Derrière des portes closes, les stratèges de Jacques Parizeau évaluaient l'impact que pourrait avoir un éventuel parti souverainiste aux Communes. Lucien Bouchsard, qui avait quitté le navire conservateur et siégeait comme indépendant, était sceptique quant à la longévité d'un tel parti: un scrutin, peut être deux...

Alors directeur du PQ, Pierre Boileau a résumé rapidement les conditions du succès du Bloc québécois. D'abord, les Québécois devraient faire table rase des avantages du pouvoir - accepter de voter pour un parti dont ils savent bien qu'il ne formera pas le gouvernement.

Surtout, un ingrédient était essentiel au succès de l'entreprise: l'émotion.

Tribun hors pair, charismatique et purifié par sa démission percutante du gouvernement Mulroney, Lucien Bouchard n'avait pas de problème à communiquer l'émotion nécessaire à une campagne victorieuse.

Depuis près de 20 ans, bien des Québécois se sont habitués à ne pas faire partie du gouvernement - élections après élections, ils ont envoyé une majorité de bloquistes aux Communes.

Le Nouveau Parti démocratique ne formera pas davantage le gouvernement. Qu'à cela ne tienne, les électeurs québécois sont habitués à rester en marge du pouvoir.

L'autre ingrédient est plus névralgique. Gilles Duceppe n'a pas su trouver l'enjeu susceptible de toucher les électeurs. Les sondages internes du Bloc sont clairs depuis des années: le parti fondé par Lucien Bouchard est en sursis depuis deux élections. Le scandale des commandites avait provoqué l'étincelle nécessaire en 2006. En 2008, les coupes dans les subventions aux artistes ont donné des munitions aux bloquistes, qui ont fini avec 38% des suffrages après des semaines d'incertitude. «Chaque fois on est parvenu à trouver un os...», a résumé hier un conseiller de longue date de Duceppe.

Cette fois, rien. Même quand il veut être passionné, Gilles Duceppe arrive seulement à avoir l'air en colère. «Le monsieur est toujours fâché», ironisera Thomas Mulcair.

En mars et avril, tous les sondages montraient que la descente du Bloc était entamée dès le début de la campagne, bien avant le débat des chefs, bien avant le discours très souverainiste de Gilles Duceppe au congrès du PQ, bien avant l'entrée en scène de Jacques Parizeau ou de Gérald Larose.

La quasi-disparition du Bloc québécois est une très mauvaise nouvelle pour Pauline Marois. Il y a quelques années, les commentateurs auraient soupesé le mouvement stratégique des électeurs. Les Québécois sont des Normands, qui jamais ne mettent leurs oeufs dans le même panier. Avec l'éradication des souverainistes aux Communes, le PQ et Pauline Marois deviendraient une valeur-refuge, la police d'assurance qu'ont toujours voulu garder les électeurs québécois.

Aujourd'hui, la réalité paraît bien plus simple. L'appui des citoyens est devenu d'une extrême volatilité. Les Québécois ont envoyé 41 adéquistes à l'Assemblée nationale en 2007; 18 mois plus tard, ils n'étaient plus que 7.

Actuellement, les sondages montrent que les électeurs sont carrément entichés de François Legault, qui propose un virage à droite. Or, ces mêmes Québécois viennent d'envoyer à Ottawa un record de 58 députés néo-démocrates, nettement plus à gauche. Au fond, le programme pèse bien peu dans la balance - les électeurs sont avides de nouveaux visages, de candidats jeunes qui n'ont pas une longue carrière politique, qui n'ont pas encore la langue de bois.

Mme Marois ne peut donc plus compter sur «le retour du balancier», espérer que, inquiets des orientations du gouvernement Harper, les Québécois, naturellement, reviendront vers le PQ.

La disparition du Bloc a aussi un impact important du point de vue organisationnel. Le parti de Gilles Duceppe recevait environ 3 millions de dollars par année en subventions grâce aux dispositions de la loi fédérale sur le financement des partis. Majoritaire, Stephen Harper pourra couper les vivres aux tiers partis - cela fait partie de son programme électoral. Plus d'argent, plus de personnel pour assurer la permanence des organisations, des employés qui, élections après élections, venaient prêter main-forte au parti frère.

Avec à Ottawa un gouvernement de droite presque absent du Québec, Pauline Marois se défendait de pavoiser, hier: pas question de miser sur la politique du pire, de souhaiter l'affrontement. La souveraineté «est aussi vivante qu'elle l'était», soutient-elle, mais il y a fort à parier que le plan pour l'indépendance sera prestement mis sur une tablette. Même retenue chez Jean Charest: les Québécois ont choisi massivement un parti fédéraliste, mais il ne faut pas croire pour autant que l'option souverainiste a disparu. Les deux partis ont pendant des décennies fait leur beurre de ces collisions constitutionnelles dans une arène où Jack Layton a refusé de descendre.

Déterminé à ne pas parler de souveraineté, sans défendre le fédéralisme, François Legault peut pavoiser: le scrutin de lundi démontre que les électeurs peuvent bien vite changer de camp.