Dans son Livre rouge lancé dimanche, le Parti libéral du Canada soutient qu'il augmentera les impôts des entreprises pour se dégager une marge de manoeuvre afin de financer ses différentes mesures sociales. Croyez-vous qu'il s'agit d'une bonne approche de la part du chef Michael Ignatieff et de son parti?

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Marc Simard

Professeur d'histoire au collège François-Xavier-Garneau à Québec



UN POPULISME DE GAUCHE


La plateforme électorale dévoilée par le chef du PLC dimanche est en droite ligne avec la pensée libérale depuis les années Trudeau : dépensons d'abord et trouvons les revenus ensuite. C'est une des raisons pour lesquelles les électeurs se sont progressivement détournés de ce parti, qui fut jadis le grand parti de gouvernement du Canada. Aujourd'hui, plus conscients des dangers de l'endettement public avec les exemples de pays occidentaux (Portugal, Grèce, Irlande, Grande-Bretagne) qui frôlent la faillite et ont dû adopter des mesures draconiennes de réduction des dépenses publiques, les électeurs sont plus réticents à appuyer les chantres du keynésianisme débridé et des programmes sociaux mur à mur. Échaudés, les contribuables qui ont fait les frais du retour au déficit zéro au tournant du XXIe siècle craignent les lendemains qui déchantent. D'autant qu'il est loin d'être certain que les revenus escomptés par le chef libéral au moyen de l'annulation de la baisse du taux d'imposition des sociétés seront au rendez-vous. Sans compter les effets pervers d'une telle mesure sur l'investissement et le dynamisme des entreprises. S'attaquer à celles-ci peut être payant auprès d'un certain électorat, mais ce populisme de gauche tient-il compte des réalités économiques et financières?

Jacques Marcil

Économiste senior pour la Canada West Foundation



RIEN POUR EFFACER LE DÉFICIT

Techniquement parlant, cette augmentation des impôts des entreprises n'est que l'annulation d'une baisse. Le taux d'imposition des revenus des corporations est présentement de 18% et il devait baisser à 16,5% cette année et 15% en 2012. Alors annuler une baisse, cela n'envoie pas un signal aussi négatif qu'une véritable hausse. En fait, les impôts des entreprises canadiennes ont fait un bon bout de chemin en dix ans: ils dépassaient 29% en 2000. Ce progrès résulte en partie d'efforts faits par des gouvernements libéraux. Côté dépenses, un institut de recherche en politique publique comme le mien croit que tout gouvernement devrait jouer un rôle actif. Cependant, il y a des paramètres à respecter. Dans le cas que nous examinons, chaque dollar épargné est dépensé immédiatement, ce qui empêche toute lutte au déficit. Or, se fier aux nouvelles recettes provenant de la croissance économique pour effacer le déficit, ce n'est pas suffisant. Petit rappel: un déficit, ça requiert des emprunts, ces emprunts se paient à l'aide d'intérêts et, une fois composés, ces intérêts font rapidement boule de neige!

Adrien Pouliot

Président de Draco Capital Inc., société d'investissement privée.



PUREMENT ÉLECTORALISTE

La stratégie du libéral Ignatieff est purement électoraliste. M. Ignatieff sait qu'une baisse des taux d'impôts des sociétés stimule l'économie et crée des emplois.  C'est le Parti libéral qui a le premier commencé le bal des baisses d'impôts corporatifs au Canada sous MM. Chrétien et Martin.  Les libéraux de Gordon Campbell (C.-B.), les conservateurs de Ralph Klein (Alberta), les néo-démocrates de Lorne Clavert (Saskatchewan) et de Gary Doer (Saskatchewan) et les libéraux de Shawn Graham (Nouveau-Brunswick) ont suivi le pas.  Et même les libéraux de McGuinty l'ont enfin compris en 2009 : « We also propose to strengthen our businesses by reducing Ontario's corporate income tax rate, [which] would increase business investment, create new jobs, raise incomes.»  Et malgré les très importantes baisses des taux d'impôts des sociétés canadiennes implantées par les prédécesseurs de M. Ignatieff, le pourcentage des recettes provenant de ces impôts par rapport au PIB n'a presque pas changé et les recettes fiscales ont augmenté substantiellement.  Mais c'est plus « vendeur » pour M. Ignatieff d'annoncer qu'il va augmenter les impôts des méchantes pétrolières et des grandes banques - peu importe si ça aurait pour conséquence d'appauvrir les Canadiens.



