Des spécialistes des questions parlementaires et constitutionnelles contestent l'affirmation de Stephen Harper selon laquelle seul le parti qui remporte le plus grand nombre de sièges lors des élections générales a le droit de former un gouvernement au Canada.

«Vous avez dit dans votre allocution que le parti qui remporte le plus de sièges aurait la chance d'essayer en premier. Vous pensez que vous pourriez alors vous mettre ensemble, voter contre le gouvernement et le défaire», a lancé M. Harper à Michael Ignatieff, mardi soir, lors du débat des chefs en anglais. «Ce n'est pas ainsi que notre système est censé fonctionner dans ce pays.»

Même si le premier ministre semblait convaincu en prononçant ces mots, il s'agit d'une pure invention, selon Ned Franks, professeur à l'Université Queen's, en Ontario. «Il y a tellement de foutaises autour de cette question», a-t-il dénoncé.

M. Harper affirme à répétition que si son parti est celui qui remporte le plus de sièges aux Communes, il formera automatiquement le gouvernement. Or, le système parlementaire canadien ne fonctionne pas de cette façon, comme Stephen Harper l'a lui-même reconnu en 2004. À l'époque, il avait rencontré les chefs du Nouveau Parti démocratique et du Bloc québécois pour offrir à la gouverneure générale une solution de rechange au gouvernement libéral minoritaire de Paul Martin.

«Je ne voudrais pas que le premier ministre (Martin) croit qu'il peut simplement être défait en Chambre des communes pour déclencher de nouvelles élections générales. Ce n'est pas la façon dont fonctionne notre système», affirmait-il à l'époque.

Un gouvernement doit obtenir la confiance des Communes pour être légitime. Si les conservateurs de Stephen Harper remportent le plus de sièges le 2 mai, ils ont toujours besoin du soutien de la majorité des députés pour former le gouvernement.

«La règle de base, c'est que c'est au Parlement de décider», explique le constitutionnaliste Peter Russell, de l'Université de Toronto.

Si M. Harper perd la confiance de la Chambre, deux options émergent, explique M. Russell. Le gouverneur général peut dissoudre le Parlement et déclencher un nouveau scrutin, ou il peut demander aux partis d'opposition s'ils peuvent former un gouvernement stable.

«Et c'est là que l'affaire devient intéressante», explique le professeur Russell.

Un parti d'opposition doit alors prouver qu'il pourra conserver la confiance du Parlement pendant une période raisonnable, soit grâce à une coalition, soit grâce à une entente moins formelle avec d'autres partis.

Mais «le gouverneur général doit avoir un dossier très convaincant» pour ne pas choisir plutôt de déclencher des élections générales, précise M. Russell.

C'est là que les règles régissant la formation d'un gouvernement deviennent plus floues, ajoute Graham Fox, un ancien conseiller de Stephen Harper qui dirige maintenant l'Institut de recherche en politiques publiques.

Le gouverneur général doit évaluer si le parti arrivé au second rang quant au nombre de sièges possède assez de légitimité et assez de soutien populaire pour former le gouvernement. Il n'existe aucune règle claire pour confirmer ou infirmer ce constat, explique M. Fox.

Le nombre de suffrages exprimés pour un parti ne pourra toutefois être invoqué, quoiqu'en disent les politiciens, rappelle cependant le professeur Franks. «La seule règle qui tienne, c'est qu'un parti doit obtenir une majorité en Chambre, point final.»