La réaction de Stephen Harper au début d'entrevue ratée par Stéphane Dion à Halifax jeudi démontre que le chef conservateur n'a aucune classe et jusqu'où il est prêt à descendre pour cacher le fait qu'il n'a aucun plan pour diriger le pays, a chargé M. Dion après avoir pris la nuit pour réfléchir.

En entrevue à CBC, vendredi matin, le chef libéral est revenu sur sa mésaventure de la veille, en disant qu'il n'avait tout simplement pas compris la question posée par l'interviewer Steve Murphy du réseau ATV, en Nouvelle-Écosse.

«Ce n'est pas ma langue maternelle et je n'étais pas certain [du sens de la question]», a-t-il expliqué.

Le début de l'entrevue, que le réseau a décidé de diffuser après s'être engagé à ne pas le faire, montre un Stéphane Dion qui hésite devant une question posée en anglais et qui lui demande ce qu'il ferait actuellement s'il était premier ministre du Canada pour faire face à la tourmente économique et financière.

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Le chef libéral demande des précisions : premier ministre depuis deux ans et demi? Premier ministre depuis la semaine dernière? Premier ministre à partir du 14 octobre? Après quelques hésitations, il commence à répondre, s'enfargeant dans ses mots et mêlant deux concepts de sa plateforme électorale. Il demande ensuite à deux reprises au journaliste de recommencer l'entrevue.

Stephen Harper a sauté sur l'histoire, jeudi soir, en tenant l'un de ses seuls points de presses impromptus depuis qu'il est premier ministre pour dire que l'épisode illustre l'incapacité de Stéphane Dion à diriger le pays.

M. Dion n'a réagi que ce matin à CBC. «Ce n'est pas juste, a-t-il dit. J'avais de la difficulté hier à comprendre la question.»

«La réaction de Stephen Harper en dit plus long sur lui que sur moi, a-t-il ajouté. Il est prêt à descendre très bas pour gagner une élection, alors que je demande de tenir un débat civilisé parce que les enjeux sont trop gros.»

Il a expliqué que la question de savoir ce qu'il ferait à la place de Stephen Harper en est une très importante pour lui, et à laquelle il a répondu à plusieurs reprises depuis le début de la campagne.

Il s'est aussi questionné sur la valeur éthique de la décision de CTV, voire les intentions du réseau de télévision, qui a décidé de diffuser le début manqué de l'entrevue, après s'être engagé à ne pas le faire.

«Je ne sais pas pourquoi CTV a décidé de montrer cela seulement quelques jours avant un vote historique. Il y a quelque chose de très étrange, ici.»

Harper se défend

Le chef conservateur, Stephen Harper, a refusé ce vendredi matin de donner le bénéfice du doute à son adversaire libéral. Pour lui, il ne s'agit pas d'une question mal posée ou d'un problème de compréhension mais bien d'une question de réponse.

«Le problème ce n'est pas la question, a-t-il dit dans une usine de composantes métalliques en Ontario, le problème c'est la réponse de M. Dion. Comme je l'ai dit à maintes reprises au cours de ces élections, il n'a aucun plan pour l'économie, sauf une taxe sur le carbone. Il a dit qu'il a besoin de 30 jours après les élections pour développer un plan. Et j'espère que tout le monde va regarder cette entrevue. C'est sur le site web. Ils verront sa position.»

Les journalistes ont rappelé à M. Harper qu'il avait souvent remercié les Québécois dans le passé pour avoir fait preuve d'indulgence à son égard lorsqu'il apprenait le français. Ils lui ont demandé pourquoi il ne faisait pas de même avec M. Dion.

Le chef conservateur n'a pas répondu directement à cette question. Il a plutôt critiqué à nouveau l'approche économique du chef libéral.

«Je pense que la position de M. Dion n'est pas une position réaliste pour gérer l'économie canadienne, a-t-il reproché. Il y a trois partis qui peuvent gagner des sièges au Québec mais il y en a seulement qui a un plan pour gérer cette économie pendant cette période d'incertitude économique mondiale. Et je suis ici pour offrir aux Québécois pas seulement la possibilité d'un plan économique réaliste mais aussi pour le offrir des hommes et des femmes qui travaillent dur et qui peuvent représenter les intérêts des Québécois autour de la table.»

Deux poids deux mesures

Les députés libéraux Bob Rae et Denis Coderre en ont remis dans un communiqué de presse envoyé en avant-midi, vendredi.« Les Canadiens sont jugés sur la qualité de leurs idées et non pas sur la qualité de leur anglais ou sur la perfection de leur ouïe », a déclaré Bob Rae.

Il a été révélé en début de campagne que M. Dion avait des problèmes d'audition, qui l'empêchent par exemple d'isoler des sons ou des voix lorsqu'il y a beaucoup de bruits autour de lui. Il lui est par exemple arrivé à quelques reprises de demander à des journalistes de répéter leur question lors de conférences de presse trop bruyantes.

Gilles Duceppe, de son côté, a pour une rare fois volé au secours de Stéphane Dion. Il a accusé Stephen Harper d'avoir porté un coup bas en attaquant le chef libéral à cause de ses difficultés lors d'une entrevue en anglais.

«M. Dion fait des efforts pour parler en anglais et je pense qu'il a progressé, a-t-il soutenu lors d'un point de presse. On demande beaucoup plus aux francophones de bien parler anglais qu'aux anglophones de bien parler français. Il y a deux poids, deux mesures.»

Cela dit, le chef du Bloc québécois croit que Stéphane Dion avait parfaitement compris la question posée par l'animateur du réseau CTV, et qu'il était simplement incapable d'y répondre car son programme économique est déficient.

«Quand ils attaquent la qualité du français de M. Dion, c'est inacceptable, a-t-il indiqué. Mais quand ils disent que M. Dion n'a rien à offrir, je comprends mieux.»

En point de presse à Brampton vendredi midi, M. Dion est une nouvelle fois passé à l'attaque contre le chef conservateur.

«L'histoire se rappellera qu'à quelques jours d'un vote historique pour notre pays, Stephen Harper a donné sa première conférence de presse impromptue. Mais ce n'était pas pour discuter de nos épargnes, de nos hypothèques, de nos pensions, de nos emplois. C'était encore une fois pour essayer d'attaquer sous la ceinture son principal adversaire dans cette élection», a-t-il dit.

«Cet homme n'a pas de classe. Il n'a pas de plan. »

Avec la collaboration de Martin Croteau et Gilles Toupin