Les propos de Stephen Harper sur la vente d'armes à l'Arabie saoudite, un pays où les droits de la personne sont quotidiennement bafoués, font grincer des dents Amnistie internationale. D'autant que le chef conservateur a réitéré ses commentaires controversés au lendemain du débat des chefs.

Jeudi soir, tout en déplorant les abus commis par le régime saoudien, M. Harper a jugé qu'il ne s'agissait pas là d'une raison suffisante pour cesser de lui vendre des armes.

«Ce n'est pas juste de punir des travailleurs d'une usine à London (Ontario) pour ça. Ce n'est pas de gros bon sens», a soutenu M. Harper. Il faisait ainsi référence à la compagnie General Dynamics Land Systems, qui a décroché l'an dernier un contrat de 15 milliards pour la vente de véhicules blindés à l'Arabie saoudite.

Anne Sainte-Marie, d'Amnistie internationale, estime que le Canada a du sang sur les mains, non seulement parce qu'il vend du matériel militaire à ce pays, mais aussi parce qu'il ferme les yeux sur la torture qui y est commise. Elle se questionne sur le fait que M. Harper mette dans une même équation des vies humaines et des emplois.

«Il n'est pas question de maintenir des emplois à tout prix. Il est question de maintenir des emplois sans vendre de matériel militaire à des pays qui ont un bilan épouvantable au niveau des droits humains», a-t-elle fait valoir en entrevue.

Les droits de la personne sont couramment ignorés dans ce pays du Moyen-Orient. Le blogueur Raïf Badawi, dont la femme et les trois enfants sont réfugiés au Canada, a été condamné à 1000 coups de fouet et 10 ans d'emprisonnement pour avoir prôné la libéralisation du régime. Le jeune Ali al-Nimr a cette semaine été condamné à la décapitation pour avoir participé à une manifestation alors qu'il avait 17 ans.

Mme Sainte-Marie s'inquiète particulièrement du fait que les détails du contrat de General Dynamics soient maintenus secrets, une clause que M. Harper aurait personnellement assuré par écrit dans une correspondance au roi saoudien, selon des documents obtenus par le Globe and Mail.

«C'est quelque chose qui devrait inquiéter les citoyens canadiens, de voir que notre premier ministre s'engage personnellement vis-à-vis un chef d'État qui n'est pas élu et qui dirige un pays où les droits humains ne sont pas respectés», a-t-elle dit.

Harper persiste et signe

Vendredi, M. Harper a réaffirmé qu'Ottawa exprimait son désaccord «de temps à autre» à Riyad sur l'enjeu des droits de la personne. «Mais je ne pense pas que cela est sensé de se retirer d'un contrat, d'une manière qui ne ferait que punir les travailleurs canadiens plutôt que d'exprimer dans les faits notre indignation», a-t-il ajouté en point de presse à Rivière-du-Loup.

Le contrat fournit du travail à 3000 personnes dans la région de London. Il s'agit du plus grand contrat d'exportation du Canada. «On parle ici d'un contrat que presque tous nos alliés ont poursuivi», a signalé le chef conservateur.

À Québec, le chef bloquiste Gilles Duceppe s'est félicité du fait qu'il avait fait admettre à M. Harper que l'Arabie saoudite était à ses yeux un pays «allié». Il estime que Justin Trudeau et Thomas Mulcair n'ont pas été clairs sur l'avenir du contrat conclu avec l'Arabie saoudite s'ils prenaient le pouvoir le 19 octobre. «Silence radio, parce que c'est des jobs en Ontario, c'est des votes en Ontario. C'est ça être lié à d'autres intérêts que ceux du Québec et à d'autres intérêts que ceux de la paix», a-t-il lancé.

Le chef néo-démocrate est revenu sur l'incident en soulignant que le Canada aurait dû poser des questions à l'Arabie saoudite au sujet de son bilan sur les droits de la personne avant de conclure la vente avec le pays, comme les règles l'exigent pourtant au Canada.

«C'est M. Harper qui a enfreint ces règles-là sans vérifier le bilan», a noté M. Mulcair.