Une certaine croyance populaire veut que les hommes soient, contrairement aux femmes, incapables d'accomplir plus d'une tâche à la fois. Dans son salon de Québec, le barbier Caroll Martel semble s'être mis en tête de la réfuter une fois pour toutes.

«L'effet Colisée, j'y crois pas, lance-t-il tout en coupant à une vitesse prodigieuse les cheveux de l'homme assis sur la chaise. Il y a 20 jours, peut-être qu'il y avait encore de la grogne, mais plus maintenant.»

«Depuis ce matin, j'ai pas arrêté. C'est un client après l'autre. Et je peux te dire que j'ai parlé de la météo, que j'ai parlé de sport, que j'ai même parlé de l'enfouissement des fils électriques, oui, monsieur. Mais du Colisée, ça, j'en ai pas parlé!»

Caroll Martel est propriétaire d'un petit salon dans la circonscription de Beauport-Limoilou. Il a du mal à nommer la députée sortante, Sylvie Boucher, mais se souvient que les conservateurs l'ont emporté par une mince majorité aux dernières élections: «C'était serré, me semble.»

Mme Boucher avait en effet obtenu 2000 voix de plus que la candidate bloquiste en 2008. S'il y a un siège conservateur menacé dans la province, estiment plusieurs analystes, c'est précisément celui-là.

Les habitants de Québec auraient très mal digéré la décision du gouvernement conservateur de ne pas subventionner un nouvel amphithéâtre dans leur ville. À la fin de l'hiver, le maire Régis Labeaume avait qualifié ce choix de «suicidaire». Le 2 mai, ont averti plusieurs observateurs, «l'effet Colisée» pourrait même coûter quelques sièges dans la région au parti de Stephen Harper.

Mais voilà, tout comme M. Martel, plusieurs habitants de la circonscription rencontrés hier estiment que le dossier de l'amphithéâtre n'aura presque aucun impact le jour du scrutin. Après une journée à battre les trottoirs de Beauport-Limoilou, force est de constater que «l'effet Colisée» se dégonfle.

«Je pense que les gens vont rester sur leurs positions. L'histoire du Colisée, ça ne va rien changer, croit Dominic Gagnon, qui est assis sagement pendant que M. Martel s'attarde à dégager le tour de ses oreilles. Surtout que le nouveau Colisée va se faire, avec des fonds privés, mais quand même...»

«À la limite, je suis même contre le fait que le gouvernement mette des fonds publics dans le sport professionnel», tranche l'enseignant de 30 ans, qui habite le quartier.

Juste à côté, David Bouchard, 23 ans, attend patiemment son tour pour se faire couper les cheveux. Le jeune homme, qui travaille dans un supermarché, n'ira pas voter le 2 mai. Il n'en voit pas l'utilité. Ce dont il est certain, par contre, c'est qu'un aréna ne devrait pas être au coeur d'une campagne électorale. «Je trouve qu'ils devraient s'occuper de la pauvreté. Le Colisée, c'est un peu superficiel comme débat.»

Dans le salon Martel, institution de Limoilou fondée en 1957 par le père de Caroll, les trois hommes sont unanimes: les médias ont monté en épingle «l'effet Colisée».

Le Bloc y croit

Selon le candidat du Bloc dans la circonscription, Michel Létourneau, le mécontentement existe bel et bien. Il assure qu'il l'a constaté en faisant du porte-à-porte. «C'est davantage qu'une colère émotive: les gens ont l'impression de s'être fait rouler dans la farine. Il y a une expression plus québécoise pour le dire, mais je ne la dirai pas...»

Cet ancien directeur du Festival d'été de Québec parle de la «bataille de Beauport-Limoilou» lorsqu'il désigne le duel qui l'oppose à la conservatrice Sylvie Boucher. Celle-ci avait orchestré la fameuse photo, qui a fait le tour du pays, où l'on voit des députés conservateurs québécois vêtus du chandail des défunts Nordiques. «Après tout ce qui est arrivé ensuite, cette photo est difficile à digérer pour plusieurs», croit M. Létourneau.

Il reste à savoir si cette photo et tout l'épisode qui s'y rattache seront encore dans la tête des électeurs au moment de voter. Ou si «l'effet Colisée» n'aura été que poudre aux yeux.

La députée sortante dans Beauport-Limoilou, la candidate conservatrice Sylvie Boucher, a refusé de nous accorder une entrevue pour cet article.

Notre journaliste Gabriel Béland traverse le pays en train. D'Halifax à Vancouver, il s'arrête là où les caravanes électorales s'attardent peu. Aujourd'hui, il visite la circonscription de BeauportLimoilou.