Non-indifférence, mais surtout non-ingérence... La formule qui a déjà fait recette pour décrire la relation un peu ambiguë entre la France et le Québec prévaudra dans les rapports entre le gouvernement Couillard et les partis politiques fédéraux d'ici le prochain scrutin.

Comme le faisait dans le passé Jean Charest, Philippe Couillard enverra par lettre une liste de revendications du Québec à chacun des chefs de parti en lice. Dans le passé, les conservateurs de Stephen Harper ne s'étaient même pas donné la peine de répondre à la liste d'épicerie de Jean Charest, se souvient-on chez les vétérans libéraux. Pourtant, le courant passait mieux à cette époque entre le premier ministre, un ancien conservateur, et la machine du Parti conservateur (PC) fédéral. L'un des bras droits de M. Charest, Mario Lavoie, ancien attaché politique de l'époque Mulroney, se retrouve stratège conservateur pour le Québec, dans l'orbite du ministre Denis Lebel. Mais le PC n'a pas la même écoute que dans le passé auprès du premier ministre du Québec.

Il n'y a pas d'obstacles entre MM. Couillard et Harper. Les deux hommes s'étaient plutôt bien entendus au Sommet de la Francophonie à Dakar, l'automne dernier, pour appuyer la candidature de Michaëlle Jean à la tête de l'Organisation internationale de la Francophonie. Aux dernières élections provinciales, le ministre conservateur Denis Lebel, ancien maire de Roberval, a lancé son organisation en appui au candidat Couillard, ce qui a facilité la percée du libéral dans ce territoire péquiste.

Entre les deux capitales, le courant passe moins bien. Il faut compter ici avec le véritable vice-premier ministre à Québec, Jean-Marc Fournier, dont les sympathies vont clairement au Parti libéral du Canada. M. Fournier a déjà été candidat pour Jean Chrétien, et il était encore plus proche de Paul Martin. Il avait quitté brièvement la politique pour aller conseiller l'éphémère Michael Ignatieff. De la disparition du Registre des armes à feu jusqu'aux coupes à Radio Canada en passant par la Commission nationale des valeurs mobilières et le projet de loi C-51, M. Fournier, comme responsable des relations fédérales-provinciales, est toujours volontaire pour asséner un coup de bâton au gouvernement Harper. Ainsi, chez les conservateurs au Québec, on trouve que «c'est pas mal rouge» dans l'entourage de Philippe Couillard.

C'est une tradition au Parti libéral du Québec (PLQ) de ne pas prendre position lors des élections fédérales. Officiellement, du moins, car Robert Bourassa avait, en coulisses, donné le feu vert à ses troupes pour aider les conservateurs de Brian Mulroney à battre les libéraux de John Turner en 1984. M. Bourassa lui-même avait senti le besoin d'appuyer publiquement Lucien Bouchard, candidat conservateur dans une élection partielle au Saguenay, qui risquait d'être battu par le Parti libéral du Canada (PLC). Bon prince, Bourassa avait par la suite accordé une nomination au candidat libéral qu'il avait contribué à faire battre. Ce sera probablement la seule entorse à la règle non écrite. 

Mais de tout temps, par la suite, sous Daniel Johnson comme sous Jean Charest, les députés libéraux ont eu le feu vert pour appuyer, localement, les candidats de leur choix. Les députés de Montréal, surtout, se sont retrouvés sur la scène avec les candidats du PLC. Dans Outremont, en revanche, l'organisation libérale était derrière Thomas Mulcair, un ancien du PLQ lui aussi, comme son chef de cabinet, Alain Gaul. Rare exception au PLQ, Me Jean Masson, un vétéran de l'époque de Robert Bourassa, défend bec et ongles les conservateurs de Stephen Harper.

Si on ne retrouve pas de libéraux provinciaux autour de Stephen Harper, ils sont en revanche nombreux dans l'organisation du PLC. Claude Éric Gagné, ancien président des jeunes libéraux provinciaux, chef de cabinet du regretté Claude Béchard, puis de Yolande James, est responsable des candidatures du PLC au Québec. Pierre Choquette, ancien employé chez Jean Charest, est responsable des communications du PLC au Québec. Geneviève Hinse et Olivier Duchesnes, anciens employés politiques du PLQ, sont passés aussi chez les cousins fédéraux.

