Une majorité ou rien. Bien qu'il dise qu'il acceptera un mandat minoritaire si c'est ce que la population canadienne lui confie le 2 mai, Stephen Harper ne pense pas pouvoir travailler avec les partis de l'opposition.

Or, tout premier ministre minoritaire a la responsabilité, après les élections, de gagner la confiance de la Chambre rapidement, pour assurer la survie de son gouvernement.

Le chef conservateur a réitéré qu'il entendait présenter de nouveau le même budget, s'il est réélu. Or, tous les partis de l'opposition ont rejeté cet exercice financier, en mars dernier, et entendent le rejeter à nouveau s'il est réellement inchangé.

«M. Ignatieff, M. Layton et M. Duceppe, ce qu'ils disent pendant cette campagne, c'est que même si nous, les conservateurs, obtenons un mandat de la population, ils feront tomber notre gouvernement sur le budget et proposerons une forme d'alternative, un autre gouvernement», a dit Stephen Harper.

Impossible, donc, selon lui, d'envisager de travailler avec aucun autre des partis représentés à Ottawa, même s'il est minoritaire.

En entrevue à CBC, mardi soir, le chef libéral Michael Ignatieff a dit que si son adversaire conservateur remportait les élections, mais perdait la confiance de la Chambre, il serait prêt à considérer de former un gouvernement, si le gouverneur général venait à lui demander de le faire.

M. Ignatieff a précisé qu'il excluait l'idée de former une coalition mais qu'il essaierait de travailler avec les autres chefs, y compris M. Harper.

Le chef conservateur a refusé de répondre à la question de la légitimité d'une telle option, prévue dans la convention constitutionnelle canadienne.

Le choix, continue-t-il de marteler, est entre un gouvernement majoritaire conservateur stable, ou l'instabilité d'un gouvernement libéral avec le NPD et le Bloc québécois.

Arrogance, dénonce Ignatieff

Le chef libéral, Michael Ignatieff, a dénoncé l'arrogance de l'attitude de Stephen Harper.

«Pour qui se prend-il ? a-t-il lancé, visiblement courroucé. C'est un système parlementaire ! S'il revient avec plus de sièges et doit présenter un budget à la Chambre des communes, pour qui se prend-il ? Le roi ? Bien sûr qu'il doit mettre de l'eau dans son vin ! Nous devons tous mettre de l'eau dans notre vin !»

«Il a l'obligation de présenter un budget qui a la confiance de la Chambre et j'ai la même obligation», a-t-il ajouté, évoquant la possibilité que ce soit son parti et non celui de M. Harpre qui remporte un gouvernement minoritaire, le 2 mai.

Ce sont les propos de M. Ignatieff dans une entrevue à CBC mardi qui ont relancé ce débat, qui avait occupé le haut du pavé lors de la première semaine de la campagne. Il a reconnu qu'il serait prêt à accepter la requête du gouverneur général de remplacer le gouvernement Harper, dans l'hypothèse où ce dernier était renversé dans les mois suivants des élections.

En point de presse à Saint-Jean, au Nouveau-Brunswick, il a encore une fois tenté d'expliquer sa position. «Ce sont les règles du système constitutionnel de notre pays, a-t-il insisté. Je les respecte et j'assume et j'espère que M. Harper et les autres partis feront la même chose.»

M. Ignatieff a par ailleurs nié vouloir voter automatiquement contre le premier budget d'un gouvernement Harper réélu. «Il va présenter le budget et on va lire le budget avant de décider. C'est dans l'intérêt national, c'est clair», a-t-il dit.

En début de campagne, lui ainsi que ses homologues du NPD et du Bloc québécois ont indiqué qu'ils voteraient contre un tel budget, si les conservateurs présentaient le même que celui présenté avant la campagne. L'entourage de M. Ignatieff a expliqué mercredi que depuis, Stephen Harper avait fait au moins une promesse supplémentaire : les 2,2 milliards de dollars au Québec pour l'harmonisation des taxes de vente, et que la situation avait donc changé.

Layton prêt à collaborer

Jack Layton a quant à lui dit le contraire de Stephen Harper ce matin dans une ferme d'Essex, au Sud-Ouest de l'Ontario. «Depuis le début de cette campagne, j'ai été très clair. Je suis capable de travailler avec tous les autres partis. Je l'ai démontré dans mes 30 années de vie politique», a-t-il affirmé devant environ 100 partisans entassés dans une étable.

Est-ce que cela inclut les conservateurs ? Est-il prêt à s'asseoir avec M. Harper après les élections ? «Je l'ai fait un millier de fois», a-t-il répondu.

«Peu importe le parti, je vais essayer de réaliser nos promesses pour les Canadiens sur les médecins, les pensions, le coût de la vie et  le ménage à faire à Ottawa. Je suis capable et je m'engage à travailler avec le mandat que les Canadiens vont m'accorder et travailler avec les autres partis pour obtenir des résultats», a-t-il annoncé.

La hausse du NPD dans les sondages - deuxième au Québec, deuxième ex aequo au Canada - ne semble pas se traduire en sièges. Selon les récentes projections, le NPD perdrait même un siège le 2 mai. M. Layton a néanmoins refusé de dire quelles concessions les conservateurs devraient faire afin qu'il appuie leur probable prochain budget. «Ce sera un budget du NPD», a-t-il répondu.

«Irresponsable», dit Duceppe

Gilles Duceppe condamne quant à lui le comportement «irresponsable» de Stephen Harper. «Quand vous êtes minoritaires, c'est en toute logique qu'il y a une majorité dans l'opposition. Si un gouvernement minoritaire veut obtenir la confiance de la chambre, il doit composer avec les partis d'opposition. M. Harper devrait être conséquent et respecter la démocratie», a-t-il lancé mercredi après-midi, lors d'un point de presse à Drummondville.

Non sans sarcasme, Gilles Duceppe juge que Stephen Harper donne un «bel exemple pour la démocratie». Une fois n'est pas coutume, il ne conteste pas Michael Ignatieff, qui a accusé Stephen Harper de se comporter en monarque. «La royauté, c'est quand les sujets doivent obéir. Est-ce que monsieur Harper pense que les députés sont ses sujets? C'est un peu inquiétant.»