres du débat sont intervenus trop souvent pour que les joueurs se chamaillent dans les coins de la surface de jeu. M. Layton a été le joueur le plus agressif envers les autres débatteurs et il a certainement marqué quelques points auprès des indécis. M. Harper a suivi son plan de match en jouant de façon conservatrice et en gardant son calme malgré les attaques répétées de ses adversaires. Il a présenté son bilan avec assurance. M. Ignatieff a été constant dans son jeu en mettant de l'avant son programme axé sur les familles et le respect des valeurs canadiennes de démocratie. M. Duceppe était à l'aise et il s'est imposé en regardant les yeux dans les yeux ses adversaires, surtout M. Harper qui restait de glace, ne se laissant pas déconcentrer par l'intimidation. Les partisans des différentes équipes ne devraient pas changer d'allégeance après cette joute. Match nul, seul Jack Layton peut avoir marqué quelques points.



Mélanie Dugré

Avocate

DUCEPPE S'EST IMPOSÉ



Le défi de la langue au Canada s'est imposé comme une vérité de La Palice. Hésitant et effacé qu'il était au débat en anglais, Gilles Duceppe a aujourd'hui fait preuve d'un solide aplomb, d'une grande aisance et d'une vivacité d'esprit qui ont pimenté  les discussions à plusieurs occasions. Son tempérament latin crevait littéralement l'écran lorsqu'il a envoyé ses adversaires au tapis avec de brillantes et spontanées réparties. Quant aux trois chefs anglophones, ils ont été d'une ennuyante rigidité, tout coincés qu'ils étaient dans des formules  toutes faites et s'agrippant à leurs mots clés. Toutefois,  celui à qui la nuit a le plus porté conseil et dont la progression mérite mention est Michael Ignatieff qui, en dépit de son « alternative libérale » servie ad nauseam, a  fait preuve d'un certain dynamisme. Fort de sa performance au débat en anglais, Stephen Harper a manqué de mordant face aux attaques de ses rivaux et il a semblé encaisser les critiques avec désinvolture, voire indifférence. C'est à se demander si le Québec ne serait pas, pour lui, un mal nécessaire. Souhaitons maintenant qu'à l'issue du scrutin, le meilleur nous gouvernera. Un fait, toutefois, demeurera : entre les deux solitudes, un fossé la langue toujours creusera. 



Mélanie Dugré

Raymond Gravel

Prêtre dans le diocèse de Joliette et ex-député du Bloc québécois

DUCEPPE ET IGNATIEFF GAGNANTS 



Dans le débat des chefs en français, Gilles Duceppe a été à la hauteur en démontrant clairement  la nécessité du Bloc à Ottawa pour défendre les intérêts du Québec  et toute sa pertinence, encore aujourd'hui, alors que le Québec n'est reconnu comme nation que dans des discours et non pas dans sa réalité.  Michael Ignatieff m'a agréablement surpris. Il s'est très bien défendu et a su apporter des nuances aux accusations qu'on lui faisait.  Pour ce qui est de Jack Layton, il a répété toujours la même rengaine sur la politique conservatrice qui consiste à favoriser  les mieux nantis et à oublier tous les autres et sur ce qu'il ferait s'il était premier ministre du Canada. Je pense qu'il est le seul à le croire encore. Quant à Stephen Harper, il a été fidèle à lui-même; il ne craint aucunement de jouer avec la vérité, en répétant sans cesse qu'il ne voulait pas d'élection pendant qu'il les préparait depuis des mois et de défendre l'indéfendable en niant avoir voulu faire une coalition avec Layton et Duceppe, lorsqu'il était chef de l'opposition en 2004. Dans ce débat, les sujets étaient variés  et M. Duceppe a su mettre Layton à sa place quant au rôle du Bloc sur la patinoire politique et attaquer Harper sur son intégrité et celle de son cabinet. Il n'y peut-être pas eu de perdant dans ce débat, mais MM. Duceppe et Ignatieff en sortent gagnant.

Raymond Gravel