Non, le fédéral n'est pas à blâmer pour tous les problèmes du Québec, mais n'allez pas croire que Gilles Duceppe veut renoncer à la souveraineté pour autant. Seulement, le chef du Bloc a un combat beaucoup plus pressant par les temps qui courent: défaire Stephen Harper.

Même s'il est convaincu comme jamais de la nécessité de l'indépendance, le chef du Bloc a passé la campagne à tendre la main aux fédéralistes. Son parti, répète-t-il depuis des semaines, est le seul à pouvoir empêcher les conservateurs de former un gouvernement majoritaire.

«On sait que ce n'est pas un référendum, a indiqué le chef du Bloc dans une entrevue à La Presse. Quand ce sera un référendum, je ferai aussi appel aux fédéralistes. S'il y a une chose dont je suis fier, c'est qu'on n'a jamais dit, au Bloc, qu'on fera la souveraineté contre le Canada. Je n'ai jamais tenu ce langage.»

Gilles Duceppe prend ses distances par rapport aux éléments radicaux du mouvement souverainiste. Il fait valoir que les «purs et durs» sont rarement élus. Il veut aussi tourner la page sur le référendum de 1995, dont plusieurs souverainistes estiment qu'il a été «volé» par le fédéral.

«Je n'ai jamais dit que c'est la faute au Canada si on a perdu le référendum, dit-il. C'est nous. Arrêtons de nous conter des histoires, on l'a perdu.»

«On a fait ça longtemps: dire on est victimes, c'est la faute aux autres, ajoute-t-il. Il faut arrêter ça.»

L'homme à vaincre

Faut-il s'étonner si un homme qui demande aux Québécois de cesser de «déifier la victimisation» passe une campagne électorale complète à pourfendre Stephen Harper ?

Dès le déclenchement des élections partielles à Saint-Lambert, au début du mois d'août, Gilles Duceppe a fait du chef conservateur son ennemi no1. Au fil des semaines, il s'est activé à le dépeindre comme un «idéologue» inspiré de George Bush. Dimanche dernier, il l'a accusé d'être «tricheur», «menteur», «rétrograde» et de manquer «cruellement de jugement et de sens moral».

Lorsqu'on lui demande s'il peut dire une bonne chose sur le chef conservateur, Gilles Duceppe évoque un discours qu'il a tenu aux Communes lorsque Paul Martin dirigeait un gouvernement minoritaire. Harper s'était élevé contre la conduite des libéraux et avait rappelé au premier ministre qu'il avait «l'obligation morale» de reconnaître les décisions de la Chambre.

Il ne pense à rien de plus récent? «Ce n'est pas tellement loin, ça!» répond-il en souriant.

«Stephen Harper représente un parti, c'est le vieux fond réformiste. C'est un parti qui, aux États-Unis, serait le Parti républicain. Je pense que les Américains sont en train de rejeter ça. Même McCain, sur Kyoto, ne partage pas ce que Bush dit.»

«Y en aura pas de facile»

Malgré les sondages favorables, Gilles Duceppe ne pavoise pas. Depuis le début de la campagne, il a changé son régime, ne boit plus de vin - à son grand dam, d'ailleurs - et a perdu plus de 3 kg. Pour rester concentré, il s'impose de courtes relâches pendant ses déplacements. Il finit de lire son quatrième roman en un mois et remplit des sudoku à un rythme effréné.

«J'ai toujours cité Yogi Berra : It ain't over 'till it's over, dit le chef. Maintenant, je commence à citer Claude Ruel : Y en aura pas de facile.»

Le chef reste en mode offensif. Cette semaine, il a transporté sa campagne à Québec et au Saguenay avec l'intention claire d'en expulser les conservateurs. Devant des travailleurs syndiqués, il a éreinté le ministre du Travail, Jean-Pierre Blackburn. Devant les étudiants, il a lancé un appel au vote, 30 fois plutôt qu'une.

Quant au rêve de voir le Québec devenir un pays, Gilles Duceppe le garde bien en tête alors qu'il sollicite un cinquième mandat comme chef du Bloc québécois.

«Le mouvement souverainiste s'est-il développé sous Duplessis ? Non. Il s'est développé au moment où le Québec a participé plus pleinement au Canada avec Jean Lesage. Les Québécois se sont aperçus qu'ils pouvaient faire des choses : écrire des chansons, faire du théâtre, aller à l'école.»