(Québec) Près de 30 000 enseignants, soit le quart des effectifs, ont enseigné dans les écoles québécoises sans être légalement qualifié, rapporte la vérificatrice générale du Québec, qui s’inquiète de la pénurie de main-d’œuvre sur la réussite éducative des enfants. Pour la plupart d’entre eux, le ministère de l’Éducation ne sait même pas quelle est leur formation.

Ce qu’il faut savoir

Il y a beaucoup plus d’enseignants non légalement qualifiés que ce que l’on croyait. Une nouvelle analyse du Vérificateur général du Québec révèle qu’il y en a près de 30 000, soit le quart de la force de travail du secteur public.

Pour la plupart d’entre eux, le ministère de l’Éducation ignore quel est leur profil scolaire

L’explosion du nombre d’enseignants non qualifié et la pénurie de main-d’œuvre ont un effet sur la réussite éducative des élèves

« C’est très préoccupant que le ministère ne connaisse pas le nombre de ces enseignants non légalement qualifié et ne connaisse pas le niveau de connaissance qu’ont ces enseignants-là », a lancé la vérificatrice générale du Québec, Guylaine Leclerc, en conférence de presse jeudi. Elle présentait son plus récent rapport, déposé à l’Assemblée nationale la journée même.

Son constat : près de 30 000 enseignants, le quart des effectifs, pratiquent le métier sans être légalement qualifiés en raison de la pénurie de main-d’œuvre, et le ministère de l’Éducation n’a à peu près aucune donnée à ce sujet.

L’ampleur de cette réalité était mal connue. Les données varient d’un centre de services scolaire à l’autre, et n’incluaient pas les suppléants et les enseignants à la leçon. La VG l’a découvert en croisant les données des centres de services scolaires avec les « données du système de qualification des enseignants » pour la même période. Un véritable travail de moine, selon Mme Leclerc, qui reproche au ministère de l’Éducation de ne pas avoir « une information complète et fiable » sur cette situation.

Ces 30 000 travailleurs sont « principalement des suppléants » qui ont « travaillé l’équivalent de 8,3 % des jours totaux travaillés ». L’absence de stabilité a des conséquences : « plusieurs élèves subissent des changements d’enseignants répétés, ce qui nuit à leur réussite scolaire selon diverses études », note Mme Leclerc.

IMAGE FOURNIE PAR LE VÉRIFICATEUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC

L’explosion du nombre d’enseignants non légalement qualifiés témoigne de la pénurie de main-d’œuvre qui affecte le réseau scolaire. Mais on en sait peu sur ces travailleurs. « Parmi les 3778 détenteurs d’une tolérance d’engagement, les trois quarts détenaient un baccalauréat ou une maîtrise dans une discipline autre que l’enseignement », note la vérificatrice.

« Quant aux 26 743 enseignants sans autorisation, le MEQ ne dispose d’aucune information sur leur profil scolaire », note Mme Leclerc.

Car le ministère de l’Éducation ignore beaucoup de choses. La VG a d’ailleurs rédigé une liste de tout ce qu’il ne sait pas.

Ce que le ministère de l’Éducation ne sait pas

  • Le nombre total de postes déjà pourvus et à pourvoir (réguliers à temps plein et à temps partiel)
  • Le nombre d’enseignants actifs non légalement qualifiés et leur profil scolaire
  • Le nombre moyen d’enseignants nécessaires pour pourvoir un poste
  • Le nombre moyen d’élèves par classe
  • Les prévisions du nombre de postes d’enseignants à pourvoir dans l’avenir
  • Le taux de rétention, de roulement et d’absentéisme
  • Les départs à la retraite
  • Les démissions et les raisons de celles-ci

De son côté, le ministère dit qu’il veut s’améliorer. Selon des représentants du MEQ, « un chantier amorcé en 2022 a pour objectif de développer des mécanismes qui devraient permettre au ministère de disposer d’une information à jour à l’égard de la situation du personnel enseignant ». La capacité d’obtenir des données probantes est également un des objectifs de la réforme du réseau de l’Éducation proposée par le ministre Bernard Drainville. Mme Leclerc préfère attendre les résultats avant de se réjouir.

Pénurie

Le nombre d’enseignants non qualifiés est surtout le symptôme d’une importante pénurie de main-d’œuvre. Selon les recherches du VGQ, en septembre 2022, il manquait 1033 postes à temps pleins et à temps partiels dans 63 centres de services scolaires. Mais il faut y ajouter l’équivalent de 10 500 postes d’enseignants à temps plein liés aux libérations, aux congés de maladie, aux invalidités et aux congés parentaux.

Cette pénurie a des effets néfastes sur les élèves. Les directions d’école rencontrées par la VG constatent une diminution de la qualité de l’enseignement et des services donnés aux élèves, « notamment en raison du nombre élevé d’enseignants non légalement qualifiés », ainsi qu’une « augmentation de l’insécurité, de l’instabilité et de l’anxiété chez les élèves ». La pénurie provoque de « nombreux changements d’enseignants en cours d’année ».

La VG estime également que les initiatives gouvernementales pour pallier la pénurie sont « gérées à la pièce, sans vue d’ensemble ».

« Ces problèmes sont d’autant plus inquiétants qu’ils s’ajoutent aux retards d’apprentissage que le Vérificateur général a soulevés dans son rapport d’audit Enseignement à distance durant la pandémie de COVID-19 publié en décembre 2022 », a-t-elle expliqué.

Et l’absence de données rapportée par la vérificatrice rend difficile pour le ministère d’estimer « le nombre d’enseignants à former et à recruter chaque année en vue de répondre aux besoins ».

Des signes avant-coureurs

Mme Leclerc souligne que la pénurie d’enseignants était prévisible. Le Conseil supérieur de l’éducation se préoccupait déjà de cette réalité en 2014 et « recommandait aussi de faire preuve de vigilance afin d’éviter que les difficultés de recrutement n’occasionnent l’embauche de personnel insuffisamment qualifié ».

En 2009, une analyse produite par le MEQ démontrait que « la prévision des besoins en personnel enseignant pour les années à venir dépassait le nombre de nouveaux enseignants généralement qualifiés par les universités ». C’est sans compter la politique de maternelle quatre ans de la CAQ, qui nécessiterait de 3000 à 5000 enseignants supplémentaires.

Pourtant, cette planification se fait ailleurs. « Plusieurs administrations, comme l’Ontario, les États-Unis, la Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni, ont mis en place des systèmes qui permettent d’avoir un portrait de la situation ou de déterminer les besoins futurs en personnel enseignant », écrit la VGQ.

En savoir plus
  • 110 000 enseignants
    En 2020-2021, le réseau scolaire public québécois comptait, à la formation générale des jeunes, 111 000 enseignants pour 972 000 élèves.
    SOURCE : VGQ