Adrien Pouliot

Mélanie Dugré

Avocate



LE DOS LARGE DES ENTREPRISES



Il est tentant de voir dans la proposition des libéraux d'augmenter les impôts des entreprises une solution facile et rapide au manque de financement des différents programmes sociaux.  Cependant, il faut éviter de tomber dans le piège de déshabiller Pierre pour habiller Paul.Cette proposition est en effet une arme à double tranchant puisque non seulement les entreprises sont-elles déjà fortement imposées mais elles sont également des créatrices d'emplois qui permettent à des millions de Canadiens de gagner leur vie et qui contribuent ainsi à faire rouler l'économie. Or, dans notre ère de mondialisation et de globalisation, certaines de ces entreprises qui font la fierté des Canadiens et de leur gouvernement pourraient aisément, devant un taux d'imposition de plus en plus élevé, choisir de déménager leurs pénates sous des cieux fiscaux plus cléments. Il existe certainement d'autres acteurs de l'économie canadienne, notamment les banques, qui pourraient tolérer une augmentation de leur fardeau fiscal et qui ne s'en porteraient pas plus mal.  Identifier les sources de financement est un sérieux défi pour le gouvernement et c'est une réflexion qui doit être faite avec prudence et minutie afin d'éviter de faire fuir des piliers de notre société.

Mélanie Dugré

Pierre Simard

Professeur à l'École nationale d'administration publique, à Québec



LES ENTREPRISES PAIERONT-ELLE PLUS?

Augmenter l'impôt des entreprises pour financer différentes mesures sociales plaira sûrement à la gauche politique et aux syndicats. Le message du Parti libéral est simple : nous ferons payer les riches entreprises. Paieront-elles vraiment plus? Ça dépend! On le sait, les abris fiscaux et les subventions aux entreprises se chiffrent en milliards de dollars au Canada. Ce que le gouvernement prend dans une poche, il le remet aux entreprises de son choix par des subventions, des crédits d'impôt ou des privilèges de toutes sortes. Évidemment, le Parti libéral pourrait financer ses mesures sociales en réduisant la panoplie d'avantages accordés aux entreprises, ce qui permettrait de réduire les distorsions que ces privilèges engendrent sur les marchés. Pourquoi ne le propose-t-il pas? Parce qu'il n'y a rien de plus payant politiquement que de « débarquer » dans un comté avec un chèque, une garantie de prêt ou un contrat sans appel d'offres. Parlez-en aux dirigeants de la Davie Shipbuilding qui ont réussi à glaner 538 millions $ d'aide gouvernementale pour réaliser un contrat de  592 millions... contrat duquel il n'est sorti aucun bateau! Je parierais qu'ils s'en foutent, eux, de la promesse de M. Ignatieff.

Daniel Paillé

Candidat du Bloc québécois dans Hochelaga

ABOLIR LES CADEAUX AUX PÉTROLIÈRES

Le Bloc québécois est en accord avec le principe voulant que les grandes entreprises doivent faire davantage leur part d'efforts pour ce qui est des impôts. Toutefois, il ne revient pas uniquement aux entreprises de financer les mesures sociales. Pour avoir plus d'argent pour celles-ci, il faut impérativement mettre fin aux cadeaux fiscaux offerts aux riches pétrolières et à l'évasion fiscale. L'argent à aller chercher est considérable : abolir les cadeaux aux pétrolières permettrait d'avoir 3,78 milliards de dollars de plus dans les poches de l'État alors que mettre fin aux paradis fiscaux engendrerait un revenu supplémentaire de 3 milliards de dollars. Là réside la solution toute simple pour financer des programmes et politiques sociales justes et généreuses : s'approprier les 6,78 milliards de dollars qui sont actuellement donnés aux mieux nantis, aux grandes entreprises, aux riches gens d'affaires, à des individus qui n'en ont pas besoin. Au Bloc québécois, nous croyons à la solidarité et à l'équité.

Thomas Mulcair

Candidat du NPD dans Outremont

UN CHOIX ENTRE L'ORIGINAL ET LA COPIE

La première chose qui m'est venue à l'esprit en lisant la plateforme du Parti libéral, c'est qu'il s'agit encore d'un recueil de promesses qui ne seront pas respectées. En effet, le bilan des libéraux en matière de promesses brisées et de contradictions étant particulièrement impressionnant, il est difficile de prendre leurs engagements au sérieux. Sous Jean Chrétien et Paul Martin, le Parti libéral a coupé dans les transferts pour l'éducation postsecondaire, mais il souhaite maintenant investir en éducation. Le Parti Libéral courtise l'électorat féminin, mais a appuyé les conservateurs lorsqu'ils ont retiré le droit d'avoir recours aux tribunaux pour faire valoir leurs droits en matière d'équité salariale. Ils ont signé l'accord de Kyoto, tout en laissant les émissions de gaz à effet de serre atteindre des niveaux record. Les libéraux ont aussi appuyé toutes les baisses d'impôts aux grandes entreprises proposées par les conservateurs, mais ils veulent maintenant les annuler. Même s'il est très flatteur de voir que les libéraux ont copié plusieurs idées du NPD, cela démontre hors de tout doute que c'est un parti sans direction, à la recherche du leadership que seul Jack Layton peut offrir aux Canadiens. Le 2 mai prochain, les électeurs auront un choix à faire entre l'original et la copie.