Après un débat en anglais hier, les quatre chefs de parti remonteront dans l'arène ce soir pour le débat en français. Hier, le chef conservateur Stephen Harper a été confronté à un tir groupé de ses trois adversaires. Trois experts font le bilan de la présente campagne et se prononcent sur les pièges à éviter en vue de cet affrontement.

Yves Dupré Président du conseil d'Octane Stratégies

A conseillé plusieurs dirigeants d'entreprise et premiers ministres.

STEPHEN HARPER

Bilan de campagne: A mis en scène ses engagements de façon très classique. Mais presque chaque jour, il y a eu des pépins plus ou moins embarrassants.

Objectifs au débat: Va devoir répondre à des questions auxquelles il ne s'attendait pas à répondre il y a deux jours à cause de la fuite d'un rapport préliminaire de la vérificatrice générale. Doit faire face au feu de tout le monde, sortir de la défensive et passer à l'attaque.

Meilleurs atouts: Son côté teflon. Les attaques, les reproches, les accusations d'outrage au Parlement lui roulent sur le dos.

Pièges à éviter: Se mettre sur la défensive. S'il patine à reculons, il va perdre des points et ça va avoir un effet rapide dans les sondages.

Prévision: Les fuites sur le sommet du G8 vont avoir un effet. En anglais, son objectif politique était d'aller chercher l'Ontario. En français, le seul risque pour M. Harper est de confirmer les difficultés qui s'annoncent déjà dans la région de Québec.

MICHAEL IGNATIEFF

Bilan de campagne: Compte tenu de l'impression qu'on avait de lui, il s'est avéré un bien meilleur campaigner qu'on l'aurait imaginé.

Objectifs au débat: Asseoir sa crédibilité comme prochain premier ministre. Démontrer à tout le monde qu'il est à la hauteur de l'emploi.

Meilleurs atouts: Un programme très à gauche. M. Harper a passé une partie de sa campagne à réaffirmer ses positions sur un ensemble de questions de droite. M. Ignatieff peut maintenant dire que, non seulement le gouvernement n'est pas crédible, mais que son programme révèle son absence de compassion à l'égard des Canadiens.

Pièges à éviter: Son talon d'Achille: l'inexpérience. Pourrait avoir de la difficulté à subir les attaques, surtout celles de M. Harper.

Prévision: Un K.-O. apparaît impossible parce que M. Harper n'est pas né de la dernière pluie. Mais si M. Ignatieff s'en sort honorablement, ce qu'il a gagné par sa bonne campagne pourrait le garder dans la course.

JACK LAYTON

Bilan de campagne: A la sympathie des gens. Semble gagner plus de points au Québec. Excellente campagne publicitaire.

Objectifs au débat: Confirmer, lui aussi, qu'il peut être premier ministre. On le voit comme le bon gars avec qui on peut aller prendre une bière, mais pas comme le premier ministre du Canada.

Meilleurs atouts: Sa facilité de communication. Même si le français n'est pas sa langue maternelle, il s'en tire très bien et son discours atteint toujours le citoyen moyen.

Pièges à éviter: Confirmer, par des réponses floues ou alambiquées, qu'il n'a pas l'étoffe d'un premier ministre en devenir.

Prévision: Va s'en sortir avec une performance honorable, mais ce ne sera pas une grande victoire.

GILLES DUCEPPE

Bilan de campagne: Semble marcher sur le pilote automatique, même s'il jure qu'il ne tient rien pour acquis. Donne l'impression que c'est tout cuit dans le bec et qu'il est au-dessus de ses affaires.

Objectifs au débat: Démontrer qu'il a toujours la passion qu'il faut pour défendre les intérêts du Québec.

Meilleurs atouts: Une grande expérience dans les débats des chefs. Excellente connaissance de ses dossiers.

Pièges à éviter: Ne pas monter le ton ni avoir l'air indifférent, comme il l'a fait dans certains points de presse au cours des derniers jours. Éviter d'attaquer vicieusement M. Layton, qui semble séduire de plus en plus d'électeurs bloquistes.

Prévision: Difficile à prévoir. Il a beaucoup à perdre dans ce débat.

***

Bernard Motulsky Titulaire de la chaire de relations publiques à l'UQAM.

A occupé plusieurs postes en communications au Groupe Cossette, au gouvernement du Québec, à la Bourse de Montréal et à l'Université de Montréal.

STEPHEN HARPER

Bilan de campagne: Plusieurs pelures de banane ont fait dévier son plan de match.

Objectifs au débat: Rester positionné comme futur premier ministre en n'étant pas trop agressif et en misant sur ses réalisations. Rester sur le terrain économique

Meilleurs atouts: Son expérience au gouvernement. C'est le seul des quatre chefs qui a été premier ministre.

Pièges à éviter: Revenir sur la coalition et essayer de prendre ses trois adversaires comme un bloc. Ce n'est pas pour cette raison que ses partisans l'appuient.

MICHAEL IGNATIEFF

Bilan de campagne: Efficace en termes de communications. Approche originale: il a beaucoup misé sur lui, sur sa personne, pour se définir vis-à-vis de M. Harper.

Objectifs au débat: Séduire les indécis. Ce n'est pas tant une question d'argumentation qu'une performance d'acteur: il doit faire bonne impression. Il sera plus scruté que les autres.

