L'ancienne gouverneure générale Adrienne Clarkson avait l'intention de demander à Stephen Harper, en septembre 2004, de tenter de former un gouvernement si les libéraux de Paul Martin, réélus avec un mandat minoritaire trois mois plus tôt, avaient été défaits par un vote de confiance sur le discours du Trône.

Avec seulement 99 sièges aux Communes, alors que les libéraux en avaient 135, les conservateurs de Stephen Harper auraient été contraints de négocier une entente avec le NPD et le Bloc québécois pour obtenir la confiance d'une majorité des députés et diriger le pays.

Aux élections de juin 2004, le NPD avait récolté 19 sièges et le Bloc québécois, 54. Ainsi, les conservateurs, avec moins de sièges que les libéraux, auraient pu prendre le pouvoir, à la demande de la gouverneure générale, sans obtenir un mandat des Canadiens.

«La question a été soulevée durant le gouvernement minoritaire de Paul Martin à savoir si, en tant que gouverneure générale, j'aurais acquiescé à la demande du premier ministre de dissoudre le Parlement et de permettre la tenue d'élections générales», écrit Mme Clarkson dans son autobiographie, publiée en 2006.

«Après avoir examiné les opinions des experts constitutionnels (...), j'avais décidé que je permettrais la dissolution du Parlement si le gouvernement avait survécu au moins six mois. Imposer aux Canadiens d'autres élections avant six mois aurait été irresponsable», ajoute Mme Clarkson dans son livre, intitulé Heart Matters (Le coeur au poing dans sa traduction française).

Ce faisant, Mme Clarkson aurait respecté les conventions constitutionnelles qui veulent que le gouverneur général se tourne vers le parti arrivé deuxième pour le nombre de sièges si celui qui remporte les élections n'arrive pas à obtenir rapidement la confiance de la Chambre.

Les propos de Mme Clarkson démontrent que le chef libéral, Michael Ignatieff, pourrait être appelé à former un gouvernement si les conservateurs sont reportés au pouvoir avec un mandat minoritaire mais sont incapables d'obtenir rapidement la confiance de la Chambre par la suite.

Un tel scénario n'est pas à écarter, car le ministre des Finances, Jim Flaherty, entend représenter le budget qu'ont unanimement rejeté la semaine dernière les trois partis de l'opposition, même si les conservateurs sont minoritaires. Mais avant, le gouvernement devra faire un discours du Trône, lequel fait aussi l'objet d'un vote de confiance.

Depuis le début de la campagne électorale, Stephen Harper accuse Michael Ignatieff de vouloir prendre le pouvoir en formant une coalition avec le NPD et le Bloc québécois, comme les libéraux ont tenté de le faire en 2008.

De passage à Toronto, M. Ignatieff a de nouveau nié cela hier : «Je vais regarder les Canadiens droit dans les yeux et je vais être très clair : pas de coalition.»

M. Harper a pour sa part dû se défendre encore une fois d'avoir lui-même tenté de former une coalition, en août 2004, quand il a signé avec Jack Layton et Gilles Duceppe une lettre pour demander à la gouverneure générale «d'examiner toutes les options» avant de déclencher des élections en cas de chute du gouvernement Martin.

La seule option qui s'offrait à Mme Clarkson, selon elle, était de demander à M. Harper de former un gouvernement et d'obtenir la confiance de la Chambre. Pour y arriver, M. Harper aurait été contraint de faire des concessions au NPD et au Bloc québécois.

Hier, M. Harper a soutenu que l'objectif de cette lettre n'était pas de remplacer Paul Martin. «En tant que leader de l'opposition, je cherchais à faire pression sur le gouvernement pour influer sur son programme, mais sans le faire tomber, sans le défaire et le remplacer», a dit M. Harper en point de presse à Vancouver.

Gilles Duceppe a toutefois tourné en ridicule les propos de M. Harper. L'objectif de la lettre était de dire à Mme Clarkson qu'un autre parti pourrait tenter d'obtenir la confiance de la Chambre. «Il se contredit dans ses versions, les unes après les autres. De dire à la GG : «Ne déclenchez pas d'élections, je pourrais m'entendre», ça n'a aucun sens.»

Avec Hugo de Grandpré, Malorie Beauchemin et Paul Journet