Des appuis de Québec solidaire pour le NPD

Du côté du Nouveau Parti démocratique (NPD), le passé de Thomas Mulcair au PLQ lui vaudra certains appuis. Il faut aussi s'attendre à des renforts de Québec solidaire, puisque des militants incapables d'appuyer le Parti québécois (PQ) sur la scène provinciale ne se retourneront pas spontanément vers sa version fédérale. Avec 38% d'appuis dans les sondages au Québec, on peut penser que le parti de Thomas Mulcair puise à la fois chez les libéraux, les péquistes et les militants de Québec solidaire. Une rencontre récente entre Philippe Couillard et Thomas Mulcair a mis en relief le fossé qui les sépare quant à l'avenir du Sénat canadien - le néo-démocrate veut l'abolir, tandis que pour le libéral, il n'est pas question de toucher à la Chambre haute tant que les revendications du Québec en matière constitutionnelle ne sont pas satisfaites.

Dans l'organisation NPD, toutefois, on ne peut brandir de noms d'organisateurs ou de candidats venus du parti de Françoise David. Dans un communiqué diffusé hier, Québec solidaire a souligné qu'il entendait rester neutre dans la campagne à venir, une neutralité surtout pour les dirigeants du parti, comprend-on. «Pour les porte-parole, ce sera la neutralité, pour les autres militants, ils vont probablement aller au Bloc ou au NPD. Quel parti en aura le plus, je suis incapable de le dire», a indiqué dimanche Françoise David. Mais au même moment, de son côté, Gilles Duceppe pouvait relever des appuis importants de Québec solidaire. En effet, l'un de ses candidats dans le Bas-du-Fleuve vient du parti de Mme David, tout comme plusieurs organisateurs.

Péladeau soutient Duceppe

Ressuscité récemment avec le retour-surprise de M. Duceppe, le Bloc québécois peut compter sur l'appui inconditionnel de la machine du PQ. Jacques Parizeau, Lucien Bouchard et Bernard Landry avaient fait la même chose à l'époque. Cela s'était refroidi sous André Boisclair et Pauline Marois, même si les chefs des deux partis montaient à la même tribune en campagne.

Bien qu'il ait dit douter de l'utilité du Bloc à Ottawa durant la campagne à la direction, Pierre Karl Péladeau a déjà pris fait et cause pour Gilles Duceppe. Alain Lupien, directeur du PQ, passera le plus clair de son temps d'ici le 19 octobre à donner un coup de main à l'organisation famélique du parti fédéral. Dominic Vallières, responsable des communications du PQ, est déjà passé dans la campagne bloquiste. Pierre Paul Roy, ancien bras droit de Duceppe, reprend du service, tout comme le rédacteur Stéphane Gobeil. Cet appui reste un pari pour Pierre Karl Péladeau; une déconfiture du Bloc en octobre serait une bien mauvaise nouvelle pour le PQ.

Silence du côté de la CAQ

De son côté, la Coalition avenir Québec (CAQ) assiste à la première campagne électorale fédérale de sa jeune histoire. Le parti a vu l'un de ses députés, Gérard Deltell, quitter le navire en avril pour porter les couleurs du Parti conservateur. Mais il ne faut pas s'attendre à ce que des ex-collègues l'appuient publiquement.

Le mot d'ordre est clair à la CAQ: ni le parti ni même ses députés ne prendront position au cours du scrutin fédéral. «La décision a été prise, et personne au sein du caucus ne va prendre parti» ou appuyer un candidat, que ce soit «publiquement ou par en dessous», insiste-t-on.

La CAQ observera donc la même discrétion qu'avait eue Gérard Deltell lors de l'élection partielle dans Chauveau pour lui choisir un successeur. Au lendemain de sa défaite, la caquiste Jocelyne Cazin avait reproché à M. Deltell de ne pas s'être engagé dans la campagne pour l'appuyer...

Le chef François Legault entend tout de même dresser une «liste d'épicerie» destinée aux chefs fédéraux au cours des prochaines semaines.

- Avec Tommy Chouinard