Meilleurs atouts: C'est un intellectuel habitué de manipuler le langage et de convaincre. Et il a une personnalité impressionnante.

Pièges à éviter: Avoir l'air hautain et snob, ou chercher à se mettre au même niveau que le «bas peuple».

JACK LAYTON

Bilan de campagne: Reste dans l'ombre des conservateurs et des libéraux. Il n'a pas réussi à entamer l'avance des libéraux au deuxième rang.

Objectifs au débat: Très diffus! Doit taper sur M. Harper, mais ne pas laisser tout le champ libre aux libéraux. Et en français, il doit séduire les électeurs du Bloc.

Meilleurs atouts: Sa personnalité. C'est un homme sympathique.

Pièges à éviter: Le piège «de la tarte aux pommes»: éviter de donner l'impression qu'il va donner à tout le monde ce que chacun veut.

GILLES DUCEPPE

Bilan de campagne: Pas sa meilleure. On sent qu'il cherche son positionnement.

Objectifs au débat: Maintenir sa base, qui est solide. Conforter son avance dans les intentions de vote. Parler à sa clientèle.

Meilleurs atouts: L'expérience. C'est le seul francophone, ce qui lui confère un atout important. On se reconnaît davantage lorsqu'il parle.

Pièges à éviter: Doit montrer son côté givré. Il a toujours l'air de mauvaise humeur. On le voit tous les jours s'emporter contre ce qu'il qualifie de bourdes ou d'erreurs. On a envie de le voir sourire un peu.

***

Michael Fortier Avocat

Ancien ministre du Commerce international, ancien ministre des Travaux publics.

STEPHEN HARPER

Bilan de campagne: Campagne d'un meneur, prudente. N'est pas à la recherche de surprises.

Objectifs au débat: Rassurer. Il doit démontrer qu'il va continuer à gérer le pays de façon prudente, sans surprise, et qu'un gouvernement conservateur majoritaire ne se distinguera pas d'un gouvernement conservateur minoritaire. Et il doit rappeler la possibilité d'une coalition s'il devait être minoritaire.

Meilleurs atouts: Très sérieux, toujours bien préparé, discipliné et stratégique. C'est son quatrième débat. Il devrait être prêt.

Pièges à éviter: Quand il perd patience, on le voit rapidement dans son expression physique. Ne doit pas avoir l'air exaspéré quand on lui posera la même question sept fois, ou quand on l'accusera d'avoir menti sur un sujet ou un autre.

MICHAEL IGNATIEFF

Bilan de campagne: Campagne ouverte, détendue. Communique bien. Bonne réaction aux contretemps comme les déclarations inappropriées de certains candidats.

Objectifs au débat: A tellement été dépeint négativement par les conservateurs qu'il ne peut que surprendre les gens. Doit continuer sur sa lancée, se faire connaître, et toucher les sujets qui le distinguent des conservateurs, comme les F-35, la démocratie parlementaire ou le style de gestion.

Meilleurs atouts: Les attentes du public, qui sont basses. Beaucoup de gens qui vont regarder le débat ne se seront pas encore intéressés à la campagne. Ils vont découvrir M. Ignatieff et celui-ci ne devrait pas leur déplaire.

Pièges à éviter: M. Harper a été testé à maintes reprises par ses adversaires depuis qu'il est en politique et il est prêt à tout. Ce serait une erreur de tenter un K.-O. A intérêt à travailler au corps plutôt que de tenter un coup fumant.

JACK LAYTON

Bilan de campagne: Fait penser à la campagne du deuxième enfant d'une famille de trois. Donne l'impression d'être l'enfant du milieu qui doit toujours se distinguer de l'aîné pendant que le benjamin a toujours certains avantages. Se démarque moins que MM. Harper et Ignatieff.

Objectifs au débat: Garder les électeurs libéraux qui ont voté pour lui en 2008. Il doit se présenter comme l'homme qui est le plus capable de véhiculer les raisons pour lesquelles on ne doit pas voter pour M. Harper.

Meilleurs atouts: Sa bonhommie, son allure de voisin qu'on aime. C'est un homme qui est aimé parce qu'il est aimable.

Pièges à éviter: Taper trop fort sur M. Ignatieff. Doit être celui qui exprime le mieux ce que les anti-Harper ressentent.

GILLES DUCEPPE

Bilan de campagne: En 2006 et en 2008, des enjeux polarisants ont fait rejaillir les talents de «campaigner» de M. Duceppe, soit le scandale des commandites et les coupes dans le milieu culturel. Il n'a pas encore de sujet polarisant cette année.

Objectifs au débat: Continuer à démontrer que ni le Parti conservateur ni le Parti libéral ne comprennent les aspirations du Québec. Utiliser des exemples, comme le financement fédéral du projet hydroélectrique du Bas-Churchill.

Meilleurs atouts: Maîtrise mieux la langue. Dans une joute rapide où il faut retourner la balle rapidement de l'autre côté du filet, le sens de la répartie aide beaucoup. C'est comme s'il jouait son match à domicile.

Pièges à éviter: Éviter la mesquinerie. Éviter les attaques trop personnelles.

> Le débat des chefs débute à 20h ce soir.