« Épuisées » de devoir se battre « sans réponse », des victimes de violences sexuelles, des intervenantes et d’anciennes athlètes réclament une rencontre d’urgence avec le nouveau ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, afin de mettre sur pied une loi-cadre pour prévenir et combattre les violences sexuelles en milieu scolaire. Québec, de son côté, assure que des changements arrivent.

« On n’a pas envie de se battre encore pour les quatre prochaines années. Ça fait des années qu’on demande à être protégées. Il faut croire les jeunes, les accompagner, les écouter », a martelé mercredi Clorianne Augustin, intervenante et co-coordonnatrice du collectif La voix des jeunes compte, en conférence de presse.

Son groupe, né il y a près de cinq ans dans la foulée du mouvement de dénonciation #moiaussi, demande depuis 2017 la création d’une loi visant à prévenir et à combattre les violences à caractère sexuel dans les écoles primaires et secondaires du Québec. Une telle loi existe déjà dans les cégeps et les universités.

Mme Augustin a dénoncé le fait que dans ses sept priorités annoncées la semaine dernière, le ministre Drainville ait « exclu » la lutte contre les violences sexuelles, pourtant essentielle en matière de persévérance scolaire, selon elle. « Pour moi, c’est un manque de volonté. Le dire à haute voix qu’il y a un problème, c’est reconnaître son existence. Et je pense qu’il faut arrêter d’avoir peur de nommer les choses », a-t-elle expliqué à La Presse.

Le collectif réclame une rencontre rapide avec le premier ministre François Legault et le ministre Drainville afin de dénouer l’impasse sur l’adoption d’une loi-cadre.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

On a besoin d’avoir une vraie discussion pour qu’ils comprennent au gouvernement ce que c’est, être une victime de violence sexuelle dans les écoles, de quoi elles ont réellement besoin.

Clorianne Augustin, co-coordonnatrice du collectif La voix des jeunes compte

Au cabinet du ministre Drainville, on rappelle que le collectif La voix des jeunes compte « a été entendu en consultations particulières en 2022 sur le projet de loi sur le Protecteur de l’élève, où on peut retrouver un pan complet sur les violences sexuelles ». « Notre gouvernement a d’ailleurs adopté, en juin 2022, cette loi », fait valoir l’attachée de presse, Florence Plourde.

Québec affirme qu’« une section distincte du plan de lutte contre l’intimidation et la violence, élaboré par les établissements scolaires », devra dorénavant obligatoirement être « consacrée aux violences à caractère sexuel ». Cela inclut de la formation et des « mesures de sécurité » contre les violences sexuelles. Ces impositions doivent en pratique entrer en vigueur le 15 septembre prochain.

À Saint-Laurent, « 20 ans » de silence

Sur place, l’ancienne athlète Joëlle Martina s’en est aussi vivement prise à l’attitude simplement « réactive » du gouvernement en matière de violences sexuelles. « On nous dit toujours qu’il existe des mécanismes pour porter plainte, mais tout est réactif. On a besoin d’un système proactif. Il ne faut pas attendre les victimes pour agir, il faut les protéger », a-t-elle martelé.

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« Quand les institutions ne font rien, les jeunes apprennent que leurs actions n’ont pas de conséquences. Est-ce que c’est bien le message qu’on veut leur transmettre ? L’école et le sport peuvent changer la vie, assurons-nous que c’est pour le mieux », a insisté Mme Martina. Celle-ci est aussi porte-parole de la Coalition des grandes sœurs, un regroupement d’anciennes joueuses de basketball mis sur pied en mars dernier, dans la foulée de l’arrestation de trois entraîneurs1 pour des crimes sexuels à l’école secondaire Saint-Laurent.

En juillet, une enquête gouvernementale2 avait conclu que la dignité de plusieurs athlètes avait été « compromise » durant leur passage à l’école secondaire Saint-Laurent. La Presse avait d’ailleurs rapporté3 qu’un climat « hyper nocif », marqué par les agressions verbales et l’intimidation, régnait au sein du programme féminin de basketball.

À Saint-Laurent, il y a eu 20 ans de silence. Vingt ans, c’est beaucoup de jeunes qui graduent, qui ont été victimes.

Ernest Edmond, fondateur de l’organisme Les Ballons Intensifs

« Mais surtout, c’est beaucoup de temps d’inaction, de tolérance et d’abus », a souligné à ce sujet Ernest Edmond, fondateur de l’organisme Les Ballons Intensifs, qui milite aussi pour l’implantation d’une loi-cadre. « Il faudra combien de jeunes pour que nous passions à l’action ? », s’est-il aussi interrogé.

Bien connu dans le monde du sport scolaire, Daniel Lacasse, responsable du programme de basketball de l’école Saint-Laurent, est accusé d’exploitation sexuelle. Les deux autres entraîneurs, Robert Luu et Charles-Xavier Boislard, font face à des accusations de contact sexuel, d’incitation à des contacts sexuels et d’agression sexuelle. M. Boislard a également été accusé d’exploitation sexuelle.

Un premier procès, celui de Daniel Lacasse, est prévu du 12 au 15 septembre au palais de justice de Montréal. Celui de Charles-Xavier Boislard doit avoir lieu entre le 3 et le 6 octobre. Quant à Robert Luu, il doit retourner devant la Cour le 21 avril pour une audience précédant son procès.

1. Lisez « D’anciennes joueuses s’attaquent à la “culture du silence” » 2. Lisez « La dignité de plusieurs athlètes “compromise”, tranche Québec » 3. Lisez « École Saint-Laurent : une “culture du silence” à déconstruire »